16 AOÛT 2019
ELLE.FR 37
ELLE MAG / REPORTAGE
« J’habite maintenant une ville austère et
violente. [...] Un canal traverse Roubaix au nord. La
mairie est énorme, monstrueuse. Les rues bourgeoises
regorgent d’hôtels particuliers abandonnés. Ici, tout
est faillite... 75 % de la ville est classée zone urbaine
sensible. 45 % de la population vit sous le seuil de
pauvreté, Roubaix est la plus pauvre des 100 plus
grandes communes françaises... » Dans son nouveau
film aux airs de polar, « Roubaix, une lumière » (lire
encadré p. 39), et via les états d’âme de Louis, un per-
sonnage de jeune flic fraîchement débarqué dans le
Nord, A rnaud Desplechin tape dur. Inspiré par un fait divers sordide,
le réalisateur, qui a tourné cinq films à Roubaix, ne se sert plus ici de
la ville comme d’un simple décor, mais autopsie, sans fard, les
entrailles d’une cité meurtrie. Une forme de catharsis pour ce natif de
Roubaix? « Si je pense à mon enfance et à mon adolescence, je vois
un jeune homme enfermé dans sa chambre, nous confie - t - il. C’est une
ville que j’ai l’impression de
mal connaître. Plus tard, je
m’en suis enfui avec un plai-
sir délicieux mais, quand il
a fallu trouver ma voix, j’y
suis retourné. Roubaix est
un laboratoire, le précipité
de toutes les questions qui
traversent le monde actuel :
la mondialisation, la gentri-
fication, les revendications
identitaires. » Une ville qui
traîne aussi depuis des
décennies une sombre
réputation, en témoignent les reportages sensationnalistes sur la pau-
vreté, l’abstention record, le trafic de drogue ou la montée du sala-
fisme régulièrement dif fusés sur les chaînes info. « Roubaix a toujours
souffert d’une mauvaise image par rapport à des communes moins
ouvrières comme Lille ou Croix, rappelle Julien Talpin, sociologue
roubaisien, chercheur au CNRS spécialisé dans l’étude des classes
populaires. Aujourd’hui, le taux de chômage avoisine les 31 % , et
parfois les 50 % dans les quartiers les plus touchés. » Des statistiques
qui font oublier que les plus grosses for tunes de France – les Mulliez,
fondateurs du groupe Auchan, ou Bernard Arnault, patron de LVMH,
en sont originaires. Pourtant, depuis quelques années, la ville tente,
par des moyens originaux, de redorer son blason, une résilience por-
tée par la mairie, les associations et des figures locales à l’énergie
irrésistible. « I love Roubaix », voici le mantra que l’on trouve sous forme
de stickers partout en ville, un slogan poussé depuis peu par l’office
du tourisme mais que les habitants n’ont jamais cessé de défendre.
« Se renouveler, c’est dans notre ADN. Nous avons été
pionniers dans la mise en place du zéro déchet en France et,
aujourd’hui, quinze communes de la métropole lilloise nous suivent »,
affirmait Alexandre Garcin le 28 juin, lors d’un
voyage de presse. Cet adjoint au maire de Roubaix
en charge du développement durable présentait
alors, pas peu fier, le programme « Zéro déchet »
mis en place depuis 2014 par le nouveau maire,
Guillaume Delbar, élu sous l’étiquette LR. Parmi les
actions marquantes, celle qui concerne les
50 écoles de la commune : lutte contre le gaspil-
lage alimentaire, utilisation raisonnée des fourni-
tures, tri, etc. Mais aussi la création de 12 sites de
compostage ou l’engagement de plus de 50 com-
merces à respecter une charte exigeante. Plus
ambitieux encore, le « défi famille » : 500 d’entre
elles ont pour objectif de réduire leurs déchets de
50 %. « C’est l’une des raisons qui m’ont fait venir à
Roubaix », raconte Florence Duriez, mère de quatre
enfants. Dans sa belle demeure du quartier
Barbieux, l’un des plus cossus de la ville et ex-fief
des riches filateurs, cet te ancienne cadre du e - com-
merce est enthousiaste : « En cuisinant plus,
Le designer
de baskets
Daniel Essa.
L’artiste roubaisien
Mikostic dans l’atelier
du graffeur JonOne.
Léna Malévitis et Alexia Ruzé,
de Studio Hydra.
Le Vestiaire, un
lieu du programme
Maisons de Mode.