ROMULUS ET RÉMUS ONT-ILS DONNÉ LEUR NOM À ROME?
Non. Ce serait plutôt le contraire. Selon l’historien
Alexandre Grandazzi, le nom de la ville Roma
provient d’un lieu consacré à une ancienne divinité,
Rumina, déesse de la fécondité, à laquelle corres-
pond un arbre sacré, le ruminal, autrement dit le
figuier. Cet endroit était situé au pied d’une des
collines tournées vers le fleuve Rumon, l’un des
premiers noms du Tibre. Tous ces noms ont pour
racine un seul et très ancien mot italique, ruma,
qui désigne, selon le spécialiste, «aussi bien les
mamelles d’un animal que les mamelons dessinés
par le relief dans un paysage». Les jumeaux, qui
ont dérivé sur le fleuve pour finir leur course au
pied d’un figuier avant d’être nourris, au milieu des
collines, par les mamelles d’une louve, doivent
donc leur nom à ce lieu. Et non l’inverse.
LA GROTTE DE LUPERCAL EST-ELLE UNE PURE INVENTION?
Cet épisode majeur de l’histoire de Rome est
devenu réalité en 2007. Lors de fouilles menées
par l’archéologue italienne Irene Iacopi sur une
partie du mont Palatin, un sonar a révélé la
mythique caverne où une louve aurait allaité
Romulus et Rémus... Le Lupercal se trouve 15 mètres
en contrebas d’un monument dont la voûte
ap paraît décorée de dessins de coquillages et de
fresques géométriques avec un aigle blanc peint
sur un ciel bleu au plafond. Ces détails sont décrits
par l’auteur grec Denys d’Halicarnasse (vers
60-8 av. J.-C.), qui situait la grotte en effet au pied
du Palatin, non loin du Tibre.
Il ne s’agit pas, pour autant, de croire au récit
de la louve nourricière, surtout que cet ensemble
polychrome remonte au début du règne d’Au-
guste, c’est-à-dire au Ier siècle av. J.-C. Mais cette
découverte a permis de connaître un rite très
ancien et populaire qui expliquerait la légende
de la grotte. Dans la Rome primitive, chaque
année, le 15 février, les Romains se retrouvaient
au pied de la colline du Palatin pour fêter les
Lupercales. Ces réjouissances étaient placées sous
l’égide du dieu Lupercus, divinité protectrice des
troupeaux contre les loups. Partant de la grotte
où ont été immolés un chien et quelques chèvres,
une cohorte de jeunes hommes nus s’élançait
dans une course frénétique, munis de fouets en
peau de chèvre avec lesquels ils fustigeaient tous
ceux qu’ils rencontraient. Ces «luperques», hom-
mes loups, s’identifiaient ainsi à la jeunesse des
jumeaux fondateurs et restituaient l’ambiance
de l’ère fondatrice de la ville. Leur course folle
les ramenait enfin à la grotte sacrée, en ayant pris
le soin de transformer l’animal prédateur en bête
protectrice, reproductrice et nourricière. Un rite
de passage de l’enfance à l’âge adulte.
LA DATE DE LA FONDATION DE LA VILLE EST-ELLE CERTAINE?
Pour répandre le récit légendaire de la naissance de
la ville, les auteurs latins et grecs de la fin de la Répu-
blique et du début de l’Empire tels que le Romain
Virgile ou encore le Grec Denys d’Halicarnasse se
sont fiés aux écrits d’un contemporain de Jules César,
l’érudit Varron (116-27 av. J.-C.) qui retient la date
précise du 21 avril 753 av. J.-C. pour la fondation de
la ville. Un 21 avril qui correspond, dans le calen-
drier des fêtes romaines, à la célébration de Palès,
la déesse des bergers, symbole des premiers habi-
tants de Rome. Mais aucune découverte archéolo-
gique ne permet de dater la naissance de la ville
avec une telle précision. Tite-Live ne doute pas de
cette date, mais remet en question certains aspects
de la naissance légendaire de la ville. L’auteur des
142 tomes d’Histoire romaine se refuse, par exemple,
à croire qu’un dieu comme Mars ait pu avoir des
relations sexuelles avec une simple mortelle telle
que Rhéa Silvia! Selon lui, la mère
de Romulus et Rémus aurait plu-
tôt été victime d’un viol qu’elle a
voulu dissimuler. Sans parler de
la louve nourricière des jumeaux
qui serait une mauvaise interpré-
tation du terme italique lupa,
lequel signifie prostituée. Les
jumeaux étaient-ils les fruits d’un
crime sexuel? Leur nourricière,
une fille de joie au grand cœur?
Le passage qu’opère Tite-Live du
mythe à l’histoire sera repris et
exploité bien plus tard à grande
échelle. Au siècle des Lumières,
des historiens comme le Français
Louis de Beaufort, dans son ou -
vrage De l’incertitude des cinq premiers siècles de
Rome (1738), remettent totalement en cause l’his-
toriographie romaine. Un courant qui perdure
jusqu’au XIXe siècle. Les spécialistes décident qu’il
ne s’est rien passé d’important sur le site aux sept
collines, du VIIIe au VIIe siècle avant notre ère! Rome
serait née non pas en 753 av. J.-C., mais à partir du
VIe siècle, autrement dit sa période royale, marquée
par l’action décisive des monarques sur l’urbanisme
de la ville... Mais une campagne de fouilles sur le
Palatin effectuées en 1902-1903 met au jour des fon-
dations de huttes remontant au... VIIIe siècle av. J.-C.
L’événement trouble le monde de l’archéologie sans
le faire changer d’opinion.
On se fie plutôt à l’an thropologue français et
historien des religions Georges Dumézil (1898-
1986), lequel explique que les récits sur la fonda-
tion de Rome sont calqués sur les schémas mytho-
logiques communs à tous les peuples indo-euro-
péens. On doute aussi des origines grecquesEn 2007, les
archéologues
découvrent,
médusés,
la grotte des
jumeaux
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