crasher à sa surface. L’objectif de ce
bombardement ingrat? Apprendre
à viser une cible prédéfinie sur la
surface de la Lune, dans l’idée d’y
revenir très prochainement... Chan-
drayaan-2 était déjà dans les tuyaux.
L’Isro avait imaginé un vaisseau
spatial en trois morceaux: un orbi-
teur, un atterrisseur et un rover.
Côté indien, tout était prêt pour un
lancement deux ou trois ans plus
tard. Mais la Russie était chargée de
concevoir l’atterrisseur et elle a pris
des années de retard. L’Inde a
finalement décidé de partir seule.
Cratères ombragés
Aujourd’hui, Chandrayaan-2 est en-
fin en route vers la Lune, pour un
voyage de six semaines. Cela paraît
une éternité, cinquante ans après
Apollo 11 qui avait fait le trajet en
trois jours, mais l’Inde n’a pas sous
la main la mythique fuséeSaturn V,
développée par la Nasa dans les
années 60 spécifiquement pour les
vols habités. Là où Saturn V pouvait
envoyer plus de 100 tonnes de
charge utile en orbite terrestre basse
(c’est comme ça qu’on mesure ce
que les lanceurs ont dans le ventre),
la plus puissante des fusées indien-
nes ne peut y emporter que 10 ton-
nes. Son job principal est plutôt de
lancer des satellites de communica-
tion(c’estmêmeécritdanssonnom,
GSLV–véhiculedelancementdesa-
tellites géostationnaires). Chan-
drayaan-2 n’a donc pas assez de vi-
tesse pour rejoindre la Lune en trace
directe. Elle doit d’abord se mettre
en orbite terrestre, puis élargir ses
ellipses pendant vingt-trois jours,
gagnant de la vitesse et de l’altitude
jusqu’à arriver dans le voisinage de
la Lune. A la mi-août, elle osera le
grandsautenrallumantsesmoteurs
pourplongerdanslechampgravita-
tionnel de l’astre. Là, elle resserrera
à nouveau ses orbites. C’estune tra-
jectoire ui exploite la force de gra-q
vité, un peu longuette certes,
Exploration du pôle sud pour l’un, multiplication des envois de sondes pour l’autre. Face
au quasi-monopole de la Nasa, les deux pays d’Asie multiplient les missions dans l’espoir
de concurrencer le géant américain. Un enjeu économique et stratégique de taille pour
se faire une place parmi les autres puissances spatiales.
«L
a fuite faisait
chuter la pression
de 4 bars par mi-
nute. L a fusée
aurait pu s’en sortir quand même,
mais on ne voulait pas prendre de
risques»,confie un ingénieurau
Times of India. Le décollage a donc
été annulé, cinquante-six minutes
avant l’heure prévue. L’agence spa-
tiale indienne (l’Isro) a préféré jouer
la«précaution extrême»et reporter
le vol pour lui donner toutes ses
chances. L’enjeu était trop grand: la
mission Chandrayaan-2 devrait
faire de l’Inde le quatrième pays au
monde à poser un engin spatial sur
la Lune, après la Russie, les Etats-
Unis et la Chine. Le joint défectueux
dans le réservoir d’hélium a donc
été réparé et, ce 22 juillet, la fusée
GSLV MkIII s’est finalement envolée
pour la Lune, sans encombre.«C’est
le début d’un voyage historique pour
l’Inde», s’est félicité le président de
l’Isro, Kailasavadivoo Sivan, depuis
la salle de contrôle du centre spatial.
A la télé,la chaîne anglophone India
Today aisait défiler ses bandeauxf
debreaking news vec enthou-a
siasme:«Bravo à l’équipe»,«le résul-
tat d’un travail sans relâche.»
C’est qu’elle était attendue depuis
plus de dix ans, cette mission. L’idée
d’explorer le Système solaire a
germé en Inde au début des an-
nées 2000, quand le pays n’avait en-
core qu’une expérience naissante
en lancement de satellites. Il s’est
dessiné un horizon plus lointain en
imaginant la mission Chan-
drayaan-1, la première à quitter l’or-
bite terrestre pour atteindre la
Lune.Lancée en 2008, la sonde a
passé dix mois à tourner autour de
l’astre pour dresser des cartes et
surtout envoyer un «impacteur» se
Par
CAMILLE GÉVAUDAN
UN ÉTÉ DANS LA LUNE
Cinquante ans après la mission Apollo 11, la Lune fait de nouveau rêver. Terrain de
jeu des Etats voulant montrer leur savoir-faire et des start-up qui cassent les coûts
des missions spatiales; base d’entraînement en attendant le grand bond vers Mars;
centre touristique pour milliardaires ou mémoire du Système solaire...
Chaque samedi durant tout l’été,Libé rendez-vous avec la Lune.a
Ci-dessous: des étudiants indiens
célèbrent le lancement de la mission
Chandrayaan-2, le 22 juillet. A droite:
vue d’artiste du rover de la mission
lunaire coréenne «Korea Pathfinder
Lunar Orbiter», prévue fin 2020. En bas
à droite: maquette du rover lunaire
chinois Chang’e-4.PHOTOS ARUN SANKAR.
AFP — KARI 2016 — VCG. GETTY IMAGES
Inde et Chine
leur part du croissant
lll
26 u ibération L Samedi3 e t Dimanche4 Août^2019