pour récupérer un mouvement et se placer en tête des cor-
tèges.» Une prudence partagée par le sénateur Retailleau : «Je
suis parlementaire. On n’attend pas de moi que je batte le
pa vé,maisque je fasse des propositions.» Quand certains
s’engagentàfond, commeGuillaumePeltierqui souhaite que
Les Républicains «deviennent le parti de la justice sociale » ,
d’autres restentàdistance, se contentant de recevoir leurs
administrés dans leurs permanences électorales.Le député
du Lot Aurélien Pradié fait partie de ceux-là : «J’ai senti que
ce mouvementn’étaitpas récupérable, assure-t-il aujourd’hui.
Il était trop hétérogène. Sur les ronds-points, on voyait aussi
bien des infirmières libérales que des gens en grande préca-
rité. »«Avant même les violences, on comprend que ça nous
dépasse. On sent que ce n’était pas maîtrisable, que ça peut se
retourner en mouvement antiélite. Ilyavait un côté éruptif» ,
embraye Geoffroy Didier quiarefusé de rencontrer des
«gilets jaunes ». «Sur un péage de l’autoroute de Normandie,
je les ai vus regarder dans les voitures, ils faisaient ouvrir les
coffres, je les ai trouvés intrusifs et vindicatifs » ,poursuit-il.
Les responsables LR avancent en ordre dispersé, mais ils se
retrouvent unis sur l’essentiel:cesentiment rafraîchissant
de sortir enfin de l’ornière et de voir leurs opposants s’enli-
ser. Quand soudain, patatras!
Le 1erdécembre, la manifestation de Paris tourneàl’aigre. Des
groupes de casseurs saccagent les beaux quartiers, des voitures
sont brûlées, des magasins pillés, les forces de l’ordre violem-
ment prisesàpartie.L’ Arc de triomphe, qui abrite la tombe du
Soldat inconnu, est attaqué. La France se réveille groggy.Le
mouvement, soutenujusque-làpar une grande majorité, voit
sa popularité s’émousser.Pour l’électorat de droite, très atta-
ché au maintien de l’ordre etàlasécurité, il est hors de ques-
tion de cautionner brutalités et dérapages. «L’Arc de triomphe
est un choc.Àpartir de là, l’opinion se renverse » ,constate
Éric Ciotti.ÀNice, il perçoit un changement de ton : «Les
commerçants se plaignent du manqueàgagner,les catégories
privilégiées craignent un climat insurrectionnel. »
M
ême si çaluicoûte,
laurentWauquiez
comprend qu’il lui
faut modifier son
discours, d’autant
plus que, dans son
fief de Haute-Loire,
la préfectureaété
incendiée. Dès le
2décembre, il
condamne globalement les violences, mais un flottement
s’installe. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que le prési-
dent de LR n’est pas très clair,notamment avec ce qui se passe
dans sa région. Après avoir attisé la colère pendant des jours,
sympathisé avec les«gilets jaunes»les plus remontés, été en
conflit dur et larvé avec le préfet, il est resté longtemps éton-
namment silencieux aprèsl’incendie du bâtiment. En ce mois
de décembre, une question se poseàlui commeàl’ensemble
des responsables LR:comment continueràsoutenir les
revendications des manifestants tout en dénonçant des débor-
dements que l’opinion ne tolère pas?C’estàunvéritable
numéro d’équilibriste que doivent se livrer les dirigeants du
parti, qui tentent dans un premier temps de ménager la chèvre
et le chou. «Même si on essaye de faire la différence entre
“giletsjaunes” et cagoules noires, nous sommescontraints
d’opérer un mouvement de recul, constate Bruno Retailleau.
Notre ADN, c’est l’ordre républicain et l’autorité de l’État.»
Le gilet jaune désormais souillé est remisé au fond du coffre
desvoitures des caciques de la droite. Si bien caché que cer-
tains semblent ne pas se souvenir de l’avoir porté un jour.
Interrogé le5décembre sur France 2, LaurentWauquiez
assure ainsi qu’il ne l’a jamais enfilé. Confrontéàdes images
le montrant avec la chasuble fluo sur le dos le 24 novembre
devant la préfecture du Puy-en-Velay,ilplaidera ensuite le
trou de mémoire. Le mal est fait:déjà considéré comme insin-
cère parune grande partie de l’opinion, il perd le peu de crédit
qui lui reste. Les ténors des Républicains peinent encore à
comprendre ce quiabien pu lui passer par la tête pour se faire
prendre ainsi en flagrant délit de mensonge. «Cet épisode
illustre l’ambiguïté de LR avec les “gilets jaunes”, analyse
Geoffroy Didier. Laurent veut aller voir les manifestants,
mais comme il n’a pas confiance, il s’entoure de militants LR.
L’ un d’eux lui fait enfiler le gilet et comme il ne l’assume qu’à
moitié, il ne s’en souvient qu’à moitié. » Christian Jacob, tou-
jours soucieux d’apaiserles polémiques, veutcroireque son
ancien patron «a sincèrement oublié ». «Ils’est emmêlé les
pinceaux, mais c’est sûr que ça ne nousapas fait du bien » ,
concède-t-il. La descente aux enfers commence pour Les
Républicains. Elle s’achèvera par la déroute historique aux
élections européennes du 26 mai.
Pour l’heure, la droite n’a d’autre choix que de prôner un
retouràl’ordre. Selon un sondage Ipsos, 42%des sympathi-
sants LR se disent opposés au mouvement, qui n’est plus
soutenu que par 23%d’entre eux. Ilyaurgenceàrétropéda-
ler.Le11décembre sur BFMTV,LaurentWauquiez appelle
les«gilets jaunes»àneplus manifester : «Onneconstruira
rien sur les décombres. »«Ilfaut savoir arrêter un mouve-
ment!» ajoute l’ancien ministre du budget ÉricWoerth. Une
nouvelle stratégie est tentée:critiquer le laxisme du gouver-
nement en matièredemaintien de l’ordre et l’indigence du
ministre de l’intérieur Christophe Castaner. «Legouverne-
ment est incapable de restaurer l’ordre républicain» ,s’épou-
mone Éric Ciotti quand LaurentWauquiez demande l’inter-
diction «des manifestations quand ilyades craintes de
menacesàl’ordre public ». «Legouvernementafailli!»
accuse François-Xavier Bellamy,future tête de liste LR aux
européennes. Le discours ne prend pas. La crainte du
désordre est telle que l’opinion de droite se réfugie naturel-
lement dans le soutienàl’exécutif, seul garant de la sécurité
et des institutions. D’autant plus qu’Emmanuel Macron,
après un passageàvide, multiplie les initiatives. La majorité
exhume habilement une loi anticasseurs conçue par les séna-
teurs LR au moment des affrontements de Notre-Dame-des-
Landes. Impossible pour l’opposition de ne pas voter un
texte dont elle estàl’origine. «Nous sommes un parti de
gouvernement, un parti responsable. On veut se distinguer du
FN qui appelle sans cesseàmanifester» ,explique Éric Ciotti
qui dénonce, comme Christian Jacob, une «gestion cynique de
la crise » par le gouvernement. «Onsent que l’opinion
reprocheàCastaner de ne pas êtreàlahauteur de la situation,
poursuit le député des Alpes-Maritimes. C’est pourquoi, à
l’Assemblée nationale, on provoque le débat sur les fautes du
ministredel’intérieur,mais Macron reprend la main avec le
changement de préfet, la loi anticasseurs, la mise en place de
moyens considérables.»«Çanesepasse pas bien pour nous à
l’Assemblée, se souvient Retailleau. Quand Castaner dégaine
l’autorisation donnéeàtous les préfets d’interdire des mani-
festations, on se fait déborder sur notre droite!»«En
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