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de Notre Grand Bleu s’est étendu bien au-delà de l’archipel.
De multiples antennes ont été créées tout au long des côtes
tunisiennes, à Tunis, Djerba, Sfax... Les membres, facile-
ment reconnaissables à leur polo bleu turquoise, se mobi-
lisent sur tous les fronts : brigades de nettoyage des plages,
interventions dans les écoles pour sensibiliser les enfants,
rencontres avec les pêcheurs, afin d’éveiller, chez eux aus-
si, une conscience environnementale — la plupart en sont
dépourvus, tuant ou estropiant volontiers les dauphins, ou
bien rejetant à la mer les tortues prises dans leurs filets,
alors même qu’elles sont presque toujours blessées...
Qui aurait cru au succès d’une pareille « bande de fous »,
se demande Ahmed Ghedira, autre fondateur de l’associa-
tion, aujourd’hui adjoint au maire de Monastir chargé de
l’environnement. Il sait à quel point Notre Grand Bleu fut,
pour eux tous, l’occasion ou jamais d’être reconnus et pris
au sérieux. « Avant la révolution, il était presque impossible,
en Tunisie, de s’impliquer dans le milieu associatif sans être
soumis aux pouvoirs politiques. Notre Grand Bleu fut une oc-
casion extraordinaire d’affirmer notre désir de démocratie.
Nous voulons en être les gardiens. Nous sommes fiers d’avoir
fait quelque chose pour ce pays. » Tandis que le hors-bord
vogue en direction des Kuriat, que l’on discerne à l’hori-
zon, Ahmed rend hommage à l’organisme qui, au départ,
a bel et bien cru en eux : « Le Conservatoire du littoral, en
France, nous a tout de suite fait confiance, bien avant que
nous soyons considérés dans notre pays. » Etablissement pu-
blic à caractère administratif, ce conservatoire a été créé
en 1975 sous la tutelle du ministère de l’Environnement, en
réponse à la bétonisation sauvage des côtes françaises. Il
avait pour première mission d’acheter un maximum de ter-
rains côtiers afin qu’ils restent un bien public, avec ce slo-
gan explicite : « Pour tous et pour toujours ».
« Les îles concentrent toutes les thématiques des littoraux
au carré : tourisme de masse, pollution... alors même qu’elles
sont des espaces plus fragiles et plus riches en biodiversité.
Elles sont donc un laboratoire exceptionnel », explique Odile
Gauthier, l’actuelle directrice du Conservatoire. La Médi-
terranée porte comme un fardeau un double record : pre-
mière destination touristique et mer la plus polluée au
monde. Destiné à aider les îles du bassin méditerranéen
(près de quinze mille) à faire face aux défis environnemen-
taux, le programme PIM (petites îles de la Méditerranée)
permet de partager un modèle (unique !) de gestion du ter-
ritoire : instituer des partenariats entre administrations et
associations. « Ce qui ne se voit nulle part ailleurs, tant les
forces étatiques et sociétales ont des façons différentes de fonc-
tionner », raconte Fabrice Bernard, à l’origine du PIM et
chargé des relations internationales au sein du Conserva-
toire. « Là où l’administration craint le militantisme du milieu
associatif, les associations redoutent la lenteur et les procé-
dures de l’administration. Pourtant, en travaillant ensemble,
les deux font des merveilles. » De l’Espagne à la Turquie, en
passant par la Libye, la Syrie, le Liban, l’Albanie, la Croatie,
le Conservatoire a travaillé, à ce jour, avec la quasi-totalité
des vingt-deux pays du bassin méditerranéen. Mais c’est la
Tunisie qui remporte la palme du partenaire le plus inves-
ti. « Une vraie success story », poursuit Fabrice Bernard.
Sur les quatre garde-côtes qui patrouillent chaque nuit
sur les deux îles de l’archipel des Kuriat pendant la saison
de nidification des tortues, de fin mai à fin août (une quin-
zaine de nids sont déjà recensés, une quarantaine de-
vraient l’être en tout, et c’est justement l’évolution de cette
situation qu’Ahmed suit sur place ce matin), deux sont rat-
tachés à l’administration, les deux autres étant issus de
Notre Grand Bleu. Au départ, il ne fut pas simple de faire
coopérer l’Apal (Agence de protection et d’aménagement
du littoral, entité administrative régionale) et les « fous » de
Les îles Kuriat
sont le lieu
de nidification
le plus stable en
Méditerranée
pour les tortues
caouannes.
« Si on ne fait rien, dans dix ans, les Kuriat
seront détruites. C’est pourquoi il faut
instaurer des quotas de fréquentation.
Et opter pour un tourisme écologique
et scientifique. » Tarek Baccouche, sous-préfet de Monastir
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