Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u III
decin-chef qui l’examine à l’infirmerie
du dépôt quai de l’Horloge constate:
«Ne répond à aucune question. Crie,
pleure. Voit des hommes sur les toits.»
Elle passe trois jours à Sainte-Anne
avant d’être transférée au Perray-Vau-
cluse, à Sainte-Geneviève-des-Bois.
Paul Eluard et Louis Aragon n’eurent
pas la permission de la voir. On ne sait
pas jusqu’à quel point André Breton es-
saya. Il lui aurait écrit en tout cas, mais
la famille a brûlé après sa mort toute la
correspondance reçue par Léona. Elle
ne sortira jamais de l’institution psy-
chiatrique. Sur les supplications de ses
parents, elle est transférée à l’asile
de Bailleul, près de chez eux, le
16 mai 1928. Il ne faudra pas moins de
trois infirmières pour l’emmener et la
maintenir.«Démence précoce avec inco-
hérence intellectuelle et impulsivité»,a
diagnostiqué le docteur Paul Courbon.
C’est à la pugnace Hester Albach que
l’on doit l’exhumation des documents
psychiatriques concernant Nadja. On
lui doit aussi le récit de sa triste vie. Elle
a trouvé le tombeau familial à Saint-
André (Nord) et celui sans épitaphe de
Léona à Bailleul. Léona avait donc eu
une fille, Marthe, en janvier 1920, d’un
soldat anglais disparu dans la nature.
Hester Albach parvient à entrer en
contactavecGhislaine,l’undessepten-
fants de Marthe.«Madame,lui dit
celle-ci lors d’un coup de fil,ça fait plus
de trente ans que j’espère un coup de té-
léphone comme le vôtre. Vous venez me
voir et vous resterez quelques jours,
n’est-ce pas ?»
«Cachexie néoplasique»
Martheavaittoujoursrefusédeparlerde
sa mère.«Dans la famille, on rendait
Breton responsable du drame qui avait
frappé Léona.»Elleluiconfiedesphotos
de son aïeule. Elle lui dit ce qu’elle en
sait,l’enviedeLéonadetentersachance
à Paris, de dessiner des costumes de
théâtre. Elle lui montre le journal du
suivi de sa grand-mère à l’asile. Des an-
nées sans évolution notable, des anno-
tationsdésespérantes.Elleestmortede
«cachexie néoplasique»enpleineguerre,
aprèsquinzeansd’enfermement.Onne
peuts’empêcherderapprochersonsort
de celui de Camille Claudel, morte
de malnutrition à l’asile de Montfavet,
le 19 octobre 1943.
André Breton n’a jamais revu Léona. Il
a été contacté à la fin de l’été 1960 par
une assistante sociale de Sainte-Anne
qui avait reçu des lettres d’une Norvé-
gienne se prétendant Nadja. Elle avait
aussi harcelé Breton. Il expliqua dans
une lettre«pourquoi cette femme ne
pouvait être la vraie Nadja (taille trop
petite, origine norvégienne), mais sur-
tout, il signala: “Je crois que le vrai nom
de Nadja devait être Hélène Delcourt.”
Il demandait aussi tout renseignement
qui pourrait l’éclairer sur ce qu’était
devenue Nadja après son interne-
ment.»(5) En raison de sa confusion
sur le prénom, on ne trouva pas trace
de son passage. André Suite page IV Portrait de Léona Delcourt, connue sous le nom de Nadja.PHOTO FINE ART IMAGES. HERITAGE IMAGES. COLL. CHRISTOPHEL