Télérama Magazine N°3630 Du 10 Août 2019

(Nancy Kaufman) #1

lundi


98 t On aime un peu... y ... beaucoup u ... passionnément r ... pas du tout I Pas vu mais... faut voir


tnt


t 23.30 France 3 Documentaire

Simone et André Schwarz-Bart,


la mémoire en partage


| Documentaire de Camille Clavel (France, 2018) | 50 mn. Inédit.
La scène se déroule le 17 mai 1959, au pied de la station de métro
Cardinal-Lemoine, à Paris. Rayonnante dans son manteau rouge,
la jeune Simone Brumant a rendez-vous avec André Schwarz-
Bart, de dix ans son aîné, en pardessus mal ajusté. L’homme s’ap-
prête à déposer un manuscrit aux éditions du Seuil — Le Dernier
des Justes, bientôt couronné du prix Goncourt. En créole, il sou-
ligne ses origines guadeloupéennes, et « c’est comme si j’avais ren-
contré quelqu’un de mon sang », raconte la vieille dame. Dans les
veines de l’Antillaise autant que dans celles du Juif coule en effet
la mémoire de l’esclavage, qu’ils n’auront plus de cesse d’interro-
ger et d’entretenir. Ensemble, ils publieront Un plat de porc aux
bananes vertes. Seule, elle signera l’incontournable Pluie et vent
sur Télumée Miracle. Et c’est seule encore que, dans sa maison
d’enfance, l’écrivaine retrace leurs deux parcours littéraires. Sa
belle voix grave et ses mots précis agissent comme un charme
que la répétitivité des images et l’absence d’intervenants
extérieurs finissent, hélas, par rompre.
Même respectueusement caressés par une caméra ralentie,
ni les tableaux, ni les sculptures, ni les brumes qui claustrent le
paysage n’en disent assez pour ajouter au récit de ces deux vies
si remplies. — Aude Dassonville

y 0.20 France 3 Documentaire

La Dernière d’entre elles


t 22.30 Arte Film

Mr Long


| Film de Sabu (Ryu san, Japon/Taïwan/Hongkong, 2017) | 125 mn. VM.
Inédit | Avec Chen Chang, Yi Ti Yao, Run-yin Bai, Taro Suwa, Sho Aoyagi,
Masashi Arifuku, Ritsuko Ohkusa, Shiiko Utagawas.
| GenRe : TUeUR BOnne pâTe.
En compétition à la Berlinale 2017, puis resté inédit en France, ce
polar suit le parcours d’un tueur à gages mutique taïwanais qui,
après une mission ratée à Tokyo, se planque au creux d’un tau-
dis au Japon. Dans ce quartier sens dessus dessous — représenta-
tion du délabrement physique et mental du héros —, il rencontre
une prostituée héroïnomane, le jeune fils de celle-ci, plus une
poignée de voisins bienveillants qui l’encouragent à ouvrir son
restaurant ambulant de nouilles, tant il se révèle doué aux four-
neaux. Soit l’espoir d’un changement d’identité et d’une recom-
position familiale.
Le réalisateur est plus à l’aise avec la douceur des scènes culi-
naires (préparation de pâtes au bœuf ou au poisson, trajets ur-
bains à pied avec le stand sur une charrette) qu’avec la violence
gratuite des premières séquences. Son film n’est pas exempt de
scories : musique intempestive, montage parfois sommaire, ra-
lentis encombrants. Résultat : un curieux mélange, entre L’Eté de
Kikujiro (Takeshi Kitano, 1999), pour l’association gamin-gangs-
ter, et Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase, 2015), pour la cuisine
qui redonne goût à la vie. — Nicolas Didier

Rosette, la dernière
d’un petit groupe de
femmes rescapées
d’Auschwitz,
dont faisait partie
la grand-mère
du réalisateur.

| Documentaire de pierre Goetschel (Fr, 2018)
| 50 mn. Inédit.
En 2014, avec L’Héritage retrouvé, Pierre
Goetschel nous livrait un premier frag-
ment précieux de son histoire familiale.
Au terme d’une inestimable investigation,
il mettait au jour le rôle de ses grands-pa-
rents Fernande et Gustave dans l’accueil,
en 1940, à Limoges, des réfugiés juifs et
communistes fuyant tout à la fois l’an-
nexion de l’Alsace par le IIIe Reich, et les
lois liberticides du régime de Pétain. Chro-
nique d’une ville de zone libre, des solida-
rités nouées entre nationaux et étrangers,
de la structuration de réseaux d’entraide,
le film, au-delà de l’exhumation d’une mé-
moire singulière, se révélait dévoilement
d’un pan de résistance méconnu. Et les

rapports des RG sur « l’activisme hostile »
des Goetschel, évoqués à la fin du docu-
mentaire, ne présageaient rien de bon.
En février 1944, les grands-parents du
réalisateur sont déportés à Auschwitz-Bir-
kenau. Lui mourra, elle survivra. A son re-
tour, elle jettera sur le papier le souvenir
de ses dix-sept mois de captivité. Un ma-
nuscrit inachevé que Pierre Goetschel ne
découvrira que quarante ans plus tard, à
son décès. Dès lors, il se lance dans la
traque des images manquantes de Fer-
nande. Un petit film muet, tourné dans les
années 1960 à l’occasion de retrouvailles
entre revenantes d’Auschwitz, va lui per-
mettre de mettre des visages sur des noms
glanés dans le journal de sa grand-mère.
Tandis que Louise et Suzanne ont publié

leur témoignage dès l’après-guerre,
Rosette a, elle, gardé le silence. Person-
nage central du film, belle femme indomp-
tée douée d’humour noir, elle fait, à 94 ans,
le lien entre les différents récits, qui se
répondent, se complètent.
Travail d’orfèvre, tant elle tisse avec
subtilité archives, témoignages, lec-
tures, filmage contemporain du camp...,
l’enquête de Pierre Goetschel interroge
autant le passé que le présent. Mis bout
à bout, ces fragments dessinent une
histoire que la disparition des derniers
témoins menace d’ensevelir à nouveau.
A l’heure où nationalisme et xénopho-
bie ressurgissent, que nous reste-t-il
d’Auschwitz? — Marie Cailletet
Le film existe dans une version de 70 mn.

Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19
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