Monde-Mag - 2019-08-10

(lu) #1
10 août 2019 —MLemagazine du Monde

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signes qui, sans entamer définitivement sa jeunesse, annoncent son inévi-
table vieillissement. C’est bien entendu ce que recherchait le réalisateur de
Pul pFiction pour Once UponaTime... in Hollywood :unacteur vieillissant,
réalisant soudain que sa carrière se trouve derrière lui. Rienàvoir avec l’es-
clavagiste flamboyantets adique de Django Unchained où Tarantino captait,
au contraire, l’insolente jeunesse de DiCaprio. Ici, il recherche les derniers
feux du comédien. « Il me faut parfois accepter que je suis plus près de la fin
que du début»
,ajoute DiCaprio.
Un détail en particulier perturbait ce dernier dans Once UponaTime...
in Hollywood
:lacoupe banane qu’il porte au début du film. «Vous savez,
tout est réglé dans les vingt premières minutes,
constate DiCaprio. On voit,
les images de
Bounty Law ,las érie télé quiarendu Rick Dalton célèbre, puis
de
The 14 Fists of McCluskey ,lefi lm pour lequel les spectateurs se souviennent
delui. Puis on le découvre dans un bar,àl’occasion d’un rendez-vous avec son
agent ,etonréalise qu’il est le seulàporter une banane. Elle est bizarre. J’ai senti
àcemoment que les choses ne se passeraient pas comme prévu.»
La banane est
bien le détail qui tue.Elle annonce symboliquement la mort de son personnage,


signalant son décalage avec l’époque, qui était plutôt aux cheveux longs. «C’est
tou tlet ruc,
insiste QuentinTarantino. Rick Dalton appartientàune génération
de vedettes qui devaient êtreàlafois masculines et aimables. En deux ans, le
physique des acteursachangé:les stars étaient devenues androgynes, fluettes... Si
on avait offertàRick Dalton le rôle tenu par JonVoight dans
Macadam Cowboy ,
où il se fait quand même sucer par un mec dans un cinéma, un énorme succès quand
il sort en mai 1969, il aurait trouvé le film obscène. Il ne l’aurait jamais fait. Il se
serait senti insulté.»

Pendant le tournage,c’est entre Pitt etTarantino que la complicité s’est révélée
la plus naturelle.Avec un DiCaprio en retrait.Question de génération,d’abord :
Tarantino et Pitt sont nés la même année, en 1963. En 1969, ils regardaient
les mêmes séries télévisées, avec un goût prononcé pour Mannix ,qui mettait
en scène un détective privé et, fait notable pour l’époque, une sculpturale
assistante noire.Avec son usage du split screen et la musique jazzy de Lalo


Schifrin, Mannix apparaissait comme l’une
des rares séries pop de la télévision améri-
caine.Pendant la préparation de Once Upon
aTime... in Hollywood ,Pitt, DiCaprio et
Tarantino se sont régulièrement retrouvés
dans la maison du réalisateur pour lire son scé-
nario. Ilsyregardaient aussi des films, sortis
autour de 1969. Un jour,Brad Pitt apporte un
DVD de Billy Jack, de et avecTomLaughlin,
un classique mineur de la contre-culture sorti
en 1971, sur un métis blanc et navajo, vétéran
duVietnam.Tarantino avait prévu de projeter
ce soir-lààses deux acteurs la copie 35 mm
du même film. «Legenre de coïncidence
que j’adore» ,conclutTarantino. Lui et Pitt
se découvrentégalementune passioncom-
mune pour une série télévisée western,
Opération danger ,diffusée entre 1971 et
1973, sur deux hors-la-loi acceptant des mis-
sions secrètes du gouvernement américain
contre une amnistie pour leurs crimes passés.
Un souvenir douloureux aussi car la vedette
de la série, Pete Duel, allait se suicider.Brad
Pitt etTarantino n’étaient encore que des
enfants et c’était la première fois qu’ils enten-
daient ce mot,«suicide», sans bien com-
prendre ce qu’il recouvrait.L’ acteur s’était
réfugié dans sa chambre, sans allumer la
lumière, pour sangloter.Face àces apartés,
Leonardo DiCaprio se sentait parfois de trop.
Suffisamment âgé pour incarner l’acteur
défait du film, mais trop jeune pour avoir
connu l’espace-temps dans lequel il évolue :
«Jener egarde pourtant que des films en noir
et blanc, se défend-il. Je n’écoute que de vieilles
chansons, je vis dans la nostalgie, j’en suis à
regarder La Dame du vendredi, deHoward
Hawks, un film réalisé ilyaplus de soixante-
dix ans. J’en suis là,àm’épanouir dans le
passé. Mais comparéàces deux-là, je n’étais
pas toujours dans le ton.»
Pitt et DiCaprio se sont pourtant croisés,sans
se rencontrer,audébut des années 1990,
dans la même série télévisée, Quoi de neuf
docteur ?. Àseulement 16 ans, DiCaprio
tenaitun des rôles principaux,recevant le trai-
tementprincier de future star pour lequel
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