Q
uand on transporte dix millions de voya-
geurs chaque jour comme le fait la RATP
en région parisienne, ce ne sont pas les
quelques «taxis volants» rajoutés à la flotte glo-
bale qui vont chambouler les grands équilibres
de l’entreprise. Mais quelle vitrine... La régie
compte bien l’exposer en 2024, lors des Jeux
olympiques de Paris.«Notre politique d’innova-
tion s’appuie à la fois sur nos forces historiques et
sur les nouvelles mobilités émergentes, mais sur-
tout sur la capacité à articuler tous ces modes»,
résume Mathieu Dunant, directeur de l’innova-
tion. Faire voler l’usager quand tous les médias
du monde seront dans la capitale française, belle
démonstration. Toutefois, intégrer des «taxis vo-
lants» à l’offre ordinaire n’est pas ce qu’il y a de
plus simple.
Grosse machine.En s’engageant dans un par-
tenariat avec Airbus, le cinquième acteur mondial
du transport public apporte certes son savoir-faire
d’opérateur de réseau, mais même pour une
grosse machine comme celle-là, l’arrivée de ces
objets volants que l’on commence tout juste à
identifier pose de nombreuses questions. Signée
le 15 mai, la convention de partenariat prévoit que
les deux groupes«s’attachent à analyser les condi-
tions d’un développement de cette offre de service
à coût maîtrisé», omme l’indiquait alors leurc
communiqué commun. Au menu:«Travailler
sur l’intermobilité et l’insertion urbaine afin de
rendre le véhicule volant accessible au plus grand
nombre.» oût maîtrisé, intermobilité, insertionC
urbaine: voilà qui résume la feuille de route de la
régie autonome des transports parisiens dans
cette affaire.
Sur les engins, le transporteur fait confiance au
constructeur.«Il y a une réalité de ces objets tech-
niques : ils vont exister dès 2024-2025, ce n’est pas
de la science-fiction», insiste Mathieu Dunant.
Mais la technique ne résout pas tout. Dans le cadre
de la convention,«nous allons regarder comment
les intégrer dans la ville, gérer le bruit, trouver
les bonnes routes aériennes, les points d’arrivée
et de départ».
Côté trajets, on ne sera pas dans les sauts de puce.
La RATP estime que la longueur idéale d’une
course se situeautour de 30 kilomètres, soit la dis-
tance qui sépare l’aéroport Charles-de-Gaulle de
la capitale (27,3km précisément).«Le taxi volant
peut tout à fait se comparer au VTC», xplique lee
directeur de l’innovation. Au même prix?«A un
prix accessible au plus grand nombre. C’est l’exi-
gence que nous avons posée à Airbus», épond-il.r
A deux euros le kilomètre, base actuelle de travail,
le parcours par la voie des airs reviendrait au
même prix que le forfait taxi (50 ou 55 euros selon
que l’on part de la rive droite ou de la rive gauche
de Paris).«Les coûts diminueront quand les appa-
reils seront autonomes, avec un pilotage mutualisé,
prédit le directeur de l’innovation.Mais cela vien-
dra dans un deuxième temps.»
Ports.D’où partira-t-on dans la capitale? La
technologie de ces appareils s’apparentant davan-
tage à celle de l’hélicoptère que de l’avion, il ne
va pas être nécessaire de transformer les Champs-
Elysées.«On ne va pas mailler Paris de pistes d’at-
terrissage, it Mathieu Dunant.d Mais se poser sur
un ou deux endroits bien choisis dans Paris, pour-
quoi pas ?» ’idéal serait d’arriver à coordonnerL
ces nouveaux «ports» avec le réseau RER.«Un
concept intelligent de gare RER pourrait recevoir
ce type d’aéronef sur son toit», magine-t-il. Pouri
lui, le contre-exemple parfait est l’héliport d’Issy-
les-Moulineaux, «à 800 mètres de la première sta-
tion de métro». n fait, à 650 mètres seulementE
mais vu le tarif du transfert, qui va de 658 euros
par personne si l’on est six jusqu’à 3950 pour les
solitaires (tarifs Hélipass), on comprend que la
proximité du métro n’est pas essentielle.
Y aura-t-il une quantité suffisante de taxis volants
dans l’air parisien pour que les gens normaux
aient l’espoir d’y embarquer un jour ?«Nous
n’avons pas encore de réponse sur la taille de la
flotte, l’étude va nous permettre de la préciser», itd
Mathieu Dunant. Et combien de passagers dans
ces aéronefs?«Jusqu’à quatre». Petit taxi. Les pre-
miers résultats de l’étude seront rendus fin 2019.
SIBYLLE VINCENDON
A la RATP, des engins qui ne sont
«pas de la science-fiction»
Le transporteur espère mettre
en place un réseau de VTC
aériens à l’occasion des Jeux
olympiques de 2024.
T
out le monde a retenu le
deuxième vol. Le 14 Juillet,
alors que la cérémonie
d’ouverture du défilé venait de se ter-
miner à Paris, un homme volant a
débarqué. Tout en noir, fusil d’assaut
(factice) en main, il a fait un aller-re-
tour rapide en face de la tribune pré-
sidentielle, à une bonne vingtaine de
mètres du sol. «Waou», photos,
vidéos, tweets, sourires satisfaits.
Quelques mois plus tôt, le Flyboard
Air de Franky Zapata avait déjà sur-
volé képis et costumes cravates un
peu plus en amont sur la Seine :
c’était en novembre, devant Bercy,
lors de la première édition du Salon
des innovations de la défense. Cette
première démonstration scellait la
réconciliation entre Zapata et les
autorités françaises, le premier ayant
failli s’installer à l’étranger à cause
d’embrouilles administratives sur les
autorisations de vol.
En octobre 2017, Zapataavait eu des
contacts avancés vec les forces spé-a
ciales américaines, intéressées par
l’un de ses démonstrateurs, l’Ez-Fly,
plus gros et moins rapide que son
flyboard. Il n’en fallait pas plus pour
que Paris se réveille. Lors du Salon
des innovations de défense, le minis-
tère des Armées, qui martèle depuis
l’arrivée de Florence Parly que l’in-
novation est sa priorité, annonce
avoir investi 1,3 million d’euros. Le
drapeau tricolore flotte à nouveau,
et durablement, sur Zapata Indus-
tries. L’honneur est sauf. Objectif
de cette participation: développer
un nouveau modèle plus stable et
moins bruyant, en collaboration
avec l’Office national d’études et de
recherches aérospatiales (Onera) et
la société Polyshape.
Quels usages les armées françaises
pourraient bien avoir de cette plan-
che volant dans les airs? A ce stade
très préliminaire de développement,
tout est imaginable.«Il peut être uti-
lisé pour évacuer un blessé [ou]
comme plateforme logistique pour
aller transporter des munitions ou
des vivres, ou bien il peut servir de
plateforme d’assaut pour des com-
mandos»,répondait Emmanuel
Chiva, directeur de la toute nouvelle
Agence de l’innovation de défense
sur France 2. De manière assez logi-
que, les premiers utilisateurs pour-
raient être les forces spéciales, qui
ont des besoins spécifiques mais
surtout l’habitude de tester de nou-
velles capacités. Dès 2010, ces trou-
pes d’élite ont été les premières à uti-
liser le HK416, le fusil d’assaut qui est
en train de remplacer le Famas dans
l’ensemble des armées.
Depuis cette année, des commandos
disposent de mini et nanodrones
Parrot. Ces achats «sur étagère» n’ex-
cluent pas des productions maison.
A l’image du projet Rakoon,«un sys-
tème conçu par un adjudant du 13e
régiment de dragons parachutistes
(13e RDP) qui permet aux opérateurs
des forces spéciales de voir sur une ta-
blette ce qu’ils devraient normale-
ment observer à travers la lentille de
leurs caméras, jumelles ou monocu-
laires», écritd une note de l’Hétairie,
un think tank pour«le combat des
idées à gauche». Cette réactivité
de l’armée,«un esprit start-up qui
l’oblige à une réelle agilité», se cogne
parfois aux«contraintes imposées
par une opération d’armement [...]
régie par une instruction ministé-
rielle (125/1516) garantissant le res-
pect des performances, des délais et
des coûts, [ainsi que] la transparence
et la traçabilité des décisions».
PIERRE ALONSO
Unbonplanpourl’armée?
Les forces françaises
ont investi 1,3 million
d’euros dans le flyboard
de Zapata. Objectif:
le rendre plus stable et
moins bruyant.
Franky Zapata à Paris, lors du 14 Juillet.PHOTO MARC CHAUMEIL
Blade Runner, e Ridley Scott,d
Iron Man, e Jon Favreau, 2008.d
Minority Report, e Stevend
ÉVÉNEMENT
«Il peut être utilisé
pour évacuer
un blessé.»
Emmanuel Chiva
Directeur de l’Agence
de l’innovation de la défense
4 u ibération L Samedi3 e t Dimanche4 Août^2019