0123
VENDREDI 16 AOÛT 2019 international| 3
Donald Trump
embarrassé
par la question
de Hongkong
Le président américain lie la situation
sur place et un accord commercial
avec la Chine, tout en louant Xi Jinping
washington correspondant
W
ashington sort de
sa réserve au sujet
de Hongkong.
Mercredi 14 août,
le département d’Etat américain a
apporté son soutien « à la liberté
d’expression et à la liberté de réu
nion pacifique à Hongkong ». Le
porteparole du département
d’Etat a condamné la « violence »
et invité « toutes les parties à faire
preuve de retenue » dans une criti
que discrète des débordements
qui ont eu pour cadre, deux jours
durant, l’aéroport de Hongkong.
Mais il a tenu également a indiqué
que « les manifestations en cours
reflètent le sentiment des Hong
kongais et leur grande et légitime
préoccupation face à l’érosion de
l’autonomie » du territoire.
C’est une prise de position plus
franche que les propos mesurés
tenus jusqu’à présent par le prési
dent des EtatsUnis à propos du
mouvement de contestation qui a
saisi, depuis des semaines, la « ré
gion administrative spéciale ».
Mercredi, Donald Trump a cepen
dant pour la première fois fait un
lien entre les négociations sur un
accord commercial entre la Chine
et les EtatsUnis et la situation à
Hongkong. « Bien sûr, la Chine
veut obtenir un accord. Laissons
les travailler de façon humaine à
Hongkong, d’abord », atil tweeté.
Mais il ne renonce pas, dans le
même temps, à couvrir d’éloges le
président Xi Jinping sur son
compte Twitter, allant jusqu’à
suggérer une rencontre : « Je n’ai
AUCUN doute que le président Xi
veut résoudre rapidement et hu
mainement le problème de Hong
kong, il peut le faire. » Avant de
proposer : « Personal meeting? »
Jusqu’alors, le président des
EtatsUnis a toujours privilégié la
conclusion d’un accord commer
cial dont il voudrait faire un élé
ment de sa campagne de réélec
tion, en 2020. Selon Le Financial
Times, Donald Trump se serait
même engagé auprès de son ho
mologue, en marge du G20, au Ja
pon, en juin, à ne pas prendre po
sition sur la contestation visant la
férule chinoise sur Hongkong,
qui en était alors à ses débuts.
Mardi, le président avait fait
écho, sur Twitter, au fait que
Pékin massait des troupes à
proximité du territoire, sur la
base de ses services de renseigne
ment. Il avait commenté en ob
servateur, devant la presse, une
situation jugée « difficile, très dif
ficile ». « J’espère que ça va se ré
soudre pour tout le monde, pour
la liberté », atil dit, avant d’ajou
ter : « Y compris pour la Chine. » Et
encore : « J’espère qu’il y aura une
solution pacifique. J’espère que
personne ne sera blessé. J’espère
que personne ne sera tué. »
« Question intérieure »
Depuis son arrivée à la Maison
Blanche, Donald Trump ne défend
publiquement les principes dé
mocratiques que lorsqu’il consi
dère qu’il peut en tirer un bénéfice
- ainsi dans le cas de l’Iran, du
Venezuela ou de Cuba. Il reste si
non silencieux au nom du respect
d’un principe, la souveraineté,
qu’il considère comme central. Il
masque difficilement, par ailleurs,
la fascination qu’exercent sur lui
les responsables de régimes auto
ritaires ou dictatoriaux.
Le président des EtatsUnis a re
pris à son compte, le 1er août, le
terme d’« émeute » utilisé par
Pékin pour décrire les manifesta
tions. « Hongkong fait partie de la
Chine », atil ajouté le même jour,
sans un mot sur le statut spécial
du territoire garanti par un traité.
Le secrétaire au commerce,
Wilbur Ross, a renchéri mercredi
en qualifiant la situation de
« question intérieure » chinoise
sur la chaîne CNBC. Pratiquement
au même instant, le département
d’Etat se montrait beaucoup plus
alarmiste en déclarant que « l’éro
sion continue de l’autonomie de
Hongkong met en péril son statut
spécial de longue date dans les af
faires internationales ». Un reflet
de divisions évidentes au sein de
l’administration américaine.
Contrairement à Donald
Trump, le viceprésident Mike
Pence n’a pas mâché par le passé
ses critiques contre la nature du
régime chinois, notamment
dans un discours particulière
ment offensif prononcé en octo
bre 2018. Selon la presse améri
caine, Mike Pence avait prévu, en
juin, de dénoncer publiquement
le sort de la minorité ouïgoure
dans la province du Xinjiang, ci
ble d’une répression brutale at
testée par des centaines de mil
liers d’internements dans des
camps de « déradicalisation ». Le
viceprésident américain aurait
cependant reporté son discours
pour qu’il ne pèse pas sur les
tractations commerciales à la
veille du sommet du G20.
« Bien s’entendre »
La discrétion de Donald Trump
sur Hongkong a suscité d’ores et
déjà les critiques d’élus des deux
camps au Congrès. « C’est un mo
ment charnière pour les relations
américanochinoises », a averti le
sénateur républicain de Caroline
du Sud Lindsey Graham, pour
tant proche du président, et qui a
rappelé la répression du mouve
ment prodémocratie sur la place
Tiananmen, à Pékin, en 1989.
Une partie de ces élus militent
en faveur d’une proposition de loi
visant à rappeler le soutien des
EtatsUnis au statut spécial de
Hongkong et à ses défenseurs.
Nombreux sont ceux qui consi
dèrent que les signaux adressés à
Pékin par Donald Trump peuvent
avoir des effets considérables à
propos d’un autre territoire au
statut contesté : Taïwan.
La crise à Hongkong survient
enfin alors que l’influence des
EtatsUnis en Asie ne cesse d’être
battue en brèche par les tensions
qui opposent certains de ses plus
importants alliés. L’Inde a ainsi
sèchement repoussé en juillet les
offres de médiation du président
dans le dossier du Cachemire qui
l’oppose au Pakistan, avant
d’annuler brutalement le statut
d’autonomie du territoire.
Vendredi 9 août, Donald
Trump a également déploré le re
gain d’animosité entre Tokyo et
Séoul provoqué, sur fond de
contentieux lié à l’histoire, par le
retrait de la Corée du Sud de la
liste japonaise des pays bénéfi
ciant d’un statut privilégié pour
ses exportations. « La Corée du
Sud et le Japon sont sans cesse en
train de se battre. Ils doivent bien
s’entendre parce qu’ils nous met
tent dans une situation délicate »,
a reconnu un Donald Trump
manifestement désabusé.
gilles paris
Camions militaires et véhicules blindés autour d’un stade de football, à Shenzhen, le 15 août. AFP
L’influence des
Etats-Unis en Asie
est battue
en brèche par
les tensions qui
opposent certains
de ses plus
importants alliés
alors que les manifestations prodé
mocratie se poursuivent à Hongkong,
une vingtaine de députés La République
en marche (LRM) menés par JeanFrançois
Cesarini, élu du Vaucluse et président du
groupe d’amitié FranceTaïwan, ont signé
le 8 août une lettre ouverte pour dénon
cer le « silence assourdissant » des respon
sables politiques français. D’abord
adressé aux dirigeants chinois et hong
kongais, mais aussi aux manifestants, ce
texte de trois pages, qui appelle au dialo
gue, critique en creux la passivité du gou
vernement français.
Mercredi 14 août, la France a finalement
appelé « toutes les parties, en particulier les
autorités hongkongaises, à renouer le fil du
dialogue afin de trouver une issue pacifi
que à cette crise et de mettre fin à l’escalade
de la violence ». « Les manifestations à
Hongkong se poursuivent dans un climat
de plus en plus tendu. Cette situation fait
l’objet d’un suivi très attentif de la part de la
France, en lien avec ses partenaires, notam
ment européens », indique dans un com
muniqué le ministre des affaires étrangè
res, JeanYves Le Drian, qui souligne l’atta
chement de la France aux avantages du
statut d’autonomie du territoire : « L’Etat
de droit, le respect des droits de l’homme et
des libertés fondamentales ainsi que
l’autonomie du système judiciaire. »
Une réponse bienvenue mais « tardive »,
selon l’instigateur de la lettre ouverte, qui
s’étonne qu’« aucun mot sur des événe
ments aussi importants » n’ait été pro
noncé jusqu’alors en France. JeanFrançois
Cesarini précise qu’il ne s’agissait pas d’être
« moralisateur » ni de « faire de l’ingérence ».
« Je m’adresse surtout à nos oppositions, qui
ont sans doute plus de marge de manœuvre
que le gouvernement luimême », explique
le député du Vaucluse, qui dit entendre que
le gouvernement français souhaite rester
prudent pour ne pas froisser un partenaire
économique privilégié.
Pas la « bonne manière »
Cependant, ajoute M. Cesarini, ce qui fait
« la force de notre pays, c’est la séparation
des pouvoirs, et lorsque l’exécutif est un peu
empêché, alors le législatif, lui, peut parler ».
Le député LRM se dit convaincu qu’il est
nécessaire d’élever la voix « car ne pas le
faire peut laisser penser à la Chine qu’elle est
dans son droit et qu’elle a carte blanche ».
L’élu poursuit en expliquant que « plus le
gouvernement chinois verra que la commu
nauté internationale est mobilisée, plus il
fera attention avant d’envoyer les chars ».
Un nom ne figure pas dans la liste des si
gnataires de cette lettre ouverte, celui de la
députée LRM des Français d’Asie, d’Océanie
et d’Europe Orientale, Anne Genetet. Pour
M. Cesarini, l’élue n’a « sans doute pas, en
raison de ses liens avec la Chine, les mêmes
réalités de terrain que celle des signataires ».
Mais il n’exclut pas que ce retrait puisse
être perçu comme une « forme de lâcheté
ou de faiblesse ». Mme Genetet, membre du
groupe d’amitié FranceChine, explique ne
pas avoir aimé le ton « donneur de leçon »
de la lettre. Elle juge qu’il ne s’agit pas de la
« bonne manière de parler à la Chine ».
Le Parti socialiste s’est lui aussi étonné du
« silence de la France » et a appelé mercredi
à la « retenue et au dialogue », exprimant
« son soutien aux manifestants de Hong
kong dont les revendications démocrati
ques sont justes, et les craintes d’une dégra
dation de leurs libertés justifiées ».
La lettre des députés LRM n’a obtenu
aucune réponse. « Ni du président Macron,
ni du gouvernement, ni du premier minis
tre, ni du quai d’Orsay, ni de personne », re
grette JeanFrançois Cesarini.
minh dréan
Des députés LRM jugent « tardive » la réponse du quai d’Orsay
L’armée chinoise
est à « dix minutes
de Hongkong »
Le régime met en scène la présence
de ses troupes à Shenzhen, sur le continent
hongkong envoyé spécial
L’
armée chinoise tient à
faire savoir qu’elle est
prête, en cas d’interven
tion à Hongkong. Depuis quel
ques jours, des photos et des vi
déos de convois militaires chinois
massés à Shenzhen, la ville de
Chine continentale qui fait face à
Hongkong, se multiplient. Le pré
sident américain, Donald Trump,
a confirmé l’information dans un
Tweet publié mardi 13 août, alors
que le chaos créé à l’aéroport par
des manifestants hostiles à Pékin
atteignait son paroxysme. Les
photos montrent notamment
des dizaines de camions militai
res occupant un stade de football
à Shenzhen. Certaines montrent
également des tanks.
L’armée chinoise a diffusé une
photo assortie d’une menace ex
plicite : « Il faut dix minutes pour
atteindre Hongkong à partir du
stade de Chunjian près de la baie de
Shenzhen, et c’est à 56 km de l’aéro
port de Hongkong. » L’armée chi
noise disposerait de 6 000 hom
mes à Hongkong même, mais la
plupart des troupes seraient en
fait stationnées en Chine conti
nentale où les terrains sont moins
chers, et les manœuvres, plus
faciles à effectuer.
Plusieurs moyens d’intervention
La présence de troupes chinoises à
Shenzhen n’est pas une nou
veauté. Ce qui l’est, c’est que la
Chine les exhibe pour faire pres
sion sur les manifestants de Hong
kong. Depuis le 1er août, trois vi
déos ont été diffusées, montrant
des manœuvres de l’armée ou de
la police militaire chinoise effec
tuées à Shenzhen et faisant expli
citement référence à Hongkong.
Comme la rhétorique chinoise
qualifie désormais les manifesta
tions de « révolution de couleur »
et de « signes de terrorisme », une
action militaire ne peut être
exclue. Les responsables hong
kongais, quelle que soit leur cou
leur politique, sont convaincus
du contraire. Le coût politique se
rait selon eux trop élevé pour Pé
kin. Trente ans après le massacre
de Tiananmen, la Chine serait à
nouveau mise au ban des nations.
C’est aussi l’avis de Shi Yinhong,
expert des relations internationa
les de l’université Renmin à Pékin
et conseiller du gouvernement
chinois. « Je ne pense pas que nous
ayons besoin d’envoyer des troupes.
La police de Hongkong va progres
sivement renforcer son action et ils
n’ont pas épuisé leurs moyens », ex
pliquetil jeudi dans le South
China Morning Post, quotidien de
langue anglaise de Hongkong, pro
priété du patron d’Alibaba, Jack Ma.
Cet expert va même plus loin.
Jusqu’ici il était admis que le prési
dent Xi Jinping ne saurait accepter
que les manifestations antichinoi
ses troublent les commémora
tions du 1er octobre, date du 70e an
niversaire de l’arrivée au pouvoir
de Mao. Shi Yinhong est plus me
suré. « La Fête nationale est un
moment important, mais le gou
vernement chinois n’est pas assez
naïf pour croire qu’il y aura la paix
partout sur terre. (...) On peut être à
peu près sûrs que la guerre com
merciale va continuer et aucun
tournant majeur n’est en vue à
Hongkong », remarquetil.
La Chine a plusieurs moyens
d’intervention. Certains affirment
que d’ores et déjà des policiers de
Canton sont engagés au sein de la
police de Hongkong. Reste que les
Chinois, notamment après l’agres
sion dont a été victime, mardi, un
journaliste du quotidien chinois
Global Times à l’aéroport de Hong
kong, pris à partie par des manifes
tants, sont remontés contre Hong
kong, si l’on en croit les réseaux
sociaux. Il est loin d’être exclu que
des « faucons » chinois fassent
pression sur Xi Jinping en faveur
d’une intervention. Mais, pour le
moment, celui qui est également
président de la commission mili
taire centrale et donc chef des ar
mées ne semble pas avoir donné
son feu vert à une intervention.
frédéric lemaître
Les responsables
hongkongais
sont convaincus
que Pékin
n’interviendra
pas, car le coût
politique serait
trop élevé