Marie Claire N°805 – Septembre 2019

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Une adolescente sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris,
le consentement mutuel est encore une question, et l’acte sexuel
avec un homme se termine bien souvent quand il a joui.
Après #MeToo, comment les femmes peuvent-elles vivre une
sexualité pleinement satisfaisante et vraiment libre? Et comment
parvenir à une égalité sexuelle? Notre enquête.

Par Valentine Faure

Ma mère, qui avait 18 ans en 1968, m’a raconté qu’à
l’époque, un homme lui avait demandé dans la rue si
ça lui disait de coucher avec lui. Non, ça ne lui disait
rien, lui avait-elle dit, et l’homme lui avait répondu,
l’air excédé : « Sale bourgeoise! » On peut imaginer ce
qu’il a fallu de force aux filles prises entre la joie
d’être libérée et l’injonction à l’être. Comment savoir
quoi faire de cette liberté? Comment jouir sans
entraves? Avec qui? On sait maintenant qu’on n’avait
pas fini d’explorer les limites de la libération sexuelle.
Car il y en avait, des limites. Libérées de la perspec-
tive de la reproduction, libérées du mariage, elles ne
l’étaient pas complètement des hommes, ni de la
morale. La sexualité est restée, en partie, le lieu de
la domination masculine. En 1970, deux tiers des
Français des deux sexes déclaraient encore que
c’étaient les hommes qui prenaient l’initiative des
rapports sexuels. Autrement dit, les relations
sexuelles avaient lieu quand ils le décidaient.
Un demi-siècle plus tard, ce que disaient ces millions
de voix accordées sous le vocable #MeToo, c’était la
nécessité de rouvrir le dossier de la libération
sexuelle. De repenser, alors qu’on pensait vivre à
l’ère pacifiée du consentement mutuel, ce que serait
une sexualité non seulement préservée de violences,
mais aussi pleinement satisfaisante et vraiment libre.
De quoi est fait le désir mutuel? Que faire des
inégalités de pouvoir dans la sexualité? Quand on
consent, à quoi consent-on, et avec quel plaisir?

Ce sont toutes ces questions qui se sont échappées du
concert de témoignages et d’analyses. Il est temps de
se demander comment, portées par l’air du temps,
elles façonnent en retour les intimités.

Celles qui attendent, ceux qui pénètrent
Une jeune femme nous racontait cette impression
nouvelle de n’être plus seulement deux avec un
homme, mais d’être entourée par d’autres femmes,
en soutien. « Par exemple, plus jamais je ne laisserai un
homme me dire “de ne pas le laisser comme ça”, nous
dit-elle. J’ai toujours trouvé ça odieux, mais maintenant
je pense que je pourrais carrément m’énerver. Evidem-
ment, l’inverse ne se dit pas, puisqu’un homme ne peut
plus physiquement continuer. Mais je crois que les mecs
ne se rendent pas compte, quand on a joui, ce que ça fait
de continuer : c’est ultra-désagréable. Je dis beaucoup
plus facilement : deux secondes s’il te plaît, on fait une
pause. » Les résultats d’un sondage Ifop de fé-
vrier  2019 allaient d’ailleurs dans ce sens : au-
jourd’hui, seulement trois femmes sur dix estiment
qu’un rapport sexuel est raté s’il n’y a pas orgasme
(28 %), tandis qu’elles étaient quatre sur dix vingt ans
plus tôt (41  %). Et au rayon des transgressions des
normes de genre, on apprenait aussi que 22  % des
femmes avaient déjà pénétré leur partenaire.
La philosophe Camille Froidevaux-Metterie parle
d’une deuxième révolution sexuelle, ou plutôt d’une
« relance du projet de révolution sexuelle sur le versant

La deuxième révolution


sexuelle est arrivée


Sexe, jouissance et consentement

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