Télérama Magazine N°3630 Du 10 Août 2019

(Nancy Kaufman) #1


PHOTO12  ALAMY


JAMAÏQUE JAMAÏQUE LES ÎLESLES ÎLES


Macaron
d’un vinyle Island
Records, .

Avec son label Island Records, Chris Blackwell


di use jazz et ska jamaïcains auprès des DJ


antillais d’Angleterre. En , il découvre Bob


Marley et ses Wailers. La folie reggae est née.


Frédéric Péguillan


Chris Blackwell, il y a trente


ans, cédait Island au groupe Poly-


gram pour   millions de dol-


lars, avec le sentiment du devoir


accompli. Son label, l’un des


plus prestigieux et inventifs de


la seconde moitié du xxe siècle,


a placé la Jamaïque sur la map-


pemonde en faisant connaître


le reggae à la planète entière,


grâce à un certain Bob Marley.


Héritier d’une des familles les plus


aisées de l’île, qui a fait fortune grâce


aux esclaves dans la canne à sucre,


Blackwell a exploité une autre richesse de


son pays, la musique. Au cœur des Caraïbes,


la Jamaïque a subi des influences multiples :


africaine avec les esclaves, espagnole et anglaise avec


les colons, mais aussi américaine, plus tard, grâce aux


radios du sud des Etats-Unis. Mento, jazz, calypso,


rhythm’n’blues et soul n’ont cessé de résonner à Kingston.


Quand il rentre d’Angleterre où ses parents l’ont en-


voyé parfaire son éducation, le jeune Blackwell baigne


dans ce maelström de sons. Il aime se rendre à New York


et en rapporter des disques de jazz ou de rhythm’n’blues


qu’il revend aux opérateurs des sound systems jamaï-


cains. Admiratif du travail d’Ahmet Ertegün, patron d’At-


lantic aux Etats-Unis, il se met en tête de lancer son label


et enregistre en  At The Half Moon Hotel, album de


standards de jazz interprétés par le pianiste des Ber-


mudes Lance Hayward, première référence d’Island. Le


Jamaïcain a choisi le nom de son « bébé » en référence à Is-


land in The Sun, roman d’Alec Waugh, histoire de rivalité


politique sur fond de ségrégation raciale. L’année sui-


vante, il décroche son premier hit avec Boogie in My Bones,


de Laurel Aitken, le pionnier du ska. Island est lancé.


Mais dès , année de l’indépendance de la Jamaïque,


Blackwell installe ses bureaux en Angleterre, où le marché


lui paraît plus porteur. Il a passé un accord avec les gros pro-


ducteurs de l’île pour être leur distributeur. Et il parcourt


le pays au volant de sa Mini Cooper pour aller fournir les


échoppes des communautés antillaises de Londres, Bir-


mingham ou Manchester. Sachant que les radios ne di use-


ront pas ses productions et que la presse britannique igno-


rera ses disques de ska ou de reggae,


il adopte la méthode jamaïcaine :


alimenter les sound systems des


immigrés qui di usent ses vinyles


lors de leurs soirées dansantes.


Deux ans plus tard, coup de


maître : il fait réenregistrer par


Millie Small, chanteuse de  ans


qu’il a repérée en Jamaïque, My


Boy Lollipop, une mélodie sucrée


de . Ce tube de ska — six mil-


lions d’exemplaires  — change la


donne. Blackwell a du  air, ouvre le la-


bel au rock, et signe des artistes qui fe-


ront sa réputation, de Cat Stevens à Nick


Drake, de Jethro Tull à King Crimson. Mais


il laisse de côté les artistes jamaïcains, concen-


trés dans une nouvelle structure, Trojan Records.


Jusqu’à ce jour de  où il rencontre, à Londres, Bob Mar-


ley et ses Wailers (Bunny Wailer et Peter Tosh), dont il


avait écouté une bande des années auparavant, sans y prê-


ter attention. « Dès qu’ils sont entrés dans mon bureau, j’ai


senti chez eux un charisme exceptionnel. ». Malgré les ré-


serves de son entourage, il avance au trio la somme de


  livres, leur suggère d’intégrer synthétiseurs et solos


de guitare. Et ça paye! Catch a Fire pose les bases du « reg-


gae international », pour reprendre l’expression du poète


anglo-jamaïcain Linton Kwesi Johnson, qui rejoindra Is-


land en . Rebelotte quatre mois plus tard avec Burnin’,


dont Eric Clapton reprendra l’un des titres phares, I Shot


The Sheri. Bob Marley décroche son premier tube avec


No Woman, No Cry. Dès lors, Chris Blackwell fait dé ler


une foule d’artistes jamaïcains, signe des contrats à tour


de bras en jouant sur tous les registres : rock avec Bob Mar-


ley et Black Uhuru ; ska avec Toots and The Maytals ; dub


avec Lee Perry ; poésie dub avec Linton Kwesi Johnson ;


crooner avec Gregory Isaac ; roots avec Burning Spear ;


reggae urbain anglais avec Steel Pulse, etc. La déferlante


est impressionnante. Derrière sa tête de gondole Bob Mar-


ley, première superstar issue du « tiers-monde », le reggae,


musique d’une île moitié moins grande que la Sardaigne


et peuplée de trois millions d’habitants, résonne autour


du globe. Et rend le palmier du logo Island aussi célèbre


que le drapeau jamaïcain vert, jaune et noir •


Dans le sillon

des rastas

Dans le sillon

des rastas des rastas

Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19
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