Liberation - 2019-08-10-11

(Ron) #1

XII u Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019


Parmi toutes les stratégies
employées par les peintres
pour cacher les parties intimes
de leurs personnages, il y a
celle qui consiste à les montrer
quand même. Dans leur li-
vreCache-sexe(La Martinière,
2014), Sylvie Aubenas et Phi-
lippe Comar reproduisent une
scène de bain dessinée par
Dürer vers 1496, dans laquelle
il a placé juste devant le bas-
ventre d’un baigneur... un robi-
net de belle taille. On fait diffi-
cilement plus premier degré
pour décrire l’intimité mascu-

line sans risquer la censure. Il
faut reconnaître que pour mas-
quer les bites, les artistes ne se
sont souvent pas embarrassés
de métaphores subtiles. Ils ont
copieusement utilisé des objets
phalliques: nœud fait avec les
plis d’un vêtement, branche,
gourdin, mâchoire d’âne, ser-
pent... et bien sûr épée (ou
fourreau d’icelle).
Dans cette scène peinte en 1799
par David, on voit Tatius, chef
des Sabins, qui est parti à la
guerre vêtu seulement d’un
casque et d’une cape rouge.
Pour dissimuler son sexe plane
comme en lévitation un four-
reau, faisant presque penser à
une érection. On a déjà parlé
de l’incongruité sensuelle de ce
tableau dans lequel des beaux
jeunes hommes sont partis nus
au combat. Il est d’ailleurs éton-

nant de constater que personne
ne reconnaît David comme un
peintre érotique.
Parce qu’il se doutait bien que
la chose pourrait être jugée bi-
zarre, l’artiste s’est fendu d’un
texte: c’est laNote sur la nudité
de mes héros. «Mon intention,
en faisant ce tableau, était de
peindre les mœurs antiques
avec une telle exactitude que les
Grecs et les Romains, en voyant
mon ouvrage, ne m’eussent pas
trouvé étranger à leurs coutu-
mes»,écrit-il. Assumer n’être
«pas étranger»aux«mœurs»
des Grecs, lu avec nos yeux
d’aujourd’hui, ça ressemble à
un coming out, non?
GUILLAUME LECAPLAIN

LE WEEK-END PROCHAIN
«THÉSÉE RECONNU PAR
SON PÈRE», DE FLANDRIN

PASSER SOUS LE FOURREAU


Couvrezcesexe...
(5/7)Exploration
des techniques
artistiques de
dissimulation intime.
Cette semaine, David.

11 août: sainte Suzanne


On pourrait ricaner sur ce délicat
dicton qui parle de Suzette et de son
«veau bien venu qui tête».On aurait
tort car l’histoire est édifiante. En
fait, Suzette c’est Suzanne, cette
pauvre fille surprise au bain par
deux vieillards lubrico-séniles qui,
furax que leurs avances soient refu-
sées par la vertueuse juive, l’accu-
sèrent d’adultère, ces salopards.
Heureusement, le prophète Daniel
passait par là.
Il rétablit la vé-
rité et les deux
dégoûtants
furent lapidés,
ce qui pourrait
donner des
idées de châti-
ments à notre
époque de har-
cèlement per-
manent (non
pas moi, passé
50 ans, il ne m’arrive jamais rien de
ce type). Un peu sévère, certes, mais
bon! La sainte Suzanne qu’on fête,
elle, a eu une fin beaucoup moins
jolie dans sa lutte contre le mâle
dominant. Car sainte Suzanne, ce
n’est pas celle des tableaux avec
les deux vieux, c’est celle qui a été
égorgée au IIIesiècle après JC parce
qu’elle ne voulait pas céder aux
avances du fils de Dioclétien.
On choisit sa version, quoi...
EMMANUÈLE PEYRET

LES JOURS


QUI PASSENT


DOMAINE PUBLIC


De quoi je me mêle?


Neuf: le demi de mêlée au rugby,
dont votre servante n’a jamais de sa
vie regardé un match mais ça n’em-
pêche pas de parler du 9 au rugby.
Si on commençait à ne parler que
de ce qu’on connaît, où irait le jour-
nalisme... On nous dit sur Wikip’
que le neuf, c’est le plus petit joueur
de l’effectif. Ses qualités premières
sont l’intelligence tactique, le vice
et l’agilité. Voilà! Ça, ça me parle, le
petit dont on se moque dans la rue
et les dîners, mais qui est vicieux et
«tactique» sur le terrain et qui, para-
doxalement vu son gabarit, com-
mande sur de nombreuses phases
de jeu la stratégie des avants qui
sont plus imposants... Pas tout com-
pris mais je vais me renseigner s’il
n’y a pas une équipe qui embauche
des joueuses à partir d’1,59 m.E.P.

QUOI


DE NEUF


Suppôts de safran


Très prisé des chanceux ou des in-
quiets pour ses vertus supposément
aphrodisiaques, l’œuf au safran ne
convient pas à toutes les bourses,
vu le prix de son épice rouge magi-
que. Cette association a cependant
franchi les pays et les époques grâce
à d’innombrables recettes, les plus
simples qui soient, œufs brouillés
ou cocotte. Il existe aussi un plat
antique et très frais d’œufs farcis
aux herbes potagères et safran re-
montant au XVesiècle, imaginé par
Martino da Como, alias «Maestro
Martino», ce cuisinier du Tessin
(aujourd’hui en Suisse) qui régala
les puissants de la Renaissance ita-
lienne à Naples, Udine (dans le
Frioul), Milan et Rome.
A l’époque, dans la continuité des
banquets du Moyen Age, les cours
européennes, y compris en France,
raffolent d’œufs farcis. Le procédé
demeure aussi simple qu’astucieux:
les œufs sont cuits durs, le jaune
étant ensuite mêlé à diverses épices
pour former une pâte qui vient gar-
nir l’emplacement du jaune. Le mets
se mange réchauffé au beurre ou à
la graisse de bœuf, voire frit, avec un
possible enrobage de miel. Maestro
Martino envisage une farce goû-
teuse mais sans aromates trop cor-
sés, afin d’exalter le goût naturel des
aliments de base. L’emploi de raisins
secs équilibre le plat selon la tradi-
tion salé-sucré de l’époque. Le
safran, lui, signe l’opulence des
mangeurs couronnés bien qu’il
puisse provenir des sols européens
et pas nécessairement des routes de
caravelles et caravaniers en prove-
nance d’Orient... Cette recette que le
cuisinier consigne dans son recueil
majeur,Libro di Arte Coquinaria,a
été adaptée cinq cents ans plus tard
par Michèle Barrière dans un roman
historique,le Sang de l’hermine(1).
Pour 4 personnes, il faut 4 œufs, 30g
de raisins secs, 3 cuillères à soupe de
ricotta, 1 cuillère à soupe de parme-
san, quelques herbes hachées (men-
the, marjolaine), 5 pistils de safran,
une cuillère à soupe d’huile d’olive
sel et poivre. Cuisez les œufs durs
(9-10 minutes) et retirez la coquille
sous un filet d’eau froide. Coupez
les œufs en deux dans le sens de la
hauteur, retirez le jaune. Mélangez
le jaune avec les autres ingrédients.
Farcissez les œufs avec le mélange.
Disposez-les dans une poêle chauf-
fée avec l’huile d’olive et faites reve-
nir cinq minutes. Servez tiède.
JACKY DURAND
(1) Le Sang de l’hermine,de Michèle
Barrière, JC Lattès, 2011.

VA TE FAIRE


CUIRE


UN ŒUF


Les Sabines(détail), de Jacques-Louis David, 1799, musée du Louvre.DOMAINE PUBLIC

ÉTÉ / ZAKOUSKIS/ ZAKOUSKIS

Free download pdf