Le Monde - 11.08.2019

(Joyce) #1

8 |france DIMANCHE 11 ­ LUNDI 12 AOÛT 2019


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2020 : le PS gèle l’investiture du maire de Saint­Nazaire


Une affaire de violences sexuelles mettant en cause un adjoint a fait imploser la majorité municipale


nantes ­ correspondant

L

a première déflagration
est survenue à la fin de
l’année 2017 dans le
sillage de l’affaire Weins­
tein et du mouvement #metoo.
Un soir de novembre, quatre ad­
jointes et une conseillère muni­
cipale de Saint­Nazaire (Loire­At­
lantique), parties suivre une for­
mation dans le cadre des Jour­
nées nationales des femmes
élues, discutent de la question
des violences faites aux femmes.
« L’une d’entre nous s’est effon­
drée et a confié avoir été abusée
par un adjoint », rapporte Lau­
rianne Deniaud, ex­première ad­
jointe au maire de Saint­Nazaire,
deuxième ville du département
(72 000 habitants).
Ces élues demandent un entre­
tien collectif au maire PS de Saint­
Nazaire, David Samzun. Le
27 avril 2018, elles l’alertent de la
situation. Outre le témoignage de
leur collègue, les adjointes re­
laient leurs inquiétudes concer­
nant d’autres femmes, et décri­
vent un « climat sexiste » régnant
au sein de la collectivité. « C’est
compliqué de réagir face à un flot
continu de blagues graveleuses ou
de regards appuyés portés sur des
collaboratrices, énonce Mme De­
niaud, ancienne présidente du
Mouvement des jeunes socialis­
tes. On est tout de suite renvoyée à
l’image de féministe et de chieuse.
Personnellement, à cette période,
mon mode de défense a été de sur­
nommer un petit groupe d’élus “le
club des boulets” et de les interpel­

ler ainsi chaque fois qu’ils franchis­
saient la ligne blanche. » De son
côté, Gaëlle Bénizé­Thual, ex­ad­
jointe PS aux sports, évoque des
« mots grivois », « des SMS en ra­
fale pour décrocher un rendez­
vous avec des agents de sexe fémi­
nin », « une drague lourde ».
Quand il est informé,
M. Samzun fait part à son adjoint
des faits qui lui sont reprochés. Il
requiert également les services
d’une avocate « investie dans la dé­
fense des droits des femmes »
pour, dit­il, étudier ses modalités
d’intervention dans ce dossier, en
l’absence d’une plainte déposée
par la victime présumée.

Un bastion socialiste
Mais un mur d’incompréhension
sépare très vite les différents pro­
tagonistes du dossier. « Alors que
l’on avait transmis une alerte en
toute confiance, subitement, on a
eu l’impression qu’on voulait la
mettre sous cloche », déplore Mme
Bénizé­Thual. Selon l’élue, le
maire a pour ainsi dire balayé les
griefs exposés d’un revers de la
main : « C’est comme si on était un
village gaulois, se désole­t­elle. En
gros, il faut croire que ce type de
comportement existe partout,
sauf à Saint­Nazaire! »
La majorité municipale a fini
par imploser, après que la procu­
reure de Saint­Nazaire, Sylvie Ca­
novas­Lagarde, a classé sans suite
l’enquête relative aux faits de viol,
tout comme la plainte pour diffa­
mation déposée par l’adjoint in­
criminé. L’élue ayant affirmé
s’être vue imposer une relation

non consentie a démissionné.
Trois adjointes, dont Mme De­
niaud et Mme Bénizé­Thual, ont
également remis leur délégation,
le 27 juin. Le lendemain,
M. Samzun, qui crie au complot
politique, a annoncé son inten­
tion d’écarter, à la faveur de la ba­
taille municipale de mars 2020,
les onze élus signataires d’un
texte critique intitulé « Ils ne
nous feront pas taire ». L’adjoint
mis en cause ne sera pas recon­
duit non plus.
Parmi les onze, d’anciens alliés
écologistes et communistes de­
vraient composer leur propre
liste, pour le plus grand bonheur
des adversaires du PS, au premier
rang desquels le MoDem et le Ras­
semblement national, qui se
prennent à rêver de conquérir ce
bastion socialiste.
Ces secousses ont désormais
des répercussions sur le plan na­
tional. Le 23 juillet, lors du bureau
national du PS, la secrétaire natio­
nale à l’égalité femmes­hommes,
Cécilia Gondard, a dévoilé les con­
clusions de la mission d’écoute,
diligentée en juin par le premier
secrétaire du PS, Olivier Faure.
Au­delà de l’affaire elle­même, la
mission – qui fut boycottée par le
maire – indique avoir recueilli
suffisamment d’éléments pour
affirmer que la collectivité de
Saint­Nazaire pâtit « d’un climat
de violences sexistes et sexuelles »,
ainsi que l’expose Mme Gondard.
Des propos et des comporte­
ments déplacés ont été recensés.
Et des plaintes pourraient être dé­
posées. Si le maire de Saint­Na­

zaire n’est pas visé, Olivier Faure
révèle au Monde et au quotidien
nantais Presse Océan qu’en l’état,
le bureau national du parti ne
peut accorder l’investiture socia­
liste à David Samzun pour 2020.
« La situation sera gelée tant que
des discussions ne seront pas en­
gagées », affirme le premier secré­
taire, qui demande des « éclaircis­
sements ». « Nous ne disons pas
que le maire n’a rien fait, poursuit
M. Faure. Mais la seule sanction
prise vise les personnes qui ont agi
comme des lanceurs d’alerte, et qui
se sont vu signifier qu’elles ne figu­
reraient pas sur sa liste pour les
municipales. On ne peut pas en­
voyer un tel signal. »
Le patron du PS appelle à « créer
les conditions pour que les victi­
mes potentielles comprennent
qu’il n’y a pas de risque à parler ».
« Notre bienveillance doit protéger
toute personne qui dénonce des
faits graves », dit­il, ajoutant
qu’« il y a des principes, parmi les­
quels l’égalité femmes­hommes,
que nous plaçons au­delà de nos
intérêts électoraux ».

Au nom de la mission, Mme Gon­
dard déplore qu’aucune mesure
n’ait été prise, au sein de la collec­
tivité, « pour empêcher la mise en
relation » de l’élue ayant rapporté
des faits de viol avec la personne
désignée comme l’auteur pré­
sumé de ces faits : « Une solution
aurait été au moins de les suspen­
dre tous les deux », note­t­elle,
ajoutant que si M. Samzun esti­
mait que « le problème était politi­
que, il avait la possibilité de saisir
la commission des conflits au sein
du PS, ce qu’il n’a pas fait ».

« Je ne protège personne »
« Dans toutes les histoires de har­
cèlement sexuel ou de violences, ce
qui prime, c’est de placer les poten­
tielles victimes dans un cadre bien­
veillant, fait valoir Fabrice Bazin,
adjoint au maire (EELV), qui fait
partie de la liste des élus persona
non grata. Là, de mon point de
vue, ça n’a pas été le cas. Le maire a
fait demander à toutes les femmes
qui se trouvaient en contact avec
son adjoint si elles avaient quelque
chose à lui reprocher. C’est ignorer
totalement le poids des rapports
hiérarchiques. »
Elu municipal socialiste, Eric
Provost, président du parc natu­
rel régional de Brière, indique
n’avoir pas décelé d’indice lais­
sant à penser que des dérapages
malsains puissent avoir cours à
la mairie. Pour autant, il ne croit
guère au scénario d’une
manœuvre politique visant à
« déstabiliser le maire sortant ».
Parmi les lanceurs d’alerte, relè­
ve­t­il, figurent « des gens sérieux,

membres de l’équipe municipale
de longue date », et qui ne sont
« ni manipulateurs ni calcula­
teurs ». L’alerte « doit être prise au
sérieux », juge­t­il, « il faut s’assu­
rer qu’il n’y a pas de situation mé­
connue qui pourrait apparaître
par la suite ».
Vendredi 9 août, M. Samzun, qui
n’était pas au courant du gel de
son investiture, accusait le coup :
« Je voudrais bien savoir ce que j’ai
fait de mal au nom du PS », a­t­il
d’abord lancé. Avant d’ajouter : « Je
serai candidat aux municipales de
Saint­Nazaire en mars 2020, quoi
qu’il arrive. » Dans un courriel en­
voyé fin juin au premier secrétaire
du PS, David Samzun avait dé­
noncé « l’instrumentalisation poli­
tique faite d’une douloureuse af­
faire », et estimé que la posture vi­
sant à exiger la démission de l’ad­
joint mis en cause, mais ne faisant
l’objet d’aucune plainte pénale, re­
levait de « la logique de tribunal
populaire et médiatique ». « Je ne
cache rien, insistait­il. Je ne protège
personne. La défense et la protec­
tion des femmes victimes et de
leurs droits sont mes valeurs et mes
actes. Mais résister face à toutes les
formes de populisme aussi. »
Une enquête anonyme, confiée
à un cabinet indépendant, doit
être engagée à l’automne auprès
de l’ensemble des collaboratrices
et collaborateurs de la ville et de la
communauté d’agglomération
de Saint­Nazaire « au sujet des
agissements sexistes, du harcèle­
ment sexuel, des discriminations
dans les relations de travail ».
yan gauchard

La fusion entre Cheverny


et Cour­Cheverny sans cesse avortée


Aux portes de Chambord, un projet de commune nouvelle
regroupant les deux villages voisins peine à voir le jour

blois ­ correspondance

D


epuis toujours, de mé­
moire d’édile, les élus de
Cheverny et de Cour­Che­
verny (Loir­et­Cher) défilent en­
semble le 14 juillet, se recueillant
devant chaque monument aux
morts, avant de partager le vin
d’honneur. Les deux communes
s’imbriquent. Cour­Cheverny, la
paysanne, a longtemps enveloppé
de ses champs le domaine du châ­
teau de Cheverny. « Mais cette an­
née, les élus de Cheverny ne sont
pas venus au défilé. Pour une his­
toire à deux balles, littéralement »,
se désole le maire de Cour­Che­
verny, François Croissandeau.
Les édiles de Cheverny (1 000 ha­
bitants) ont boudé les festivités
après que le conseil municipal de
Cour­Cheverny (2 800 habitants) a
voté en juin une hausse de 40 % du
prix de la cantine pour les 40 pe­
tits Chevernois. « C’est une tarifica­
tion au coût réel car mes conci­
toyens en ont eu assez de payer
pour les autres, défend M. Crois­
sandeau. Les Chevernois profitent
de l’école comme de toutes nos in­
frastructures mais leur mairie ne
paie jamais rien. Même pour le cen­
tre aéré et la maison des jeunes, on
ne reçoit plus un sou. » Le maire
achève : « On a trop longtemps dit
amen à tout. C’est terminé. »
Sur la place de la mairie de Cour­
Cheverny, où un marché se tient
chaque vendredi, quelques Cour­
chois décrivent Cheverny comme
un « village coucou », qui fait son
nid dans celui des autres. Am­
biance. Cette rancœur fait écho au
refus du conseil municipal de Che­
verny, en 2018, de rejoindre un
projet de fusion porté par Cour­
Cheverny. A priori, un rapproche­
ment allait de soi. Les Chevernois
font leurs courses dans les bouti­

ques courchoises, vont à leur bu­
reau de Poste, fréquentent leurs
clubs sportifs et leur messe domi­
nicale. Ils se douchent avec la
même eau, prélevée grâce à trois
forages répartis dans Cour­Che­
verny. L’avenue du château relie
les deux bourgs sans ligne de dé­
marcation. Les nombreux gîtes de
Cour­Cheverny hébergent les visi­
teurs du château, bâtisse du
XVIIe siècle et copie conforme du
Moulinsart de Hergé dans Tintin.
Le propriétaire du château, Char­
les­Antoine de Vibraye, est con­
seiller municipal à Cheverny. Il a
voté non à la fusion entre les deux
communes en mars 2018 avant de
changer d’avis. « J’avais voté après
avoir entendu une contribution qui
s’est avérée par la suite très orien­
tée », justifie le marquis, pour qui
maintenir deux gouvernances
pour 3 800 habitants aux vies
aussi entremêlées n’a aucun sens.
« Mon domaine s’étale sur les deux
communes. Cela fait cent ans que le
château est ouvert au public et
nous avons accueilli 400 000 visi­
teurs l’an dernier. Si ces villages fu­
sionnaient, ils seraient plus forts. »

« Faire un audit »
M. de Vibraye a rejoint Demain
Cheverny, une association qui ré­
clame cette fusion. En 2020, dans
le Loir­et­Cher, neuf communes
nouvelles, issues de 35 municipa­
lités, auront été créées en cinq
ans à peine. « Ces communes qui
naissent à nos portes vont nous
affaiblir un peu plus chaque jour.
Qu’allons­nous représenter face à
des communes de 5 000, 6 000 ha­
bitants qui capteront les entrepri­
ses, commerces, et autres facteurs
d’attractivité du territoire? Quel
poids aurons­nous auprès de
l’agglo, du département, de la ré­
gion? », se demande l’un des fon­

dateurs de l’association, Bruno
Lancesseur.
La maire de Cheverny, Lionella
Gallard, balaie les critiques. Village
étoilé, terre saine et station de tou­
risme : son village collectionne les
labels qualité. « C’est grâce à cette
identité que Caudalie nous a choi­
sis pour ouvrir un centre de vino­
thérapie, avec 80 emplois à la clé »,
dit­elle. Le label station de tou­
risme permettrait même l’ouver­
ture d’un casino. « Ce n’est pas no­
tre volonté farouche », dit Mme Gal­
lard. Son prédécesseur, Bernard Si­
net (1977­2014), a toujours défendu
l’indépendance. « Les conditions
n’étaient pas réunies pour fusion­
ner, dit­il. En 1980, on nous a obli­
gés à fermer l’école au profit de
Cour­Cheverny. Ce fut un trauma­
tisme. Je voulais que ma commune
retrouve sa dignité, et que le Petit
Robert ne la présente plus comme
un hameau. » Ce n’est plus le cas.
Pour l’ex­maire de Cheverny, « le
temps est venu de consulter la po­
pulation et de faire un audit pour
savoir qui apporte quoi ».
A bord de son tracteur rouge,
Alain Chery traverse les 14 hecta­
res de la Champinière, un do­
maine viticole de Cour­Cheverny.
Il laisse les herbes folles pousser
entre ses vignes et pulvérise le
moins possible. Une partie de son
vin est labellisée AOC Cheverny.
Avec des camarades vignerons de
Cheverny et Cour­Cheverny, il a
créé une association qui mutua­
lise tracteurs, machines et outils.
« C’est facile de faire des économies
et de s’entraider. Alors pour moi, ce
rapprochement impossible, c’est
surtout une affaire de personnes. »
Des personnes à qui il offrira une
occasion de se réconcilier en sep­
tembre, autour d’un canon, pour
la fête annuelle des vendanges.
jordan pouille

« Je serai
candidat aux
municipales
de Saint-Nazaire
en mars 2020,
quoi qu’il arrive »
DAVID SAMZUN
maire (PS) de Saint-Nazaire

0123
hors-série

Géopolitique

des

îlesen

40

ca rtes

Selon les Nations unies, il y a sur notre planète 460 000 îles, même sicertainessont
aujourd’hui menacéespar la montée deseaux. Une île, c’estbeaucoup de choses. Elle
peut être, aujourd’huicomme hier, une placeforte quicommande un détroit, un endroit
paradisiaque où l’on joue à l’île déserte devant unecaméra de télévision, une simple
pisted’atterrissagepour marquerson territoire, un réservoir de la biodiversité, uneterre
réservée à une monoculture agricole, etc. Mais la richessed’une île n’estplus liée à la
terre émergée qui laconstitue, et qui permettait, autemps de lacolonisation, d’enrichir
la puissance qui la possédait, mais à la mer qui l’entoure ou plutôt ausous-sol immergé
et àcequ’il peutcontenir. Enquarantecartes,nous proposons untour du monde de la
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