Télérama Magazine N°3630 Du 10 Août 2019

(Nancy Kaufman) #1

cinéma


62

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domiNo filmS

Une grande fille


Kantemir Balagov


En 1945, à Leningrad, deux femmes traumatisées lient un pacte tragique.


Le jeune réalisateur russe de Tesnota confirme la puissance de son art.


La guerre est
terminée, mais ses
répercussions se
font toujours sentir
pour Iya (Viktoria
Miroshnichenko).

,
on aime un peu

N
Beaucoup

B
passionnément

.
on n’aime pas

figurants. Sous l’influence des grands


maîtres de la peinture hollandaise,


Kantemir Balagov compose une pa-


lette subtile de rouges et de verts pour


exprimer à la fois l’antagonisme et la


complémentarité de ses deux hé-


roïnes, la corrosion de leurs rapports


et l’espérance malgré tout.


Ces portraits de femmes blessées


ne seraient pas aussi admirables sans


les personnages secondaires que le


réalisateur parvient à faire exister en


quelques scènes inoubliables. Le mé-


decin-chef victime de sa trop grande


compassion pour ses patients, le vété-


ran paralysé qui refuse de devenir


« l’enfant » de ses filles, le jeune puceau


fou amoureux de Masha ou cette appa-


ratchik qui a dû s’endurcir pour s’im-


poser dans un monde d’hommes : ils


forment une humanité souffrante en


quête de bonheur. Et nous boule-


versent. — Samuel Douhaire


| Dylda, Russie (2h17) | Scénario : K. Balagov


et Alexandr Terekhov, d’après La guerre


n’a pas un visage de femme, de Svetlana


Alexievitch. Avec Viktoria Miroshnichenko,


Vasilisa Perelygina, Timofey Glazkov.


Lire notre précédent numéro, p. 26.


Sortie le 7 août.


b


Après Tesnota, une vie à


l’étroit (2017), portrait choc


d’une jeune fille du Caucase


en rébellion contre un mariage forcé,


Kantemir Balagov était attendu au


tournant. Le cinéaste russe allait-il


confirmer les promesses de son im-


pressionnant premier long métrage,


tourné à tout juste 25 ans? Une grande


fille, prix de la mise en scène à Un cer-


tain regard lors du dernier Festival de


Cannes, apporte une réponse écla-


tante : par sa capacité à mêler les des-


tins individuels à la grande histoire, par


sa direction d’actrices empathique et


par sa réalisation puissante, le disciple


un brin rebelle d’Alexandre Sokourov


est bien de la trempe des plus grands.


Automne 1945 à Leningrad. Iya et


Masha, démobilisées de l’Armée rouge,


sont aides-soignantes dans un hôpital


militaire. La guerre est finie, mais ses


répercussions se font encore sentir


dans le corps fracassé des anciens


combattants comme dans la psyché


traumatisée des deux amies. Iya,


grande blonde timide (Viktoria Mi-


roshnichenko, dont le visage rappelle


Tilda Swinton), est victime de crises de


paralysie temporaire. Masha, petite


rousse volubile (Vasilisa Perelygina,


formidable révélation), est revenue


stérile du front. La première est l’in-


carnation de la bonté, la seconde a la


rage au cœur : un pacte tragique va les


lier, transformant leur sororité en une


relation à la fois complice et toxique...


Après la caméra à l’épaule en mou-


vement permanent qui enserrait l’hé-


roïne de Tesnota dans des cadres op-


pressants, la mise en scène est ici plus


posée. Mais les plans-séquences, où la


tension naît de la durée, n’en sont pas


moins virtuoses, que le cinéaste filme


des dialogues intimistes ou un acci-


dent de tramway avec des dizaines de


Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19
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