Elle N°3841 Du 2 au 8 Août 2019

(Tina Meador) #1

2 AOÛT 2019


ELLE.FR 53


ELLE MAG / ENQUæTE


LES ENFANTS


CACHÉS


DE L’ÉGLISE


« L’évêque a proposé de
l’argent à Maman pour que
nous disparaissions elle et
moi, et qu’il n’entende plus jamais
parler de nous. Il fallait sauver
l’honneur de l’Èglise et que per-
sonne ne sache qu’un prêtre avait
brisé son vœu de célibat », explique Anne-Marie Mariani-Jarzac. À 68 ans,
Anne-Marie a fait la paix avec Dieu et l’Èglise. D’une voix calme, presque déta-
chée, elle raconte le calvaire de ses parents, un prêtre et une religieuse tombés
éperdument amoureux l’un de l’autre à Oran, au début des années 1950. « Les
autorités religieuses ont essayé de les séparer, en vain. Quand il a su que ma
mère était enceinte, mon père en a tout de suite parlé à son évêque et au vicaire
général. Ils ont insisté pour que je sois confiée à un couple stérile de la paroisse.
On a fait comprendre à mon père qu’il devait s’estimer heureux que je ne sois
pas placée à l’Assistance publique. » Anne-Marie passera les trois premières
années de sa vie chez des étrangers, recevant de temps en temps la visite de
ses parents. « Chaque séparation était un drame. Je pleurais, je voulais que ma
mère reste avec moi. Cela mettait les personnes qui m’avaient adoptée dans
une rage folle », se souvient-elle. Ce n’est qu’en menaçant de révéler le scandale
aux journaux d’Oran que la mère d’Anne-Marie parvient à la récupérer et à
quitter l’Algérie. Son père obtiendra finalement sa « réduction à l’état laïc »,
c’est-à-dire la fin de sa carrière de prêtre, et les rejoindra peu après en France.
De leur vie ecclésiastique, ils ne diront pas un mot à leur fille jusqu’à son ado-
lescence. « Après une querelle familiale, un de mes oncles s’est vengé de mes
parents en m’apprenant leur passé. Il m’a dit qu’ils n’avaient jamais voulu de moi,
que j’avais failli être abandonnée, confie Anne-Marie. J’étais très en colère, et
ma mère m’a expliqué brièvement ce qui s’était passé à ma naissance. Mais je

la sentais tellement démolie
quand elle m’en parlait que je
n’insistais pas. Je me suis renfer-
mée. J’étais le fruit du péché,
une bâtarde. Comment voulez-
vous qu’il n’y ait pas de fragilité
psychologique après ça? »
Si l’histoire d’Anne-Marie sem-
ble extraordinaire, elle est pour-
tant loin d’être unique. Né des amours d’un missionnaire,
l’Irlandais Vincent Doyle a fondé l’association Coping
International, qui vient en aide aux fils et aux filles de
prêtres et de religieuses. Elle compte cinquante mille
membres dans cent soixante-quinze pays. Son but :
obtenir que ces enfants soient reconnus par l’Èglise,
l’ouverture des archives et, qui sait, réussir un jour à chan-
ger la loi du XIe siècle qui impose aux prêtres le célibat.
En France, Anne-Marie Mariani-Jarzac, qui milite
depuis des années, a créé l’association Enfants du
silence en 2013. Véritable caillou dans la sandale de
l’institution catholique, elle met tout en œuvre pour enta-
mer un dialogue avec Rome et briser le tabou de la
sexualité des ecclésiastiques. Après de nombreuses
lettres adressées au pape restées sans réponse, elle
vient d’obtenir sa première victoire. Le 13 juin, la Confé-
rence des évêques de France a reçu pour la première
fois des filles et des fils de prêtres. « C’est une grande
avancée, se félicite Anne-Marie. Ils doivent entendre la
souffrance, la honte et la culpabilité que nous portons.
Alors que les institutions catholiques discutent

TENUS SECRETS, LES FILLES ET FILS


NÉS DES AMOURS INTERDITES


D’ECCLÉSIASTIQUES VIVENT


UN CALVAIRE. RÉVÉLATIONS.


PAR SARAH LÉVY ILLUSTRATIONS EDUARDO LUZZATTI
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