Marie Claire N°805 – Septembre 2019

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Livres 94


hannah assouLine/opaLe/Leemage.

Yann Moix, le survivant Dans son ouvrage


« Orléans », l’écrivain raconte frontalement et avec grâce


son enfance mortifère et battue. Il faut le lire. par marianne mairesse


Yann Moix
en 1995.

Dans l’entretien qu’il nous avait accordé au mois de
janvier (pour son précédent ouvrage Rompre), il
racontait son heure de crawl quotidienne à la piscine
Molitor. Et ses trois heures d’affilée, chaque samedi,
de 9 h 30 à 12 h 30. Neuf heures sans s’arrêter, à fendre
l’eau. C’était étrange et étonnant. C’est aujourd’hui
explicable. Ses parents ont été une lourde bille noire
dans sa tête, une obsession ; il les a rêvés morts dans
un bain de sang violet ou sous terre tant de fois. Dans
son nouvel ouvrage sobrement intitulé du nom de la
ville où il a grandi – Orléans –, il raconte son enfance
battue sans repos : la rallonge électrique comme un
fouet sur son crâne et son corps, sa peau déchirée,
ecchymosée, ses cheveux arrachés, les gifles, les
coups de poing, les insultes – « petit enculé » étant la
favorite de sa mère – son visage plongé dans la cuvette
remplie de la merde de son père, son abandon en
pleine nuit dans la forêt d’Orléans – « prompte à dévo-
rer les petits innocents  » – pour un cauchemar qui avait
réveillé ses parents. Son récit est sobre, accablant. Et
léger par endroits, comme une politesse. Il parvient
même à faire de l’humour.


« La chose que j’étais »
Mais comment Yann Moix peut-il parvenir à vivre
chaque jour? Comment un enfant qui a été nourri d’ef-
froi, de douleur, de cris, de bestialité, d’humiliation,
de regards chargés de haine peut-il tenir droit adulte?
Sa force et sa résistance sont colossales. Il a trouvé trois
saluts : sa capacité à l’émerveillement, le désir amou-
reux et la littérature. « (...) La chose que j’étais goûtait
chaque seconde comme si elle eût été recouverte de miel.
J’aimais le soleil, j’aimais la pluie. J’aimais chaque nuage.
J’aimais les arbres et les buissons de la cour. Mes “parents”
m’eussent tué sur le coup s’ils l’avaient appris : mais je crois
bien que j’aimais la vie. »
Sa première amoureuse fut une statue de la Vierge
Marie croisée sur le chemin de retour de l’école
maternelle. Il caressait son visage lumineux et l’em-
brassait. Puis ce fut Nathalie Ibarra, Delphine
Rousseau, Aurélie Lopez, Laurence Hutin, Virginie
Falun, Amanda Hebbel, Fabienne Paderewski, Anouk
Agoumy... Des femmes ont toujours été ses astres.


Des tentations de douceur et des îlots de repos, plus
ou moins atteints. Yann Moix a le désir d’épouser
facile, le succès plus difficile.
Mais le salut de sa vie fut sans conteste les mots et
la littérature, découverte à 9 ans et demi avec André
Gide et Les nourritures terrestres. C’est grâce à elle qu’il
a pu être, et devenir. Bien sûr, il veut être un génie.
Le mot revient sans cesse dans son livre, comme le
seul niveau de réparation possible à son ego piétiné,
transpercé, souillé. « J’aspire, comme sur un champ de
bataille, à dire la vérité », écrit-il. Son roman est cho-
quant et gracieux. Tellement digne. Yann Moix est un
être touchant.

(*) Éd. Grasset, à paraître le 21 août.
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