2019-08-17_Le_Temps

(Tina Sui) #1

«UNDERCOVER» OU LES DANGERS


DE L’ECSTASY AU CAMPING


PAR NICOLAS DUFOUR
t @NicoDufour

Canal+, et bientôt Netflix, dévoile une série
belge flamande sur les prises de risques d’un
couple de flics infiltrés au camping pour cerner
un caïd de la drogue. Acteurs et producteur
racontent

◗ Elle est des Pays-Bas, lui de Belgique flamande. Ils
devraient échanger dans une même langue, pourtant,
leurs néerlandais diffèrent manifestement beau-
coup. «Nous partageons le même dictionnaire, mais
nous ne nous comprenons pas, c’est vrai», concède
l’acteur Tom Waes. Dans le polar mafieux Underco-
ver , il incarne Bob, le flic flamand. Anna Drijver
interprète Kim, la policière hollandaise: «Les Fla-
mands ont souvent des sous-entendus à eux, des
manières de s’exprimer qui reposent sur l’implicite.
Je me sentais parfois comme un éléphant dans un
magasin de porcelaine...»
Exactement ce que leurs personnages ne doivent
pas faire. Leur défi réside dans la subtilité et la cré-
dibilité. Bob et Kim sont choisis pour infiltrer un
réseau de producteurs et de trafiquants d’ecstasy.
Puisqu’on ne peut pas approcher le grand patron,
mafieux typique, dans sa luxueuse résidence clôtu-
rée et sous caméras, on va le chercher là où il pour-
rait se montrer plus faible: le camping. Non loin de
la ville où il vit, le boss a sa maison en dur sur le
terrain de détente, au bord d’un lac, dans une
ambiance on ne peut plus Club Med au Plat Pays.

LE LIMBOURG, SES FERMES ET SES PILULES
Série belge flamande de dix épisodes, avec une
deuxième saison en préparation, Undercover est
disponible chez Canal+ et annoncée chez Netflix.
Elle commence par une voix off révélant le contraste
local: voici la région du Limbourg, à l’est de la Bel-
gique, après Liège, à quelques encablures de l’Alle-
magne et des Pays-Bas.
Jolies fermes, paysages verdoyants, bocages du nord
et première production européenne de drogues de
synthèse. Ce serait même l’un des grands centres
mondiaux de fabrication de pilules douteuses.
Bob et Kim doivent approcher Ferry, le caïd des
granules, et son sinistre bras droit John. Kim tente
de se rapprocher de la femme du chef, une esseulée
qui cherche une nouvelle amie. La piste se révèle
toutefois ténue, puisque l’épouse se situe très loin
des affaires réelles de son mari. Comme les deux flics
ne viennent que les week-ends au camping, pour
assurer la crédibilité du dispositif, l’affaire évolue
lentement. Les pontes de la police s’impatientent.
Bob évolue en terrain miné, surtout parce que John

PUBLICITÉ

Tom Waes (Bob) et Anna Drijver (Kim) au camping: entretenir la parfaite illusion de couple. (IMDB)

«Ce qui m’a surpris,


c’est la normalité


de ces policiers


sous couverture»
TOM WAES, ACTEUR

ne lui fait pas confiance. Et pour corser le déroule-
ment de l’opération, un policier est lui-même en
cheville avec les mafieux... A un moment, les patrons
de la police décident d’arrêter un membre du clan
avec lequel Bob s’est pris de bec, puis de le relâcher,
laissant entendre qu’il aurait pu balancer...
Entendus l’année passée à Canneséries, les acteurs
racontent leurs différences culturelles. «Quand ce
gars [le personnage campé par Tom Waes] parle avec
son accent, c’est du hongrois pour moi», rigole Anna
Drijver. Puis elle élargit: «Jouer un agent sous cou-
verture est passionnant pour un acteur, car on a un
rôle dans le rôle. Et le camping, c’est universel, nous
faisons comme des variations dans cet univers de
temps libre, cet espace où les gens viennent passer
de bons moments. Nous tournions vraiment dans
une caravane, c’est compliqué pour les angles de
caméra, et exigu...»
Tom Waes s’est documenté: «J’ai vu un agent sous
couverture. Nous nous sommes rencontrés dans un
restaurant, il avait l’air de M. Tout-le-Monde. C’est
ce qui m’a surpris, cette normalité. Il a une famille...».
L’acteur évoque la régulière écriture des rapports,
résumés des avancées, qui occupe son personnage:
«C’est authentique. La vie de ces gens est très bizarre.

Ils mentent, ils jouent un rôle, ils fréquentent presque
tous les jours des gens qui pourraient les tuer, et ils
doivent écrire des rapports à leurs supérieurs.»
Undercover est basée sur une procédure réelle,
conduite dans cette région frontalière. «Nous avons
mêlé plusieurs faits réels survenus dans le Lim-
bourg», précise Nico Moolenaar, l’un des auteurs,
lequel n’esquive pas la référence aux Soprano : «J’ai
vu cette série en grandissant, ils sont ma famille! J’ai
voulu m’en démarquer, ne pas être dans la noirceur
complète, garder quelques couleurs.»

UN EXCELLENT THRILLER
Les liens ne manquent pourtant pas, ne serait-ce
que les gueules d’emploi des durs, qui rappellent
souvent celles des Italo-Américains du New Jersey.
Il n’empêche: avec ses laboratoires planqués dans
des hangars agricoles, ses glauques trajets de nuit
en camion vers l’Allemagne, son camping aux petits
vieux devant leurs maisonnettes et bien sûr son rude
néerlandais des terres intérieures, Undercover joue
la carte locale, et cela lui réussit. Le feuilleton pro-
mène son spectateur dans cette Europe douillette
et râpeuse à la fois, où se mêlent extrême brutalité
et nonchalance des week-ends bières, barbecue et
fêtes foraines.
En détaillant les résonances de leurs actes, de la
mécanique qui les anime, dans leurs vies person-
nelles, la série examine plusieurs dimensions de ses
personnages avec pertinence, sans jamais perdre la
nécessaire tension propre au genre. C’est un excellent
thriller, qui entretient avec brio son suspense au fil
des chapitres.

LE FLAMAND S’EXPORTE
Et son exportation, après Salamander et Beau
Séjour , confirme le rayonnement des créations de
Flandre. «C’est une histoire très locale produite
avec de l’argent international», résume l’un des
producteurs, Pieter Van Huyck. Outre l’allemande
ZDF, Netflix a donc mis quelques billes. «Depuis
quelques années, nos séries arrivent à se faire
connaître. Les réseaux sont plus nombreux, les
acteurs sur le marché aussi. Si l’on arrive à produire
de manière continue, on peut se faire une place sur
la scène mondiale.»
Y compris en parlant ces deux idiomes néerlandais:
«Même aux Etats-Unis, on observe un intérêt pour
les séries en langues étrangères. Regardez les fictions
scandinaves, elles sont dans des drôles de langues
que personne ne comprend, et elles s’exportent très
bien.» Affaire de langages, mais pas seulement. n

«Undercover»: déjà sur Canal+ et l’application MyCanal.

20 ÉCR ANS


LE TEMPS WEEK-END
SAMEDI 17 AOÛT 2019
Free download pdf