10 août 2019 —MLemagazine du Monde
P
asdeparkarouge nidegiletjaune
sur ces images-là. Ce samedi
17 novembre 2018, Laurent
Wauquiez est vêtu d’une inhabi-
tuelle veste noire, une couleur
qui convoque aujourd’hui une
ombre prémonitoire sur son des-
tin. Il est alors cette grande sil-
houette corbeauaumilieu des
chasubles fluorescentes rassemblées devant l’hôtel de ville du
Puy-en-Velay,dont ilalongtemps été le maire. Il se déplace
d’un groupeàl’autre, multiplie les gestes de soutien, pression
amicale sur le bras, tapotement sur l’épaule, sourcils froncés,
air pénétré. «Jesuis là pour les soutenir et je suis là pour qu’ils
soient entendus, explique-t-il devant la caméra
de France3Auvergne-Rhône-Alpes. Ce qui
me fait de la peine, c’est que dans notre pays,
aujourd’hui, pour être écouté, il faut faire ça.
(...) Normalement, le gouvernement devraitles
entendre.» Le ton se veut compréhensif, res-
ponsable,solennel,le patron des Républicains
masque sa jubilation derrière une gravité de
circonstance. Ce n’est qu’en privé qu’il se
laisse alleràsourire:quelle aubaine ce mou-
vement!Moins d’un an après son électionàla
tête du parti, il pense reprendre enfin la main.
Emmanuel Macron paraissait indétrônable, la
droite semblait encore meurtrie par la défaite
de François Fillon, et voilà que la France des
territoires,dont il se pose en ardent défenseur,
se rebiffe!Qui plus est sur les thématiques du
pouvoird’achat et de la fiscalité, ses marottes.
Une bénédiction.
Entend-ilalors ces discrets grognements dans
la foule?Celui de ce manifestant qui, au
même micro, peste tout haut : «Cen’est pas
àunhommepolitique devenir .» Ou la plainte
de cette femme qui le met dans le même sac
que les autres, ces élus qui ne tiennent pas
leurs promesses. Se doute-t-il que la partie ne
sera pas aussi facile qu’il l’espère?
En cet automne, chez Les Républicains,
l’ambiance estàlaf ête. Ses dirigeants célè-
brent les Français en colère qui semblent
vouloir faire la peau au pouvoir en place. Le 17 novembre
toujours, le député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti endosse
un gilet jaune et prend la tête du cortège niçois fustigeant
«une certaine élite» qui «necomprend plus le peuple car elle
s’estmise àlehaïr» .Des propos dans la lignée de ceux de
LaurentWauquiez accusant Emmanuel Macron, quelques
mois plus tôt dans le Journal du dimanche, de ne pas éprou-
ver «unamour charnel pour la France » .Lemême jour
encore, c’est Guillaume Peltier,numéro2duparti, qui se
pare de fluo pour manifester «contre les taxes Macron» et
encourager «l’immense fronde des territoires » .Quant à
Wauquiez, arpenter les ronds-points semble être devenu sa
principale occupation:enmoins de trois semaines, il ren-
contre les manifestantsàdix-sept reprises.
«Depuis des mois, on alertait l’opinion sur deux problèmes,
l’abandon desterritoires et labaiss edupouvoird’achat,
notamment chez les retraités, se souvient le député européen
LR Geoffroy Didier. Les “gilets jaunes”, c’était la récompense
de nos efforts. Les soutenir allait de soi, c’était l’évidence.
Pour nous, ils ne venaient pas de nulle part, ils étaient les
enfants de notre discours.»«Cesurgissement venait conforter
nos combats au Sénat où on avait bataillé contre la taxe
énergie, abonde le patron des sénateurs LR,Bruno Retailleau.
Dès le mois de décembre 2017, on avait mis en garde le gou-
vernement contre une trajectoire fiscale de plus de 40 mil-
liards sur l’ensemble du quinquennat qui s’apparentait pour
nous au casse du siècle. On leur avait dit “Vous aurez des
bonnets rouges!”, on prêchait dans le désert. Quand onavu
la colère de cette France qui n’arrive pasàboucler ses fins de
mois, on l’a regardée avec bienveillance. »«Onétait en phase
avec ce qui se passait» ,résume Christian Jacob, président du
groupe LR au Palais Bourbon, et désormais candidat pour
remplacerWauquiezàlat ête du parti.
Fait troublant pourtant, en ce mois de novembre, aucun mot
d’ordre officiel n’émane du sommet.Les mardis matin,lors du
traditionnel petit déjeuner des caciques du parti, on discute
sans vraiment trancher.Aux réunions du bureau politique, ce
n’est guère mieux : «Laurent ne s’y sentait pas en confiance,
il n es’y disait rien» ,témoigne Geoffroy Didier.Cen’est qu’à
l’occasion desdîners informels,organisés tous les quinze jours
par Éric Ciottiàlaquesture de l’Assemblée nationale et réu-
nissant une poignéededirigeants,quelas tratégieàmener est
évoquée. Mais quand il s’agit de prendre une décision,
Wauquiez n’en réfèreàpersonne. Et finalement, chacun fait
comme bon lui semble.Autant d’indices qui signent la petite
forme du parti. «Notre cultureàdroite est celle de l’indi-
vidu» ,excuse Bruno Retailleau.
S’ils sont tous d’accord pour soutenir le mouvement, les avis
divergent sur la manière. Pour Christian Jacob, pas question
d’enfiler la chasuble. «J’ai tout de suite dit que je n’étais pas
favorableàcequ’on se mêle aux manifestations. En tant
qu’ancienresponsable syndical [il fut président du Centre
national des jeunes agriculteurs] ,jes ais qu’il n’yarien de
plus insupportable que de voir débarquer des politiques •••
fièvrejaune
Et LR retourna son gilet.
Personne, et surtout pas le gouvernement, ne les
avait vus venir.Depuis l’automne 2018, les “gilets
jaunes” saturent l’actualité. Cet été,“M” revient sur
des aspects méconnus de cette crise sociale inédite.
Pour Les Républicains, l’occasion était trop belle.
Dès les premières manifestations, LaurentWauquiez,
alors patron du parti, clame son soutien au mouvement.
Une ardeur vite calmée par les violences qui mettent
àmal un maintien de l’ordre cheràladroite.
Ce revirement non assumé contribueraàladébâcle
des européennes.
parVanessa schneider—illustrationsartus de laVilléon