Mort de Steve : un rapport et des questions
Après la découverte et l’identification du corps de Steve Maia Caniço, retrouvé dans la Loire,
le Premier ministre Édouard Philippe a révélé, hier, les conclusions du rapport de l’IGPN.
« L’engagement du gouvernement,
c’est faire toute la lumière sur les
causes de ce drame. » C’est ce
qu’a déclaré le Premier ministre, hier
après-midi, lors d’un point presse
présentant les conclusions du rap-
port de l’Inspection générale de la
police nationale (IGPN).
Les enquêteurs ont travaillé durant
trois semaines pour tenter d’éclaircir
le déroulement de la soirée de la Fête
de la musique, le 21 juin, à Nantes,
au cours de laquelle Steve Maia Ca-
niço a disparu. Ils ont auditionné les
témoins, les cadres de police, des
pompiers, des secouristes, regardé
les vidéos, analysé les lieux...
Pour eux, aucun doute : « Aucun
élément ne permet d’établir que
les forces de police ont procédé
à un quelconque bond offensif ou
une manœuvre s’assimilant à une
charge repoussant les participants
de la fête vers la Loire. » Et de pré-
ciser que « l’emploi de la force a
été équilibré ». La seule question de
l’usage d’une matraque au sol par
un policier fera l’objet d’une enquête
spécifique.
Une deuxième enquête
En clair, l’intervention – « parfaite-
ment cadrée, bornée, réglée » – qui
a conduit à la disparition de Steve
Caniço n’était pas une faute. « On ne
peut pas parler de faute car les poli-
ciers ont agi dans les missions qui
leur étaient confiées. Ils ont riposté
en lançant, à la main, une trentaine
de gaz lacrymo. C’était pour proté-
ger les policiers, dont certains ont
été blessés », déclare un cadre de
l’IGPN.
L’IGPN relève aussi qu’aucune des
personnes repêchées par les sauve-
teurs n’a déclaré avoir été poussée
par l’action de la police.
Néanmoins, même si la police est
dédouanée, un élément troublant du
rapport pointe une stratégie peut-
être inadaptée de la police, « alors
qu’une foule de plusieurs centaines
de personnes se trouvait devant
le dernier sound system ». Une dé-
cision qui « a induit un retour au
contact de la foule hostile ».
Si la police n’est pas en cause,
alors à qui la faute? Au préfet, qui
n’est pas intervenu alors que le ter-
rain appartenait à l’État, et qui n’a
pas fait mettre en place de barrières
le long de ce quai de Loire qui en est
dépourvu ?
Une enquête sera menée par l’Ins-
pection générale de l’administration
pour tirer ces éléments au clair, « per-
mettant de vérifier les dispositions
prises compte tenu des risques »,
a écrit ce soir le ministre de l’Inté-
rieur Christophe Castaner au préfet
Claude d’Harcourt.
La faute à la maire de Nantes (voir
sa réaction ci-dessous), qui a délivré
les autorisations? Le rapport charge
en effet la collectivité : « S’il y a eu
affrontements entre fêtards et entre
cinq et onze personnes tombées à
l’eau, c’est bien parce que la mairie
de Nantes avait pris une série d’ar-
rêtés avec une tolérance à obser-
ver jusqu’à 4 h du matin, hors péri-
mètre d’interdiction. Qu’elle n’avait
mandaté que deux agents de sécu-
rité. Qu’elle avait fait positionner
des barrièrages le long d’une par-
tie seulement du quai Wilson », ex-
plique encore ce cadre de l’IGPN.
Le Premier ministre, hier après-midi. À Nantes, un rassemblement a été organisé là où le corps de Steve a été retrouvé.
Lionel Bonaventure, AFP/Loïc Venance, AFP
« Nous devons la transparence à la famille »
Entretien
Christophe Castaner, ministre de
l’Intérieur.
Le Premier ministre dit qu’on
ne peut pas établir de lien entre
l’intervention policière et sa
disparition. Comprenez-vous
l’émoi que cela peut susciter ?
Le Président et le Premier ministre,
avec lesquels nous avons échangé
régulièrement, ont, tout comme moi,
été touchés par ce drame. Pour ma
part, j’ai immédiatement dit à l’As-
semblée nationale, le 26 juin, ma
solidarité et ma compassion pour
la famille de Steve Maia Caniço. Je
leur ai également écrit et proposé
une rencontre. À leur rythme, quand
ils le souhaiteront. Nous devons à la
famille de ce jeune homme toute la
transparence sur ce qui s’est passé.
L’Inspection générale de la police
nationale (IGPN) a rendu ses conclu-
sions : nous en prenons acte. Il faut
maintenant mener l’enquête admi-
nistrative jusqu’au bout : c’est pour-
quoi, avec le Premier ministre, nous
avons souhaité saisir l’Inspection gé-
nérale de l’administration (IGA), dont
l’enquête complétera celle de l’IGPN.
L’ensemble de ces éléments seront
rendus publics et mis à disposition
de la justice pour que toute la vérité
soit faite.
Le Premier ministre pointe aussi
du doigt la Ville de Nantes et
donc sa maire socialiste. Peut-on
y voir une stratégie politicienne
avant les municipales ?
Il y a eu un mort. Il y a eu des accu-
sations très graves, portées par l’op-
position. J’ai parfois vu plus de récu-
pération que de compassion. Le rap-
port de l’IGPN indique, par exemple,
qu’il y avait deux agents d’une so-
ciété de sécurité privée mandatés
par la Ville afin d’empêcher la foule
de tomber dans le fleuve.
Et la responsabilité du préfet ?
Ce rapport pose aussi des questions
sur la manière dont les responsables
de la préfecture ou ceux de la police
ont adapté le dispositif de sécurisa-
tion pour tenir compte du contexte
d’ordre public que nous connaissons
depuis le début de l’année. La seule
chose que nous souhaitons, avec le
Premier ministre, c’est de faire la lu-
mière sur ce qui s’est passé, quelles
que soient les responsabilités et en
tirer toutes les leçons.
Les violences policières sont
vivement critiquées depuis des
mois par une partie de l’opinion.
Avez-vous conscience que les
conclusions du rapport vont
conforter ce sentiment ?
Ma ligne est très claire, elle n’a pas
bougé d’un iota : s’il y a doute, il y
a enquête. Et s’il y a faute, il y aura
sanction. Cela vaut évidemment
pour ce drame. Mais je ne peux pas
admettre, non plus, que l’on mette
en cause, sans cesse, les forces de
l’ordre.
Recueilli par
Jean-François MARTIN.
Christophe Castaner.
Lionel Bonaventure, AFP
Le jour d’après, l’émotion et la colère des amis de Steve
Reportage
En ce mardi après-midi, les yeux
dans le vide, encore rougis, les amis
de Steve regardent le fleuve, au pied
de la grue jaune, à l’endroit même où
le corps du jeune homme, disparu
lors de la Fête de la musique, a été
retrouvé la veille.
« On est triste bien sûr, mais il fal-
lait s’y attendre », glisse l’un d’eux.
« D’un côté, ça soulage, on se dit
que l’on n’est plus dans le doute.
Ça va permettre à tout le monde
d’avancer dans le deuil », estime
Alexane, amie de l’éducateur péri-
scolaire et participante à la soirée.
« Ça fait bizarre », résume Raphaël,
un autre ami du jeune de 24 ans.
Dès le matin, alors que l’autopsie
n’avait pas encore confirmé l’identité
de Steve Maia Caniço, quelques-uns
de ses amis s’étaient rendus quai
Wilson, là où il avait été aperçu pour
la dernière fois.
Un recueillement dans le silence,
avant de rejoindre, vers 17 h, la grue
jaune. Sous le clapotis de l’eau, des
bougies et des bouquets prennent
place, comme un peu plus tard place
de la République, à Paris. Certains
camarades évoquent une possible
marche blanche, samedi, dans les
rues de Nantes, pour continuer à
rendre hommage à Steve.
« Ça me met hors de moi »
« Jusqu’à maintenant, c’était la tris-
tesse et l’attente. Mais là, c’est la
colère », confie Vanessa, une amie
proche de Steve, d’un ton ferme.
Les mots d’Édouard Philippe,
quelques minutes auparavant,
passent mal. Le Premier ministre a
déclaré que le rapport de l’Inspec-
tion générale de la police n’établis-
sait pas « de lien entre l’intervention
de forces de police et la disparition
de Steve Maia Caniço ».
« Comment ne peut-il pas y avoir
de lien ? » « Steve ne s’est pas jeté
tout seul dans l’eau, il ne savait
pas nager ! » « Ça me met hors de
moi ! » entend-on au sein du rassem-
blement. « On est énervé, choqué.
Ils se foutent un peu de notre g... »
peste Alexane, alors que le slogan
« Où est Steve ? » a été remplacé par
« Justice pour Steve ».
P. G.
Hier, l’eau de fontaine de la place Royale à Nantes a été colorée en rouge
et des brassards noirs ont été mis aux statues qui l’entourent.
Jérôme Fouquet, Ouest France
« Une façon de se dédouaner assez désagréable »
Entretien
Cécile de Oliveira, avocate des
parents de Steve Maia Caniço.
Le rapport de l’Inspection
générale de la police nationale
(IGPN) n’établit pas de lien
entre l’opération policière
controversée et la mort de Steve
Caniço. La famille attendait-
elle beaucoup de ce fameux
rapport ?
D’abord, il faut bien comprendre qu’iI
y a deux enquêtes de l’IGPN. L’admi-
nistrative, diligentée par le ministre
de l’Intérieur pour établir s’il y a eu
d’éventuelles fautes disciplinaires
commises par les policiers respon-
sables de l’intervention, a donné lieu
à la communication du Premier mi-
nistre. Édouard Philippe écarte pu-
bliquement l’hypothèse d’une faille
de la police ! En s’exprimant à la
place du ministre de l’Intérieur, il fait
de cette affaire sensible une affaire
d’État. Sans respecter le temps du
deuil, comme si on cherchait immé-
diatement à se dédouaner. Je trouve
ça assez désagréable.
Et l’autre enquête de l’IGPN ?
C’est celle, judiciaire, déclenchée
par le procureur de la République.
Et elle est particulièrement impor-
tante, car elle examine si ces mêmes
policiers se sont rendus coupables
d’infraction pendant l’opération. Je
pense qu’il aurait été intéressant d’at-
tendre ces résultats pour communi-
quer, mais aussi, par exemple, ceux
des analyses médico-légales liées à
l’autopsie. Décidément, le temps po-
litique n’est pas le temps judiciaire
qui est, lui, indispensable à la séré-
nité d’une enquête.
Ces investigations pourraient
dire, par exemple, si les policiers
ont commis des violences ?
Oui. Mais il ne s’agit évidemment pas
d’exclure la responsabilité d’une par-
tie ou d’une autre. Il s’agit d’être loyal
et objectif dans l’instruction pour ho-
micide involontaire qui vient d’être
ouverte. Mais on démarre une en-
quête complexe.
Dans quel état d’esprit
est la famille aujourd’hui ?
Elle est dans un immense chagrin
parce qu’on lui a annoncé la mort
d’un frère, d’un fils. Il y a aussi, pour
elle, une souffrance liée à l’hypermé-
diatisation. C’est compliqué d’avoir
sa peine projetée dans les yeux de la
France entière.
L’affaire pourrait-elle être
dépaysée, c’est-à-dire instruite
ailleurs qu’à Nantes, pour éviter
d’éventuelles interférences
ou pressions ?
Pour ma part, j’ai une grande
confiance dans le magistrat instruc-
teur. Il faut que les juges estiment s’ils
peuvent travailler sereinement. Si le
dépaysement est demandé, ce sera
à la chambre criminelle de la Cour
de cassation d’analyser les choses.
Mais là, c’est trop tôt.
Recueilli par
Agnès CLERMONT.
L’avocate Cécile de Oliveira.
Archives Franck Dubray, Ouest-France
Une information pour homicide involontaire
« Plusieurs éléments laissent à pen-
ser qu’il s’agit bien du corps de
Steve Caniço », affirmait lundi soir
une source officielle, peu après la
découverte d’un corps dans la Loire,
à Nantes. Désormais, plus de place
pour le doute. L’autopsie effectuée
hier matin est formelle, ont indiqué
le procureur de la République de
Nantes, Pierre Sennes, et Me Cécile
de Oliveira, l’avocate de la famille de
Steve.
Le corps flottant découvert la veille
par un bateau de transport public
près de la grue jaune, à moins d’un ki-
lomètre du quai Wilson, où l’homme
a été aperçu pour la dernière fois, est
bien celui du jeune éducateur péris-
colaire de 24 ans, disparu lors de la
Fête de la musique. Dans la nuit du
21 au 22 juin, des policiers avaient
mis fin à une fête techno, à coups
de gaz lacrymogène. Plusieurs per-
sonnes étaient tombées dans la
Loire. Depuis, Steve Maia Caniço
était porté disparu.
La question « Où est Steve? » est
donc enfin tranchée. Mais de nom-
breuses interrogations restent en
suspens. À quel moment le jeune
homme est-il tombé dans la Loire?
Combien de personnes ont chuté
dans le fleuve? Pourquoi et com-
ment la police est-elle intervenue?
Cinq enquêtes, judiciaires et ad-
ministratives, sont toujours en cours
pour tenter d’y répondre. Et une si-
xième va commencer, avec la saisie
de l’Inspection générale de l’admi-
nistration annoncée par le gouverne-
ment hier.
Quant à l’information judiciaire en
recherche des causes de la dispari-
tion ouverte jeudi 27 juin, par le pro-
cureur de la République de Nantes,
elle a été clôturée hier. À la place,
une autre information judiciaire, a été
ouverte, pour homicide involontaire
cette fois.
Paul GRATIAN.
Un jeune homme se recueille sur les bords de Loire, là où Steve a disparu.
Loïc Venance, AFP
Critiques, réactions et réclamations
La tentation de rejeter la responsabi-
lité de la disparition de Steve Maia Ca-
niço sur la collectivité locale semble
gagner du terrain. Ainsi, Édouard Phi-
lippe a déclaré, hier, avoir saisi l’Ins-
pection générale de l’administration
pour « comprendre les conditions
d’organisation de l’événement par
les pouvoirs publics, mairie et pré-
fecture, ainsi que les organisateurs
privés ».
Le rapport de l’IGPN, dévoilé dans
le même temps, indique que « s’il y a
eu des affrontements entre fêtards
et entre cinq et onze personnes
tombées à l’eau, c’est bien parce
que la mairie de Nantes n’avait
mandaté que deux agents de sécu-
rité et qu’elle avait fait positionner
des barriérages le long d’une partie
seulement du quai Wilson ».
Johanna Rolland, maire de Nantes,
a immédiatement répliqué : « Plus
que jamais, l’heure n’est pas à la
polémique, mais à la recherche de
la vérité. Je constate qu’après cinq
semaines d’enquête, l’IGPN n’est
toujours pas en mesure de dire ce
qu’il s’est passé dans la nuit du
21 au 22 juin, sur le quai Wilson à
Nantes. C’est pour le moins trou-
blant et inquiétant. Comme depuis
les premiers jours, je demande la
vérité. La transparence doit être
totale. Nul ne peut transiger sur la
transparence quand il s’agit de la
mort d’un homme. »
Par ailleurs, La France insoumise
a demandé, hier, la création d’une
commission d’enquête parlemen-
taire pour éclaircir « de manière im-
partiale, les circonstances de la
mort de Steve et la chaîne de res-
ponsabilités ayant conduit à ce
drame terrible ».
A. C.
La maire de Nantes, Johanna Rolland.
Archives Franck Dubray, Ouest-France
Mercredi 31 juillet 2019
France 3