mains. En 58 av. J.-C., César les at-
taque avec une mauvaise foi dont
témoigne le désaccord (qu’il se
garde bien de mentionner) de
plusieurs de ses offi ciers, comme
le racontera un historien du siècle
suivant. La vérité est qu’il lui faut
rester en Gaule, c’est-à-dire pro-
longer à tout prix l’état de guerre.
Il brandit donc l’épouvantail de la
menace germanique, prétend
qu’Arioviste, le roi des Suèves, a
pour projet d’envahir toute la
Gaule encore indépendante, ce qui
n’est pas impossible, puis d’atta-
quer l’Italie, ce qui est parfaitement
excessif. Il le sait si bien qu’il con-
sacre plus de pages à raconter ses
tractations avec Arioviste et à ma-
nier, dit Yann Le Bohec, «l’art de
l’échec diplomatique», qu’à décrire
la bataille fi nale dans les environs
de Mulhouse. Arioviste écrasé, il
décide alors de laisser des garni-
sons dans le nord de la Gaule, ce
qui représente une lourde menace
pour les Belges. En un mot – qu’on
ne lira jamais dans son texte –
l’ambitieux proconsul a tout fait
pour transformer de simples
confl its régionaux en une grande
guerre qui lui rapportera argent et
honneurs. Invoquant le droit, la
raison, le réalisme, César a conquis
la Gaule pour conquérir Rome.
La brièveté, la concision obli-
gée des rapports militaires lui per-
mettent de voiler ses intentions
profondes, et dans les situations
favorables, de mettre en lumière
sa propre personne. Ses lieute-
nants, pourtant brillants et expéri-
mentés, sont à peine men tionnés.
Michel Rambaud montre com-
ment en 57 av. J.-C. (Livre II) la red-
dition des Bellovaques, un peuple
belge puissant et fi er, n’a été pos-
sible qu’à cause d’un combat pré-
cédent remporté par les légats de
César, mais que celui-ci passe
sous silence afi n d’attribuer la ca-
pitulation de l’ennemi à son seul
prestige. En revanche, il grossit les
mérites de l’adversaire pour aug-
menter les siens d’autant.
Vercingétorix a ainsi droit à un
portrait saisissant car César se
trouve en grave position d’échec.
Les excès de son occupation en
Gaule y ont provoqué une révolte,
à laquelle il faut un auteur. Vercin-
gétorix est présenté comme un
exceptionnel meneur d’hom mes.
Or La Guerre des Gaules ne peut
dissimuler que l’Arverne n’a pas
eu seul l’initiative de la révolte, que
celle-ci a éclaté plus au nord, chez
les Carnutes. Vercingétorix est de-
venu le chef des contingents coa-
lisés, mais ne l’a jamais été de toute
la Gaule. Le Livre VIII, rédigé après
la mort de César par l’un de ses
proches collaborateurs, Aulus Hir-
tius, rétablit cette vérité. Il raconte
avec quelle diffi culté, après Alésia,
César dut reconquérir le nord et le
sud-ouest de la Gaule. César, lui,
s’est arrêté au Livre VII, où seul pa-
raît compter le quadrilatère cen-
tral Paris-Bourges-Clermont-Di-
jon. Toute la partie semble se jouer
là, parce que Vercingétorix est pré-
senté comme le «maître de toute
la Gaule». Habile déformation qui
vaudra au général une postérité de
vingt siècles, qu’il doit en grande
partie au fait qu’il reste l’unique
historien de l’événement. Aucun
autre écrivain ou témoin n’est
venu contredire son art de mêler
le vrai, le faux, le non-dit, sa ma-
nière de simplifi er l’action pour
la justifi er. Il aura ainsi sculpté sa
statue au fi l de ses écrits. C
Dans une toile
du XIXe siècle de
Pelagio Palagi,
Jules César apparaît
au milieu de ses
secrétaires atten-
tifs et recueillis,
dictant ses Com-
mentaires sur la
guerre des Gaules,
recueil de ses glo-
rieux faits d’armes.
Personne n’est venu contredire
son art de mêler le vrai et le faux
Pirozzi/Akg-images
GEO HISTOIRE 99