Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1
AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019 97

nous révèle au monde. Ça avait donc beaucoup de sens pour
moi qu’il se déroule à Dakar, et je tenais très fortement au choix
du wolof. C’était nécessaire d’offrir un film dans cette langue et
de l’apporter au cinéma. Il en a vraiment besoin.
Comment avez-vous eu l’idée
d’introduire une veine fantastique?
Mon court-métrage était déjà un film de fantômes, d’une
certaine manière. Le héros, Serigne, me confiait : « Je suis en
train de te parler, mais en fait, je ne suis déjà plus là. Quand on
décide de partir, c’est qu’on est déjà mort. » Ces paroles m’ont
tellement marquée... Inconsciemment, elles m’ont menée sur
la piste du film de fantômes. Une jeunesse qui disparaît revient
forcément hanter les vivants.
Dans le film, l’océan est non seulement
omniprésent, mais aussi actif, c’est un personnage
à part entière. Son ressac apparaît comme
un mouvement hypnotique inquiétant,
qui attire les hommes...
Situé sur une presqu’île [celle du Cap-Vert, ndlr], Dakar est
encerclé par l’océan. Depuis n’importe quel endroit de la ville, le
regard nous porte toujours vers lui. C’est un appel, qui a certai-
nement dû disposer ces jeunes à l’ailleurs. Personnellement, je
crains beaucoup l’océan, je l’ai toujours regardé comme un élé-
ment fantastique, appartement à une autre planète. Pour moi,


c’estcommesi ces garçonspartaientsur Mars...Ça m’intéres-
sait de rendre l’Atlantique complice de ce fléau. Je l’imaginais
aspirant sa jeunesse dans ses tréfonds. Dans la culture noire,
l’océan Atlantique est hanté, chargé d’histoires douloureuses,
dont celle de la traite. Je pense au poème The Sea is History, de
Derek Walcott [dramaturge caribéen provenant de Sainte-Lucie,
ndlr], où l’on perçoit l’Atlantique comme un tombeau. Mon film
se réfère aussi à la figure d’Ulysse, à L’Odyssée d’Homère. C’était
une manière de replacer ces récits contemporains dans une
histoire plus ancienne que le sujet d’actualité. Encore une fois,
plus les médias trahissent la réalité de ces personnes, plus le
cinéma a le devoir d’essayer de la restituer.

« Plus les médias


trahissent la réalité,


plus le cinéma


a le devoir d’essayer


de la restituer. »


La réalisatrice, entourée de l’équipe d’Atlantique,
monte les marches à Cannes.
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