Libertalia! Notre récit commence vers la n du e siècle,
en ces temps où Louis XIV est en guerre avec tout le reste de
l’Europe, à bord du Victoire, un vaisseau de trente canons
sur lequel nos deux héros ont embarqué à La Rochelle. Ar-
rivé du côté de la Martinique, il rencontre le Winchelsea, un
navire anglais, et l’a rontement est rude : tous les comman-
dants français sont tués par la première bordée des canons
ennemis. Le Victoire s’en sort par miracle. Misson, encoura-
gé par Carracioli, s’empare alors du sabre de capitaine. Il pro-
pose aux hommes d’équipage d’élire leurs o ciers et de ne
plus combattre désormais que pour leur propre compte :
« Notre cause est brave, juste, innocente et noble, car elle se
nomme liberté », s’exclame-t-il avant de faire hisser au mât un
étendard blanc frappé de la devise « A Deo libertate » (« Pour
Dieu et la liberté »). Vogue la galère, les voilà partis pour une
vie d’écumeurs de mers. De la Jamaïque à l’Angola, en pas-
sant par la Colombie et le Panama, ils capturent ou coulent
plusieurs navires anglais et hollandais. A chaque fois, ils
épargnent les marins rescapés, permettent à ceux qui le
veulent de s’engager à leurs côtés et laissent aux autres suf-
samment de vivres pour qu’ils puissent rejoindre le port le
plus proche. Et, dèles à leur cri de ralliement, lorsqu’ils
tombent sur un bateau négrier, ils rendent leur liberté aux
esclaves qui viennent également renforcer leur équipage...
GRÉGOIRE CACHEMAILLE COLLECTION PARTICULIÈRE
« Yo-ho-ho! et une bouteille de rhum! » Permettez-nous
exceptionnellement, cher lecteur, de nous verser un peu de
ce divin breuvage cher aux ibustiers de Robert Louis Ste-
venson. Oh, juste une goutte, histoire de nous donner le cou-
rage d’a ronter les périls d’un long voyage, qui nous fera tra-
verser mers et océans jusqu’à Madagascar et ses enchanteurs
rivages... Cette expédition, nous allons l’entreprendre dans
le sillage de quelques pirates restés fameux, Henry Avery,
William Kidd, James Plantain. Et surtout dans celui d’un jeune
huguenot d’origine provençale, Misson, et de son ami prêtre
défroqué, un Italien du nom de Carracioli. Avec leurs com-
pagnons, ils créèrent il y a bien longtemps, dans le nord de
la Grande Ile, une république utopique dont les idéaux ré-
volutionnaires n’ont cessé depuis d’imprégner de nombreux
imaginaires. Son nom? Il claque comme un coup de fouet :
Du Cap, ils remontent ainsi jusqu’à l’archipel des Comores,
avant de faire voile vers la pointe nord-est de Madagascar, la
baie de Diego-Suarez. Dans son Histoire générale des plus fa-
meux pyrates, publiée à Londres en -, le capitaine
Charles Johnson — qui ne serait autre que Daniel Defoe, l’au-
teur de Robinson Crusoé — raconte que Misson décida de
s’établir là, dans une petite crique qui o rait « un vaste havre
très sûr [...] ; l’air était pur, le relief égal. Il décida que c’était là
un asile idéal ». Nos aventuriers y construisent un port an-
qué de deux fortins, des maisons, des magasins. Surtout, ils
instaurent un système de gouvernement avec Assemblée
constituante, chargée de voter « des lois saines dans l’intérêt
du public ». Terres, bétail et trésor de guerre sont répartis
équitablement. Misson est élu à la tête de l’Etat, pour une
durée de trois ans, le mandat limité en temps permettant
LIBERTALIA LIBERTALIA LES ÎLESLES ÎLES
« Le cimetière
des pirates » sur
l’île Sainte-Marie,
au large de
la côte nord-est
de Madagascar.
Ci-contre : une carte
de Madagascar de
la in du XVIIe siècle.
A cette époque,
l’île abrita plusieurs
refuges de pirates.
☞
Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19