JOVANNA RIKALO/STOCKSY
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ELLE MAG / PHƒNOMéNE
Quand elle a arrêté de boire, avec
l’aide des Alcooliques Anonymes (AA),
il y a six ans, après avoir enchaîné trop d’excès
et de trous noirs, Marie a basculé dans ce
qu’elle nomme avec ironie « le monde du verre
à moutarde » : « Dès que j’annonce mon absti-
nence lors d’un d îner, on me ser t un Perrier dans
le verre “ Reine des neiges” des enfants. Comme
si je n’avais plus droit aux coupes en cristal. Se
sevrer est déjà long et âpre, mais trinquer avec le verre à moutarde,
c’est le petit détail bien humiliant. » Dans une société où l’alcool est
toujours considéré comme un lubrifiant social, les abstinents se disent
souvent sous pression. « Il faut traverser les mariages et les anniver-
saires en déclinant cent fois les offres de verre d’alcool. Et endurer le
feu des questions. Tu passes pour la fille pas sympa quand tu ne bois
pas », poursuit Marie. Et le diable peut se nicher dans le moindre
détail, comme les cartes des bars où les « soft » apparaissent généra-
lement de manière lapidaire (jus de tomate ou limonade ?) en fin de
parcours, après des pages de cocktails aux appellations chargées
de promesses : Pink Love, Royal Romance, Blue Lagoon, Paradise...
Mais le droit à jouir de sa tempérance sans être stigmatisé est en train
de devenir une nouvelle revendication grâce au mouvement Sober
Curious (« la curiosité de la sobriété »), qui pourrait bien ringardiser
la cuite. Lancé en 2016 par Ruby Warrington, journaliste américaine
quadra, il enjoint à interroger individuellement son rapport à l’alcool
JUSQU’ICI, REFUSER UN
VERRE D’ALCOOL – UNE
PERFORMANCE EN SOI –
VOUS FAISAIT PASSER POUR
UN RABAT-JOIE. MAIS, À
L’HEURE DU CULTE DU BIEN-
ÊTRE, L’ABSTINENCE SEMBLE
ÊTRE LA NOUVELLE PANACÉE.
DÉCRYPTAGE DÉGRISANT!
PAR JULIE RAMBAL
LA
SOBRIÉTÉ
C’EST
BRANCHÉ
et à ralentir sa consommation. « Beaucoup s’investissent dans leur
bien - être et à mesure que nous modifions notre alimentation, faisons
du spor t et adoptons d’autres pratiques, il est de plus en plus dif ficile
d’apprécier les effets de l’alcool, soulignait-elle récemment dans le
média “Bustle”. Je pense que beaucoup de gens commencent à se
demander si quelques heures d’amusement gagnées sur le stress ou
la solitude valent ce que l’on va inévitablement payer le lendemain... »
Ruby Warrington a également lancé Club Söda (Sober
Or Debating Abstinence), un « mouvement de consommation
consciente » qui se développe à grande vitesse dans les pays anglo -
saxons et aide ses adhérents avec des plannings d’objectifs sans
alcool et un suivi des progrès réalisés. En Grande-Bretagne, où le
binge drinking (boire vite et beaucoup) a longtemps été la norme,
Club Söda fait ainsi de l’agit-prop en organisant des soirées sobres
dans les pubs et en animant le Mindful Drinking Festival : un