Elle N°3843 Du 16 au 22 Août 2019

(Tina Sui) #1

ASIA PIETRZYK ; FRANCESCA MANTOVANI/ÉDITIONS GALLIMARD ; JEAN-FRA


NÇOIS PAGA/OPALE VIA LEEMAGE ; PRESSE.


16 AOÛT 2019


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d’ailleurs choisi de se tenir à distance pour ne pas se laisser
influencer et préserver « son imaginaire et son style ». La lectrice, elle,
ne pourra pas s’empêcher de voir dans ce roman au style très cru,
qui suit la trajectoire chaotique d’une jeune fille abusée à 9 ans par
une voisine, une porte d’entrée supplémentaire pour comprendre,
du côté de l’intime, la relation des femmes à leur corps, désiré, abusé,
confisqué. Depuis plusieurs années, Donnadieu anime des ateliers
dans des hôpitaux pour enfants malades, internés notamment en
psychiatrie. Là, elle a entendu quantité de patientes évoquer leurs
difficultés à devenir femme. « Le corps, pour elles, est un territoire à
découvrir, mais aussi le lieu de toutes les expériences, du plaisir
comme du tragique », explique l’auteure.
Face à la violence du monde, à des enjeux moraux complexes et
multiformes, quel meilleur véhicule que le roman pour mettre en
images et en histoires ces forces souterraines qui infusent nos exis-
tences? Mais la rentrée littéraire est aussi un
gros enjeu commercial pour les éditeurs, qui
met tront cet te année encore toutes leurs forces
dans la promotion de leurs 524 poulains
romanciers. Cet article en est la preuve : la
transposition littéraire d’un moment social ou
sociétal intéresse critiques, commentateurs...
et libraires. « À la rentrée, le plus important est
de se démarquer », pointe Stanislas Rigot, res-
ponsable de la librairie Lamartine, à Paris. Lui
parie sur Karine Tuil (emboîtant ainsi le pas à
son éditeur, qui a réservé aux « Choses
humaines » son plus gros tirage de la rentrée

avec 42 000 exemplaires mis en vente). « J’y crois
beaucoup, poursuit-il : Tuil n’assène rien et est en
même temps parfaitement en place, le livre a un
côté ”page turner” et elle y aborde un sujet de
société grattant. » S’il n’est pas dans la culture de la
librairie Lamartine de regrouper les romans de la
rentrée par thèmes, Stanislas Rigot a néanmoins mis
en avant, ces derniers mois, les sor ties ayant trait aux
femmes, au corps ou au harcèlement, et note le
succès surprise de « Sorcières », l’essai de la journa-
liste Mona Chollet paru en septembre 2018 aux
éditions La Découverte (vendu à plus de 110 000
exemplaires) comme un bon indicateur des envies
d’un lectorat majoritairement féminin.

Cette rentrée s’annonce donc excitante,
vivifiante, courageuse et militante. Mais attention à
ne pas crier victoire trop vite. Car si les femmes
arrivent à exister dans les livres, et les écrivaines
dans les listes de meilleures ventes, le plus dur, c’est
de durer. Comme le souligne Anne-Emmanuelle
Berger, un tel mouvement a déjà eu lieu, dans le sillage de mai 1968.
« Dans ce que j’appelle la décennie MLF, de la fin des années 19 60
au début des années 1980, la création littéraire féminine a explosé. La
corrélation entre le soulèvement des femmes et une sorte de soulève-
ment lit téraire a d’ailleurs été thématisée par H élène Cixous qui, dans
”Le Rire de la Méduse”, appelle ouvertement ses pareilles à jouir de
la vie, et à écrire leur corps. Et les têtes de pont du MLF étaient des
femmes de lettres. Monique Wittig faisait sa thèse avec Roland
Barthes, Antoinette Fouque a créé en 1972 les Éditions des Femmes
et publié les romans de Chantal Chawaf, Jeanne Hy vrard ou Victoria
Thérame... Nancy Huston a elle aussi commencé à écrire à ce
moment-là ; elle collaborait à la revue ”Sorcières”, qui pensait l’articu-
lation entre la lutte pour le droit des femmes et les questions d’écri-
ture. » Pour que l’oubli cette fois-ci n’ait pas raison de ce bel éveil litté-
raire, les sorcières 2019 protégeront leurs arrières. ■

ELLE MAG / RENTRÉE LIT TÉRAIRE


ESSAIS ENGAGÉS


Dans « Vagabondes, voleuses, vicieuses » (éd. François Bourin),
l’historienne Véronique Blanchard dresse le por trait des
« mauvaises filles » des années 1950 et 1960. La journaliste
allemande Carolin Emcke se penche sur le consentement dans
« Quand je dis oui » (éd. Seuil), et l’Américaine Sarah Weinman
revient sur le fait divers qui inspira « Lolita » à Nabokov dans
« Lolita, la véritable histoire » (éd. Seuil). Ivan Jablonka lance, lui,
des pistes pour réinventer le masculin avec « Des hommes
justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités » (éd. Seuil).

Zineb Dryef et
Mathieu Deslandes

Karine Tuil
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