MONDE
D
ans la pénombre de la petite maison
en torchis, on pourrait ne pas le voir.
Mohammed Khan, 20 ans, est assis
par terre contre un mur. Immobile, pâle, le re-
gard apeuré et mouvant, il semble ailleurs.
«On était dans un minibus pour aller à la mos-
quée et il y a eu une explosion. Sur les 20 per-
sonnes, une dizaine sont mortes. C’était une
mine.»Le jeune Afghan n’a pas de séquelle vi-
sible. Il dit juste qu’il a des bourdonnements
d’oreilles et des problèmes de mémoire.«Il n’a
plus toute sa tête», ssure l’un de ses cousins,a
assis à côté. Un peu plus tard, Mohammed
Khan dira, comme pour s’excuser:«Je ne suis
pas comme ça d’habitude. Je bouge et je parle
normalement.»
Gul Khan, 47 ans, est là, dans la même mai-
son, aussi massif que Mohammed est frêle.
Les deux se connaissent, ils viennent du
même district de Sanguin, dans la province
méridionale du Helmand, et ont des liens fa-
miliaux. Ils sont arrivés il y a une dizaine de
jours, après quatorze heures de route et plu-
sieurs barrages talibans, dans ce camp de ré-
fugiés de Kaboul. Gul Khan parle d’une voix
grave, sûr de lui:«Ça s’est passé il y a deux se-
maines. Quelqu’un de mon village a tiré sur un
[blindé] de l’armée américaine. Moi, j’étais
dans mon champ. Des hélicoptères sont arri-
vés. Je ne sais pas si c’était l’armée afghane ou
américaine, mais ils ont tiré de tous les côtés.
Ma femme et ma fille ont été tuées. Je les ai en-
terrées et je suis venu ici avec le reste de ma fa-
mille.» puis, Gul Khan a emménagé avecDe
ses neuf autres enfants –le plus jeune a 1 an–
dans une maison qui tombe en lambeaux.
Deux pièces séparées par une cour crasseuse
avec des toilettes qui se résument à un trou
recouvert d’une planche et d’une nuée de
mouches. Mohammed et Gul sont deux des
dernières victimes d’une guerre qui dure de-
puis plus de dix-huit ans. Ils ont survécu mais
ont tout perdu.
VOITURES PIÉGÉES
Le conflit afghan reste l’un des plus meur-
triers au monde. Mardi, l’Unama, la mission
des Nations unies dans le pays, a publiéses
dernières conclusions. ur les six premiersS
mois de l’année, plus de 3800 civils, dont
1 207 enfants, ont été tués ou blessés.
C’est 27 % de moins que l’an dernier. Une
baisse qui tient à la diminution du nombre
d’attentats massifs commis par les talibans.
Leurs attaques sont nombreuses, quasi quoti-
diennes à Kaboul, mais il n’y a pas eu de ca-
mions piégés comme l’an dernier, juste des
voitures.
Selon l’ONU, ce sont désormais les forces
afghanes et internationales, et leurs milices
alliées, qui causent le plus de victimes civiles,
devant les talibans et l’Etat islamique. Le
constat n’a pas plu au gouvernement afghan
et à l’armée américaine. Dans un communi-
qué, celle-ci a contesté«les méthodes et les
conclusions de l’ONU». «Les sources dont les
informations sont limitées et les motivations
contradictoires ne sont pas toujours crédi-
bles», déclaré son porte-parole en Afghanis-a
tan, le colonel Sonny Leggett. Même rejet du
côté du pouvoir central de Kaboul.«Oui, j’ai
vu ce rapport, xplique àe Libération e minis-l
tre de la Défense, Asadullah Khalid.La bonne
nouvelle est qu’il y a une baisse de 27 % du
nombre de victimes. Mais il y a un problème
de méthode : quand mes collaborateurs de-
mandent à l’ONU comment ils travaillent, ils
répondent qu’ils se basent sur des coups de fil
qu’ils reçoivent depuis les provinces. Mais on
sait que les talibans assimilent à des civils
leurs combattants tués ou blessés. Je ne
Par
LUC MATHIEU
Envoyé spécial à Kaboul
Photos ANDRA CALLIGAROS
REPORTAGE
AFGHANISTAN
«Des hélicoptères
sont arrivés, ils ont tiré
de tous les côtés»
Talibans et Etat islamique ne sont plus les principaux
responsables des morts et des blessés civils dans le pays,
selon un rapport de l’ONU, mais plutôt les forces américaines
et progouvernementales. A Kaboul, «Libération» a rencontré
des réfugiés qui confirment un durcissement du conflit.
Mohammed Khan, 20 ans, a survécu à l’explosion d’une mine qui a tué une dizaine de passagers d’un minibus.
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6 u ibération L Samedi3 e t Dimanche4 Août^2019