Libération - 03.08.2019

(Axel Boer) #1

MONDE


Un étudiant manifeste contre «l’influence du parti communiste chinois» à Brisbane, le 31 juillet.PHOTO DAVE HUNT. AAP IMAGE. AP

En Australie, es universitésl


au régime chinois


Des violences
sur un campus
de Brisbane, sur
fond de tensions
à Hongkong,
ont fait apparaître
au grand jour
la présence
et l’influence
grandissantes
de Pékin dans les
facs du pays.

D


es livres arrachés, des
empoignades, des
cris, puis l’interven-
tion de la police : le campus
de l’université du Queens-
land (UQ) à Brisbane a été le

aussi dénoncer les relations
de notre université avec la
Chine, un pays qui commet de
nombreux abus.» L’événe-
ment, qui se voulait pacifi-
que, dégénère lorsque des
élèves nationalistes chinois
et des inconnus
s’en mêlent, as-
s é n a n t d e s
coups et profé-
rant des menaces à l’encontre
des militants pro-démocra-
tie. Trois jours plus tard, le
consul général de Chine à
Brisbane, Xu Jie, revient sur
l’affaire dans la presse,
louant le comportement des
«patriotes spontanés» ontrec
des éléments qualifiés de«sé-
paratistes anti-Chine». La
ministre australienne des Af-
faires étrangères, Marise
Payne, répond aussitôt que la
liberté d’expression est pro-
tégée dans son pays,«y com-

pris sur des sujets controver-
sés ou sensibles». Une mise au
point nécessaire, mais peut-
être pas suffisante.

Dépendance. a Chine estL
l’un des partenaires commer-
ciaux les plus importants de
l’Australie. Mais surtout, l’af-
flux d’étudiants chinois est
crucial pour l’éducation supé-
rieure: leurs frais de scolarité,
trois fois plus élevés que ceux
des Australiens, finance les
universités à hauteur de
17 milliards d’euros. Leur pré-
sence est donc stratégique et
la tendance a connu une
hausse constante depuis le
début des années 2000. Les
Chinois représentent 38% des
étudiants étrangers contre
14 % il y a quinze ans.
Interrogé parLibération, l’ex-
pert en questions asiatiques
Richard McGregor du Lowy

Institute explique en partie
cette situation par le désen-
gagement de l’Etat fédéral
dans l’enseignement supé-
rieur:«Pour fonctionner avec
moins d’aides gouvernemen-
tales, les universités ont été
obligées de miser sur d’autres
sources de financement.» eL
système a donc créé lui-
même les conditions de cette

dépendance économique.
Mais outre le poids financier
des étudiants chinois, qui
mettrait en danger le budget
des universités si leur nom-
bre diminuait, leur présence
est aussi une porte ouverte à
un droit de regard sur les pro-
grammes. Peter Varghese,
recteur de UQ, avait d’ailleurs
lui-même évoqué cette ques-
tion en octobre, s’interro-
geant sur le comportement à
avoir«face à des étudiants qui
rejetteraient un enseigne-
ment contraire aux politiques
du gouvernement chinois». lI
soulignait alors le devoir des
universités de faire respecter
leur liberté pédagogique tout
en préservant leurs relations
avec Pékin.

«Evaluation». ette exhor-C
tation pourrait cependant
être mise à mal, notamment
en raison de l’influence des
instituts Confucius, cofinan-
cés par Hanban, le Bureau
national pour l’enseigne-
ment du chinois langue
étrangère. Souvent considé-
rés comme des outils de soft
power sur le modèle des ins-
tituts de l’Alliance française
ou les instituts Goethe, ces
structures posent problème,
selon Richard McGregor,«du
fait de leur présence au cœur
même des universités». Plus
inquiétant encore, d’après
une enquête duSydney Mor-
ning Herald t dee The Age,
treize universités australien-
nes auraient signé récem-
ment des contrats confiden-
tiels statuant, pour certains,
que le partenaire australien
«doit accepter l’évaluation du
siège[des instituts Confucius,
ndlr]sur la qualité de l’ensei-
gnement dans leurs centres».
Une formulation ambiguë
qui laisse entrevoir une pos-
sible intervention dans le
contenu des cours.
Après les événements sur le
campus, Drew Pavlou a reçu
des menaces sur les réseaux
sociaux –«Je vais engager un
tueur dans le deep web et
tuer ta famille» accompa-–
gnées d’une vidéo d’un
homme tué d’une balle dans
la tête. Depuis, le militant
est accompagné en cours par
un garde du corps. Malgré
les intimidations, il conti-
nue de manifester sur le
campus, en soutien au mou-
vement contestataire de
Hongkong et contre l’in-
fluence du Parti commu-
niste chinois.•

théâtre d’affrontements en-
tre étudiants la semaine der-
nière. L’incident serait peut-
être passé inaperçu s’il ne
s’était pas produit au son de
l’hymne national chinois,
questionnant l’influence de
Pékin dans les
universités aus-
traliennes. Les
politiques n’ont
d’ailleurs pas tardé à s’en mê-
ler.
Mercredi 24 juillet, un
groupe d’étudiants se ras-
semble pour soutenir les ma-
nifestants pro-démocratie de
Hongkong. L’initiative re-
vient à Jack Yiu, élève en psy-
chologie originaire de l’an-
cienne colonie britannique,
et à Drew Pavlou, activiste
australien d’origine chy-
priote.«Je voulais apporter
mon soutien aux protestatai-
res, xplique ce dernier,e mais

Par
VALENTINE
SABOURAUD
Correspondante à Melbourne

Le poids
financier
des étudiants
chinois mettrait
en danger
le budget
des universités
si leur nombre
diminuait.

L'HISTOIRE
DU JOUR

Les Saoudiennes auto-
risées à voyager seules
L’interdiction pour les fem-
mes de partir à l’étranger sans la surveillance d’un
«gardien» (mari, père, frère voire enfant) va être
levée pour les plus de 21 ans. Celles-ci pourront
également déclarer une naissance, un mariage,
un divorce, et être titulaire de l’autorité parentale
sur leurs enfants mineurs.PHOTO AFP

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