Elle N°3843 Du 16 au 22 Août 2019

(Tina Sui) #1

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en fabriquant nos cosmétiques et en utilisant des couches
lavables, on est passé de 1,2 kg de déchets par jour à 120 g! » Ce
succès s’est traduit par l’ouverture de deux points de vente de pro-
duits en vrac, dont un concept original de camion épicerie imaginé
par Mélanie Duret, une banquière reconvertie. À terme, Roubaix
compte réduire ses déchets de 30 % , un chiffre 4 fois supérieur aux
objectifs européens. Ambitieux donc, mais quelles sont les retom-
bées pour les populations les plus précaires? « Nous avons voulu
éviter une démarche 100 % bobo, se défend Alexandre Garcin. Le
zéro déchet, c’est du pouvoir d’achat, du lien social, de la santé. »
« C’est aussi consommer de manière plus intelligente, se félicite Mag-
dalène Delepor te, infirmière libérale habitant à deux pas du quar tier
du Pile, l’un des plus pauvres de la ville. Nous économisons entre
100 et 150 euros par mois et nous mangeons mieux. Le zéro déchet
n’est pas réservé aux gens aisés! » Au
point que son mari, un ancien ouvrier sans
emploi, aimerait suivre une formation de
maître composteur. L’écologie, de quoi
faire oublier le destin funeste d’une
industrie ravagée?

Car Roubaix, c’est aussi l’histoire
d’un déclin qui laissa sur le carreau l’un
des fleurons de l’économie française. « À
partir de 1880, elle est devenue une
grande capitale du tex tile, rappelle Julien
Talpin, et une ville d’immigration avec une
première vague venue de Belgique puis,

dans la seconde partie du XXe siècle, d’Algérie. C’est aussi
la ville phare du socialisme municipal avec des figures
comme le maire Jean- Baptiste Lebas, ministre du Travail
sous le Front populaire et père des congés payés. Il a
œu vré pour l’ émergence d’une fier té ou vrière. Aujourd’hui
encore, la cité se nourrit de ce sentiment qui repose sur des
mythes comme “Roubaix, la ville aux 1 000 cheminées”. »
Frappées par la crise de 1973 et les effets de la mondiali-
sation, les usines ferment finalement les unes après les
autres, laissant environ 50 000 ouvriers au chômage.
L’âge d’or a fait long feu. « Il y a bien eu une reconversion
dans la vente par correspondance et le ter tiaire, explique
le sociologue. Mais les ouvriers n’avaient pas les compé-
tences requises. Aujourd’hui, la métropole lilloise est l’une des moins
industrialisées de France. »
Il suffit de flâner dans Roubaix pour prendre la mesure de ce passé
glorieux : partout, on retrouve les vestiges émouvants de ces usines,
monstres de brique et de métal abandonnés à la végétation. Une
même nostalgie étreint le cœur lorsqu’on parcourt les rues bordées
de courées, ces maisonnettes d’ouvriers en brique rouge ou noire
construites le long d’ étroits passages. « Il y a un tabou autour de cet te
histoire, relève Olivier Muzellec, fondateur du Non- Lieu, un centre
culturel sis dans une ex-filature conservée dans son jus. Les institutions
politiques locales veulent du moderne, de l’ailleurs. » Pourtant,
comme lui, des Roubaisiens militants refusent de considérer ces bâtis
comme des stigmates et préfèrent y voir les traces d’un patrimoine.
Depuis une dizaine d’années, certains bâtiments au cachet unique
sont réinvestis par des collectifs en espaces
culturels, fab labs, ateliers d’artistes et même
lofts branchés. Lieu emblématique de ce
Roubaix ressuscité : le sublime musée
La Piscine, des bains publics rénovés en
2001, qui vient de rouvrir après des travaux
d’agrandissement. Un lieu chargé et
magique qui attire 250 000 visiteurs par an,
venus de toute la France. Autre reconversion
ambitieuse : le laboratoire créatif La Condi-
tion Publique, situé dans les murs d’anciens
entrepôts de laine, de soie et de coton. Ses
12 0 0 0 m^2 accueillent désormais exposi-
tions, ateliers et espaces partagés où se

La Tossée, dernier peignage
de laine du Nord, fermé
en 2004 dans la ville voisine
de Tourcoing.

Mélanie Duret,
créatrice d’une
épicerie ambulante.

Des associations aident
à la mise en place de
jardins partagés.

Le musée La Piscine, qui attire
250 000 visiteurs par an.
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