cause de la crise et de l’augmenta-
tion des prix de l’électricité et du
gaz (+1000% en trois ans), Maria a
dû fermer sa petite boutique d’ali-
mentation, et les clients du salon de
tatouage de Matias se font rares.
OMBRE
Tous les matins, comme les autres
commerçants de la zone, il ouvre sa
boutique bien plus tôt qu’avant pour
être sûr de n’en rater aucun. L’am-
biance est morose alors que le jour
se lève. Le coiffeur et le boucher de
l’angle s’invectivent en balayant
le trottoir: l’un a voté pour Macri,
l’autre non. Les élections qui arri-
vent et la crise qui s’enlise échauf-
fent les esprits. Pour payer les men-
sualités de la maison (13800 pesos
en août 2018, 23000 aujourd’hui),
tout superflu a été abandonné: fini
le foot et le taekwondo pour les deux
fils du couple, qui ont aussi été reti-
rés de l’école privée du quartier.
Plus de sorties évidemment, plus de
premières marques.
Le couple était sur le point de rési-
lier sa mutuelle de santé, mais Ma-
tias a été diagnostiqué en début
d’année d’une sclérose en plaques.
Or l’Etat argentin, qui a supprimé
l’année dernière le ministère de
la Santé par souci d’économie, a
également arrêté de prendre en
charge les soins de ces malades.
Priorité à la santé, Maria et Matias
ne peuvent plus payer leurs men-
sualités depuis trois mois et ont mis
leur maison en vente. Ils avaient
emprunté 1400000 pesos. Un an
après, ils en doivent près du double.
Pour l’instant, aucune saisie n’a eu
lieu malgré des situations parfois
très tendues. Il se murmure que le
gouvernement a passé un accord
avec les banques pour que celles-ci
attendent après les élections fin
octobre, afin d’éviter un problème
supplémentaire à justifier durant la
campagne pour sa réélection.
Mais après? L’ombre de la crise des
subprimes plane, même si la situa-
tion argentine est bien différente de
celle des Etats-Unis en 2008. Les
prix de l’immobilier, d’abord artifi-
ciellement boostés par les crédits
UVA, sont retombés bien vite et se
sont stabilisés. Les hypothèques
détenues par les banques n’ont pas
été regroupées et revendues sur le
marché financier. Mais pour des
centaines de milliers d’Argentins,
l’expérience des crédits UVA est dé-
sastreuse.«Beaucoup risquent de
perdre leur maison mais pour nous
tous, cela signifie une perte dras-
tique de pouvoir d’achat, alors que
ce n’était pas ce qui nous a été vendu,
explique Federico Wahlberg, éco-
nomiste de 37 ans et également dé-
tenteur d’un crédit UVA.Il s’agissait
de publicité mensongère: aucun mé-
canisme de contrôle n’a été mis en
place, aucun plafond.»
«L’ÉTAT, RESPONSABLE»
Alors les «hypothéqués UVA» se
sont rassemblés, organisés à travers
des réseaux sociaux. Ils demandent
un gel des taux, de leur capital, un
frein à cette escalade. Une période
de grâce aussi, pour les nouveaux
et très nombreux chômeurs
(200000 juste cette dernière an-
née). Autour de la grande table, tous
insistent:«On ne veut pas d’assista-
nat, juste que l’Etat et les banques se
responsabilisent.»C’est un espace
de lutte, ils tentent de profiter de la
campagne pour rencontrer les can-
didats, obtenir une plateforme mé-
diatique, un moyen de pression. Les
plus calés rappellent aux autres ce
qu’est un hashtag sur Twitter, com-
ment l’utiliser tous en même temps
pour être plus visibles.
L’espacedelaréuniond’aujourd’hui,
le premier étage d’une salle des fê-
tes, est prêté par une amie des orga-
nisateurs. Chacun a apporté un peu
decafé,dematé,desbiscuits.Onen-
tend les rires d’enfants de l’anniver-
saire organisé au rez-de-chaussée.
«Ce collectif me fait du bien,dit sim-
plement Gianina.Savoir que l’on
n’est pas tout seuls.»Pour beaucoup,
en plus de la dureté de la situation,
il a fallu surmonter une certaine
hontepourvenir.Celledudindonde
la farce, de celui qui s’est fait arna-
quer.Comment,dansunpayssiins-
table, avoir contracté un crédit in-
dexé sur l’inflation?
Federico Wahlberg, en tant qu’éco-
nomiste, a reçu son lot de plaisan-
teries douteuses sur la question.
«Mais personne n’avait vu venir
cette dégringolade, ni le Président ni
les analystes. On nous a vendu un
produit vérolé en jouant sur le rêve
de l’accession à la propriété. L’Etat
doit être tenu responsable et appor-
ter une solution de fond. La question
du logement ne peut pas être aux
mains des banques.»Une énième
pierre dans la chaussure du prési-
dent Macri, qui s’approche des élec-
tions en claudiquant.•
par quatre face au dollar et l’inflation cumulée a dépassé les 200 %.PHOTO MARCOS BRINDICCI. REUTERS
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