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SAMEDI 15 FÉVRIER 2020 culture| 23
Big Red, dernier samouraï du reggae
L’exmembre des Raggasonic affûte ses armes, avant de les ranger, avec deux albums, « Vapor » et « Smockaz »
MUSIQUE
A
ssis dans un café pari
sien, Big Red a des allu
res de vieux samouraï,
parachuté dans un
monde qui ne ressemble plus à ce
lui dans lequel il a combattu. Un
écran diffuse en boucle les clips de
la variété urbaine : « Zouk, raï, rap,
pop... ils te font des trucs aujour
d’hui... c’est à ne plus rien y com
prendre », hallucine le MC au crâne
chauve recouvert de tatouages.
Avec Daddy Mory, Big Red a formé
le duo Raggasonic, fer de lance du
reggae en France et de sa version
digitale, le dancehall, au début des
années 1990.
A eux deux et avec quelques
autres, ils ont cisaillé de leur flow
le contour de la musique urbaine
où se télescopaient le hiphop
hexagonal, le rubadub des sound
systems et les guitares saturées
des punks. Les mots de Big Red,
tranchants, voulaient mettre en
pièce les fléaux de l’époque : la
montée du Front national dans
Bleu, blanc, rouge ; la propagation
du sida dans J’entends parler et les
violences policières dans Kisdé.
Trente ans plus tard, Stéphane
Joaquim, alias Big Red, 48 ans, a as
sisté sur scène à la fin de carrière
des Suprême NTM, le 23 novem
bre 2019. Avec Raggasonic, il est
remonté sur la scène de l’Accor
Hotels Arena pour entonner leur
hymne, Aiguisé comme une lame,
et a précipité sa décision : « J’arrête
le son, je me retire, je m’efface, je
pense que j’ai tout donné. Le monde
a changé, et je n’ai plus envie de ré
sister ou d’essayer de suivre. Et puis
être MC à 50 ans, ça veut dire quoi?
C’est pathétique, si tu en es encore
là, c’est qu’il y a un truc qui déconne.
Je termine le taf et après “basta
cosi”. » Le taf pour lui, c’est appor
ter sa dernière pierre aux courants
musicaux qu’il a aimés toute sa
carrière, le reggae traditionnel et
les musiques des grandes métro
poles urbaines au BPM accéléré ou
non, la drum and bass et le grime
londonien, le Gfunk et le screwed
and chopped américain. Pour ce
faire, il a publié, vendredi 7 février,
deux albums enregistrés à trois
ans d’écart avec le Tourangeau
Biga Ranx, de vingt ans son cadet,
Vapor en 2016 et Smockaz en 2019.
A cette époque, Big Red tourne
en rond dans le circuit qu’il s’est
créé entre sound systems et
monde de la glisse. Biga Ranx
vient le voir après un concert et lui
dire son admiration pour son pre
mier album solo, Big Redemption
(1999), enregistré à Los Angeles, où
déjà le MC faisait se rencontrer
reggae et gangsta rap, bien avant
Diplo et Snoop Dogg : « Quand
Biga est venu me voir, raconte le
quarantenaire au débit toujours
percutant, il avait 25 ans et une très
bonne vision de ma carrière, alors
je lui ai dit : “Vasy, je m’en remets à
toi, je te laisse faire.” Et j’ai suivi son
délire. Il m’a emmené à Tours, j’ai
vécu la vie tourangelle, un petit mi
lieu fermé dans lequel on fait vrai
ment la teuf. Les patrons de bar
sont devenus des potes. »
« Donner de l’amour »
Les artistes de générations diffé
rentes se retrouvent sur la musi
que de DJ Screw, mort en 2000
d’une overdose de codéine :
« En 1997, Screw ralentissait tous les
morceaux qu’il aimait bien, expli
que Big Red. J’avais toutes ses cas
settes. Quinze ans plus tard, il y a eu
un revival aux EtatsUnis, et c’est là
que Biga a pris la vague et l’a adap
tée au reggae. J’ai trouvé ça très ori
ginal. Avec DJ Vadim, qui a été le
premier à tenter ce mélange, ils ont
fait passer le rubadub dans le
XXIe siècle. » Les deux compères ne
venin dans la tête des gens. J’avais
envie de donner de l’amour. Et ça
m’a fait du bien aussi de mettre un
peu moins de sens dans mes textes,
d’être moins sanglant et dénoncia
teur, même si je n’ai jamais été vrai
ment un activiste. »
Trois ans plus tard, il enfonce le
clou avec le remarquable Smockaz.
Cette foisci, en plus de Biga Ranx,
il s’est adjoint les services de Lil
Slow, un autre prodige touran
geau, et de la chanteuse Eva, du
groupe Damé, ou de Blundetto.
Très romantique, le rude boy y
écrit des chansons d’amour : Ton
ennui, Novemba, Light Goes Down,
Tornado... « Je m’adresse à ma
femme, à mes filles, à des personnes
qui vont s’aimer, expliquetil. Ce
n’est pas ciblé, ce n’est pas prémé
dité, c’est délivré en vrac. Quand tu
es MC depuis trentecinq ans, tu as
emmagasiné des images, des res
sentis, des atmosphères... Je n’ai pas
eu besoin de chercher, c’est sorti
tout seul. » A deux ans de la
retraite, Big Red promet de tirer
encore quelques « bastos » : un
album de grime avec DJ Absurd et
un autre de reggae. Sa façon à lui
de bien « terminer le taf ».
stéphanie binet
Vapor et Smockaz, 2 CD
Bendo Music.
A Paris, en 2019. ROOTS VIBES
Des « Souliers rouges »
lustrés façon variétés
Aux FoliesBergère, le spectacle musical de Marc Lavoine,
inspiré du célèbre conte cruel d’Andersen, privilégie la chanson
SPECTACLE
E
tre dans ses petits souliers
pour découvrir Les Souliers
rouges, spectacle musical
du chanteur Marc Lavoine et du
compositeur Fabrice Aboulker,
n’est pas peu dire. Comment le
conte cruel d’Andersen, publié
en 1845, et le film mythique, Les
Chaussons rouges (The Red Shoes),
réalisé par Michael Powell et
Emeric Pressburger en 1948, al
laientils ressortir de cette double
vision pour atterrir sur le plateau
des Folies Bergère, à Paris?
C’est en show de variétés que Les
Souliers rouges commence une
nouvelle vie théâtrale. Sur fond
de grands rideaux blancs, ces
chaussons fascinants qui portent
la poisse à leur propriétaire ruti
lent comme des bijoux. Ils acti
vent un scénario simplifié, res
serré autour de trois héros.
Isabelle (Loryn Nounay) veut de
venir danseuse étoile de l’Opéra
et tombe sous la coupe de Victor
(Guilhem Valayé), un chorégra
phe qui désire mettre en scène le
ballet maudit des Souliers rouges.
Quand Ben (Benjamin Siksou),
un journaliste, tombe amoureux
d’Isabelle, c’est le début du chaos.
Si l’histoire finit mal comme il se
doit, on est loin, très loin du conte
et de cette paire de chaussons qui
danse toute seule même lors
qu’on a coupé les pieds à l’héroïne
principale.
Alors, l’art ou l’amour? Réussir
sa vie ou faire carrière? Vieilles lu
nes que les vingtquatre chan
sons écrites par Marc Lavoine sur
des musiques de Fabrice Aboul
ker, complice avec lequel le
chanteurcomédien a réglé quel
ques fameux hits dont Elle a les
yeux revolver, caressent dans le
sens du poil.
Colonne vertébrale du spectacle
mis en scène par Jérémie
Lippmann, cette collection, deve
nue un album disponible en nu
mérique, compile, au risque d’ef
fets appuyés, les motifs de la ru
desse et de la beauté du métier de
danseuse classique, des choix à
faire pour mener sa barque, tan
dis que la malédiction attachée
aux souliers – celle qui les porte
doit faire une croix sur l’amour –
ne va pas tarder à frapper.
Nouveaux tremplins artistiques
Interprétée par huit danseurs effi
caces et polyvalents, la chorégra
phie agit comme un rappel sans
plonger aux racines nerveuses de
l’urgence à danser. Avec deux si
gnatures, celles de l’étoile du Bal
let de l’Opéra national de Paris
MarieAgnès Gillot, qui a super
visé l’ensemble, et de la contem
poraine Tamara Fernando, les dif
férents tableaux s’enchaînent
avec tantôt les créatures diaboli
ques, tantôt les ballerines de rêve
en tutu et sur pointes. Ils décorent
ce show principalement chanté,
rythmé par ses projections vidéo
et lumières flashy.
Les Souliers rouges reflètent les
nouveaux tremplins artistiques.
Loryn Nounay, 20 ans, passée par
le Conservatoire de La Rochesur
Yon, s’est fait connaître par Insta
gram, réseau social sur lequel elle
mettait en ligne ses créations
musicales. Guilhem Valayé,
auteurcompositeur, a suivi les
cours de chant lyrique au Conser
vatoire de Paris, a créé le groupe
3 Minutes sur mer et a été candi
dat de « The Voice », en 2015.
Quant à Benjamin Siksou, fina
liste de « Nouvelle Star » en 2008,
il est auteurcompositeur et
acteur, déjà repéré chez Arnaud
Desplechin et Emmanuelle Ber
cot. Un trio d’aujourd’hui.
rosita boisseau
Les Souliers rouges,
de Marc Lavoine et Fabrice
Aboulker. Aux FoliesBergère,
32, rue Richer, Paris 9e, jusqu’au
19 avril. A partir de 17, 50 €.
se contentent pas de proposer une
nouvelle alchimie musicale, le
cloud reggae, mais ils y associent
d’autres textes que les bravades du
rap ou du dancehall. Dans Vapor,
en 2016, Big Red reprend La nuit je
mens, de Bashung, ou se moque de
l’uniformisation de la mode dans
J’aime pas les Nike : « Après les at
tentats de 2015, je ne voulais pas
faire de musique anxiogène. Ça
aurait été stupide de balancer du
O P É R A
Julie Guibert nommée
directrice du ballet
de l’Opéra de Lyon
Julie Guibert a été nommée,
mercredi 12 février, directrice
du Ballet de l’Opéra de Lyon,
après le licenciement de
Yorgos Loukos, condamné,
en décembre 2019, pour avoir
demandé le nonrenouvelle
ment du contrat d’une
danseuse à son retour de
congé maternité. Née en 1974,
Julie Guibert a des attaches
fortes à Lyon, où elle a été
formée, avant de rejoindre le
Ballet du Nord, puis d’y reve
nir de 2003 à 2005. « Depuis,
son parcours l’a amenée à
travailler avec Trisha Brown,
William Forsythe, Mats Ek,
Christian Rizzo, Russell
Maliphant », écrit l’Opéra de
Lyon dans un communiqué
publié mercredi soir. – (AFP.)
E N C H È R E S
Des inventaires des
bijoux de la couronne
de France en vente
à Monaco
Deux inventaires autographes
des diamants de la Couronne
avant leur mystérieux vol à
Paris, en septembre 1792, en
pleine tourmente révolution
naire, le « casse du millénaire »
selon les historiens, seront
mis aux enchères, samedi
22 février, à l’hôtel des ventes
de MonteCarlo. Vendus
avec toute la bibliothèque
d’un amateur de manuscrits
et livres anciens, contenant
des pièces notariées du
XIIIe siècle et d’autres curiosi
tés, les deux inventaires font
partie d’un lot de documents
issus du GardeMeuble royal,
ancêtre de l’actuel Mobilier
national. Les deux lots sont
mis à prix entre 4 000 et
6 000 euros. – (AFP.)
Max Boublil, le « trublion »
devenu banal
Après six ans d’absence, l’humoriste
et comédien présente un nouveau spectacle
HUMOUR
S
ix ans que Max Boublil
n’était pas monté sur scène.
Six ans pendant lesquels le
standup s’est renouvelé et a fait
apparaître des talents séduisants
aux univers inventifs. Estce par
comparaison que le nouveau
spectacle de l’humoriste pèche
par excès de facilité et se révèle
sans saveur?
Teeshirt noir, jean bleu et bas
kets, Max Boublil, passé par le ci
néma ces dernières années (Les
Gamins, Play, etc.) arrive sur la
scène de l’Européen, à Paris,
en promettant de prouver qu’il
est non seulement « bête et mé
chant », mais aussi « lâche ». Sous
son allure de grand ado souriant,
l’ancien vanneur préféré des
ados, qui a bâti son succès avec ses
chansons parodiques (J’aime les
moches, Chatroulette, Tu vas pren
dre) aux millions de vues sur You
Tube, a désormais 40 ans (« avant
dans mon portable j’avais des nu
méros de plans cul, maintenant j’ai
des numéros de médecins »), est
marié depuis quinze ans (« le ci
ment du couple, c’est devenu Net
flix ») et est père de deux petites
filles qu’il a inscrites dans une
école privée catholique pour évi
ter qu’elles finissent « sur les quais
de Seine à faire du diabolo ».
Pendant une heure, toutes les fi
celles du standup sont utilisées,
sans originalité. Max Boublil choi
sit un bouc émissaire dans la salle
(une spectatrice à l’allure bour
geoise), demande au public où il
part en vacances (pour comparer
avec ses « vacances de couple »
choisies par sa femme), détaille
son quotidien de père et de mari.
Puis passe, sans transition, à la po
litique (« j’ai plutôt le cœur à gau
che mais j’aime pas trop les “insou
mis”, ces zadistes qui ont réussi »),
la religion (« les musulmans ont
trop la pression, il serait temps que
les catholiques fassent un attentat
dans un bar à chicha en criant “Au
nom du Père !” »), le féminisme
(« s’il vous plaît, les femmes, dra
gueznous lourdement, mettez
nous des mains aux fesses ») et les
végans qui contribuent à une épo
que où « on ne peut plus rien faire ».
Ni subversif ni imaginatif
Sur toutes ces thématiques main
tes fois rabâchées, le trublion est
devenu banal, ni subversif ni ima
ginatif. Quand il moque les pa
rents d’élèves on se dit que, sur ce
sujet, Florence Foresti a été diable
ment plus drôle.
Raconter que « la seule chance
de faire l’amour sous mon toit,
c’est la babysitter », que les « in
soumis » qui manifestent ont des
allures « de sauvageons de Game
of Thrones », ou qu’il préfère,
pour des raisons festives, « passer
un weekend avec Trump plutôt
qu’avec Greta Thunberg », c’est
peutêtre « bête et méchant »,
mais surtout pas très drôle.
sandrine blanchard
Nouveau Spectacle,
de Max Boublil, jusqu’au 28 mars
à l’Européen, à Paris.
L’ÉCRITUREPREND VIE