Le Monde - 04.08.2019

(Darren Dugan) #1
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 AOÛT 2019 international| 3

Nétanyahou en difficulté au centre et sur sa droite


Avigdor Lieberman, chef d’un parti de droite nationaliste, s’impose comme arbitre du vote du 17 septembre


jérusalem ­ correspondance

L’


union fait la force. Dans
la perspective du scru­
tin législatif du 17 sep­
tembre en Israël, les
partis politiques ont multiplié les
alliances avant le dépôt officiel
des listes à la Knesset (Parle­
ment), jeudi 1er août. A l’instar des
élections du 9 avril, celles de
septembre devraient tourner en
référendum sur l’actuel premier
ministre, Benyamin Nétanyahou.
Pour la seconde fois cette année, il
joue là son avenir politique, alors
que son horizon judiciaire s’as­
sombrit. Le contexte semble ce­
pendant lui être moins favorable
qu’au printemps, car la campagne
électorale s’annonce impitoyable.
Avant l’échéance du 1er août, d’in­
tenses négociations ont eu lieu
entre les partis à droite du Likoud
de M. Nétanyahou pour parvenir à
une union pour le scrutin, comme
l’autorise le système israélien. Il a
fallu attendre lundi 29 juillet pour
voir la Nouvelle Droite, représen­
tée par Naftali Bennett et Ayelet
Shaked, et l’Union des partis de
droite, de Bezalel Smotrich et Rafi
Peretz, former une liste com­
mune, baptisée Droite unifiée.
Selon les médias israéliens, le
premier ministre et son épouse
Sara s’étaient mobilisés pour que
le rabbin Peretz, ministre de l’édu­
cation, ne laisse pas Ayelet Sha­
ked, laïque et très populaire
auprès d’une partie de la droite
nationaliste, diriger la coalition.
Le rabbin aurait cédé car les son­
dages indiquaient qu’en la plaçant
en tête de liste, la Droite unifiée
remporterait plus de voix. Le mi­
nistre a néanmoins imposé à ses
camarades qu’en cas de victoire de
la droite, l’ensemble des chefs de
file de la coalition recommande
au président Reuven Rivlin de
désigner M. Nétanyahou pour for­
mer le nouveau gouvernement.
Malgré d’intenses pourparlers
jusqu’à jeudi soir, Itamar Ben Gvir
et son parti d’extrême droite
Otzma Yehudit (Force juive) n’ont
finalement pas rejoint la Droite

unifiée. Il s’est enregistré seul à la
Knesset, tout comme Moshe Fei­
glin avec Zehout, un mouvement
messianique et libertarien. Jus­
qu’au dernier moment, M. Néta­
nyahou a fait pression pour éviter
l’éparpillement de ces petits par­
tis. En vain. « Les divisions à droite
nous coûteront beaucoup de
votes », s’est empressé d’avertir le
Likoud dans un communiqué.
En faisant cavalier seul, les petits
partis risquent de ne pas franchir
le seuil électoral, fixé à 3,25 % des
suffrages : auquel cas, ils font per­
dre à leur camp des voix qui pour­
raient contribuer à la majorité re­
quise (61 sièges) pour former une
coalition de gouvernement. « Il
existe une réelle peur de gaspiller
des voix, notamment à droite, où il
y a plus de petits partis, confirme
Abraham Diskin, professeur de
science politique à l’Université
hébraïque de Jérusalem. Le 9 avril,
elle en a perdu un certain nombre
car la Nouvelle Droite et Zehout
n’ont pas franchi le seuil. »

Coude-à-coude
Fort de son alliance avec le parti
Koulanou (centre droit) de Moshe
Kahlon, le Likoud avait prévenu
qu’il n’absorberait pas Otzma
Yehudit. « En fusionnant avec des
partis à notre droite, nous per­
drions des votes centristes, avait ex­
pliqué à la radio israélienne Zeev
Elkin, le ministre de la protection
environnementale et membre du
Likoud. Finalement, la bataille se
jouera entre Bleu Blanc [formation
centriste] et nous. C’est là que nous
devons porter nos efforts. »
Le 9 avril, le Likoud et la jeune
formation centriste Bleu Blanc,
menée par Benny Gantz et Yair
Lapid, avaient chacun obtenu 35
sièges. Mais seul le parti de M. Né­
tanyahou était capable de former
une coalition. Les récents sonda­
ges les donnent toujours au
coude­à­coude en septembre,
avec 30 à 31 sièges pour le Likoud
et 28 à 29 pour Bleu Blanc.
Privé du soutien d’Avigdor
Lieberman, le chef du parti de
droite nationaliste Israël Beite­

nou, le camp de la droite n’obtien­
drait cependant que 55 sièges, ce
qui ne permettrait pas à M. Néta­
nyahou de former un gouverne­
ment. A la suite des élections
d’avril, M. Lieberman avait en
effet bloqué la constitution d’une
coalition de droite, à cause,
avait­il prétexté, d’un projet de loi
sur la conscription des juifs ultra­
orthodoxes. Après le vote de la
dissolution de la Knesset, le
29 mai, et l’appel à un nouveau
scrutin, le premier ministre avait
accusé M. Lieberman d’être res­
ponsable de cet échec, l’associant
à « la gauche ». Le refus de M. Lie­
berman de céder aux ultraortho­
doxes semble toutefois lui don­
ner raison : selon les derniers son­
dages, Israël Beitenou pourrait
remporter dix sièges en septem­
bre, soit le double d’avril. Les ten­
tatives du premier ministre pour
saper son électorat laïque et ma­

joritairement russophone n’ont,
semble­t­il, pas abouti.
Avigdor Lieberman appelle
désormais à former un « gouver­
nement d’unité nationale »,
exclusivement composé du
Likoud, de son parti et de Bleu
Blanc. En assurant soutenir le
candidat du parti avec un plus
grand nombre de sièges, il se pose
en véritable arbitre du scrutin.
Considéré comme la seule alter­
native par beaucoup d’Israéliens,
Benny Gantz continue de jouer la
carte de l’apaisement, tant social
que politique. « Cette fois, nous
formerons un gouvernement » qui
« mettra fin au régime de Nétanya­
hou », a­t­il promis sur Twitter
après le dépôt de la liste Bleu
Blanc à la Knesset.
Les sondages semblent indiquer
que Bleu Blanc n’est pas affaibli
par les rivalités internes et les
bouleversements au sein de l’op­

position. Sa dynamique ne sem­
ble entamée ni par l’alliance du
petit parti de centre droit Gesher
d’Orly Levy­Abekasis avec le Parti
travailliste, qui jouera en septem­
bre sa survie politique ; ni par le
« Camp démocratique » formé en­
tre le parti de gauche Meretz et le
récent Parti démocrate israélien
de l’ex­premier ministre Ehoud
Barak, de retour en politique pour

mettre fin à l’ère Nétanyahou.
Confronté depuis février à la me­
nace d’une mise en examen pour
corruption, Benyamin Nétanya­
hou est dans une situation plus
périlleuse qu’en avril. Pour garan­
tir à son parti le plus de voix possi­
ble, il doit désormais mener son
combat sur plusieurs fronts, dans
son propre camp comme dans
celui de l’opposition. Associant le
Likoud à son destin personnel, il
martèle que seule la victoire de
son parti pourra empêcher « un
gouvernement de gauche ».
L’une des inconnues du 17 sep­
tembre reste le nombre d’Israé­
liens qui iront aux urnes. « Le
Likoud pourrait être concerné par
un faible taux de participation car
une partie de son électorat vient de
milieux modestes, les plus suscep­
tibles de ne pas aller voter », souli­
gne Abraham Diskin.
claire bastier

Pyongyang opte pour la stratégie du tir


La Corée du Nord veut faire cesser les exercices conjoints américano­sud­coréens


tokyo ­ correspondance

E


n enchaînant les tirs de
« projectiles », la Corée du
Nord ne contribue pas, en
apparence, à sortir de l’impasse
les négociations sur la dénucléari­
sation. Les 25 et 31 juillet, puis le
2 août, les militaires nord­coréens
ont, sous l’œil du dirigeant Kim
Jong­un, effectué des essais de
missiles à courte portée dérivés
semble­t­il du modèle russe
Iskander et baptisés KN­23, mais
aussi « d’un nouveau lanceur mul­
tiple de roquettes guidées et de
gros calibre » et d’une « nouvelle
arme tactique guidée ».
Pyongyang exprime ainsi son
mécontentement vis­à­vis de la
tenue prévue en août d’exercices
conjoints américano­sud­coréens,
baptisés « 19­2 Dong Maeng » (« Al­
liance 19­2 »). Pour la Corée du
Nord, il s’agit « d’initiatives militai­
res dangereuses et hostiles, contre­
disant les avancées vers la paix
observées dans la péninsule ».
Dans un communiqué du
16 juillet, Pyongyang rappelait
que le président américain,
Donald Trump, avait, lors de sa
rencontre avec Kim Jong­un le
30 juin à Panmunjom – unique
point de contact de la zone démi­
litarisée (DMZ) qui coupe la pé­
ninsule coréenne en deux –, as­
suré que ces exercices seraient
« suspendus », et que, lors du

premier sommet Kim­Trump, en
juin 2018 à Singapour, il avait évo­
qué la fin des « jeux de guerre ».
Depuis, certains exercices ont
été annulés, d’autres ont vu leur
échelle réduite et ont été rebapti­
sés « Dong Maeng ». Il est à noter
que la première série de tirs de
missiles par la Corée du Nord de­
puis 2017 a été menée début
mai 2019, en même temps que les
exercices « 19­1 Dong Maeng ».
La Corée du Nord voit dans les
manœuvres conjointes les prépa­
ratifs d’une invasion de son terri­
toire. Comme le rappelle le
spécialiste Harry J. Kazianis, dans
un article paru dans la revue
américaine The National Interest,
les exercices ont toujours pesé sur
les négociations avec Pyongyang.
En 1986 déjà, des discussions
avaient été interrompues à cause
des manœuvres appelées « Team
Spirit ».

Frustration
Plus spécifiquement, les récents
tirs nord­coréens ciblent aussi
Séoul, pour des raisons autant
militaires qu’économiques.
Après les essais du 25 juillet, Kim
Jong­un avait « conseillé » au pré­
sident sud­coréen, Moon Jae­in,
de « mettre fin aux actes suicidai­
res tels que celui de mettre en ser­
vice des armes ultramodernes ».
En juillet, la Corée du Sud a an­
noncé l’acquisition de deux nou­

veaux avions de combat F­35,
dont la furtivité est, d’après
Daniel DePetris, chercheur au
centre d’analyse américain
Defense Priorities, « hautement
dangereuse » pour le Nord.
Les tirs nord­coréens – menés se­
lon différentes trajectoires – sem­
blent avoir permis de soulever des
interrogations sur la solidité des
défenses antimissiles du Sud.
Outre les questions militaires,
Pyongyang manifeste une cer­
taine frustration face à l’absence
de progrès dans la coopération
économique intercoréenne. De­
puis la baisse des tensions dans la
péninsule début 2018, les échan­
ges se limitent à des gestes
symboliques, rencontres sporti­
ves, concerts ou encore projets
d’aide humanitaire.
Pour Andreï Lankov, sur le site
spécialisé NK News, « ce symbo­
lisme bon marché n’est pas ce que
la Corée du Nord veut, ni ce dont
elle a besoin ». Selon le chercheur
de l’université Kookmin de Séoul,

Pyongyang « veut le redémarrage
du complexe industriel de Kaesong
et des projets économiques
conjoints, en d’autres termes, une
injection significative de capitaux
sud­coréens dans son économie ».
Or, les sanctions onusiennes im­
posées à la Corée du Nord interdi­
sent au Sud de le faire, à moins que
M. Moon ne convainque Donald
Trump de faire des concessions.
Dans ce sens, les tirs serviraient
aussi à exercer une forme de
pression sur l’administration
Trump. Le 12 avril, Kim Jong­un
avait donné jusqu’à la fin de l’an­
née aux Américains pour qu’ils
fassent preuve de flexibilité dans
les négociations.
En choisissant de tirer des en­
gins à courte portée, Pyongyang
évite dans le même temps de bra­
quer Washington. Jeudi 1er août,
Donald Trump estimait que les
négociations sur la dénucléarisa­
tion pouvaient continuer car les
missiles lancés « sont à courte por­
tée ». « Nous n’avons jamais discuté
de ça. Nous parlons du nucléaire. »
De fait, une rencontre secrète
entre Américains et Nord­Coréens
aurait eu lieu la semaine dernière
à Panmunjom. La partie nord­co­
réenne aurait affirmé que les dis­
cussions de travail pourraient re­
prendre rapidement. Ce qui sem­
ble possible, mais pas avant la fin
de « 19­2 Dong Maeng ».
philippe mesmer

Les récents tirs
nord-coréens
ciblent Séoul,
pour des raisons
tant militaires
qu’économiques

Affiche de
campagne
de Benyamin
Nétanyahou,
à Jérusalem,
le 28 mars.
AMMAR AWAD/REUTERS

Le premier
ministre israélien
martèle que
seule la victoire
de son parti
empêchera « un
gouvernement
de gauche »

Au Chili, un prêtre admiré


accusé de violences sexuelles


A


u Chili, le prêtre jésuite Renato Poblete était vénéré.
Décoré, en septembre 2009, par l’ancienne présidente
socialiste Michelle Bachelet, il avait été qualifié, à sa
mort en février 2010, à l’âge de 85 ans, de « saint » par l’actuel
président de droite Sebastian Pinera. Mais aujourd’hui, le
prêtre modèle est accusé d’au moins 22 cas de violences sexuel­
les commises pendant près d’un demi­siècle, entre 1960 et


  1. Ce sont les conclusions d’un rapport, publié le 30 juillet à
    Santiago par la congrégation jésuite chilienne elle­même,
    après une enquête confiée à un avocat pénaliste de l’université
    du Chili qui, pendant six mois, a in­
    terrogé une centaine de personnes.
    Le scandale a éclaté, en janvier, avec
    le témoignage d’une victime, Mar­
    cela Aranda, qui a dénoncé les viols à
    répétition que lui a fait subir Renato
    Poblete, entre 1985 et 1993. Agée
    aujourd’hui de 53 ans et enseignante
    de théologie de l’Université catholi­
    que dans la capitale chilienne, Mar­
    cela Aranda a révélé que le prêtre
    l’avait obligée, par trois fois, à avorter. Après ce témoignage
    bouleversant, à la télévision chilienne, d’autres victimes ont osé
    parler, certaines dénonçant des « agressions soudaines et violen­
    tes ». Quatre d’entre elles étaient mineures au moment des faits.
    « L’enquête a montré de manière indiscutable que Renato
    Poblete a abusé sexuellement de manière grave, répétée et systé­
    matique, en s’abritant derrière le pouvoir que lui conférait son sta­
    tut de prêtre, l’argent dont il disposait et le prestige dont il bénéfi­
    ciait du fait de son travail apostolique », a reconnu Cristian Del
    Campo, la plus haute autorité jésuite au Chili. La Compagnie de
    Jésus a demandé pardon pour ce qu’elle a qualifié de « dure vé­
    rité ». Le rapport, de plus de 400 pages, sera transmis à la justice.
    L’Eglise chilienne est ébranlée, ces dernières années, par une
    longue série de scandales d’abus sexuels, en particulier de
    pédophilie. En mai 2018, l’ensemble de l’épiscopat avait
    présenté sa démission au pape François. Parmi eux, l’archevê­
    que de Santiago, le cardinal Ricardo Ezzati, 77 ans, accusé d’avoir
    couvert des prêtres pédophiles.
    christine legrand (buenos aires, correspondante)


RENATO POBLETE EST 


ACCUSÉ D’AU MOINS 


22 CAS DE VIOLENCES 


SEXUELLES COMMISES 


ENTRE 1960 ET 

Free download pdf