Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1

4 |international SAMEDI 15 FÉVRIER 2020


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Von der Leyen entendue cinq heures au Bundestag


L’ex­ministre de la défense allemande a dû s’expliquer sur le recours à des consultants grassement payés


berlin ­ correspondant

A


Berlin, les dernières
apparitions publiques
d’Ursula von der
Leyen dataient de
juillet 2019, quand elle quitta le
ministère de la défense pour se
préparer à ses futures fonctions
de présidente de la Commission
européenne. On se souvient no­
tamment des photos la montrant
aux côtés d’Angela Merkel, dont
elle avait été de tous les gouverne­
ments depuis 2005, et d’Annegret
Kramp­Karrenbauer (« AKK »),
qui récupérait le portefeuille de la
défense. La chancelière et ses
deux « dauphines », l’une en par­
tance pour Bruxelles, l’autre se
préparant à lui succéder à Berlin...
« Ce n’est pas ainsi que nous avions
imaginé la fin du patriarcat », titra
ironiquement, à l’époque, le quo­
tidien Die Tageszeitung.
Jeudi 13 février, Ursula von der
Leyen était de retour à Berlin pour
un rendez­vous dont elle se serait
bien passée, et dont les hasards
du calendrier firent qu’il ait lieu
alors que la droite allemande est
en pleine crise, trois jours après
que « AKK » a annoncé qu’elle re­
nonçait à être candidate à la chan­
cellerie. L’objet du rendez­vous :
l’audition de Mme von der Leyen
par la commission d’enquête par­
lementaire chargée de faire la lu­
mière sur les conditions dans les­
quelles le ministère de la défense,
du temps où elle le dirigeait, a eu
recours à des consultants exté­
rieurs grassement rémunérés.

« Niveau hiérarchique »
Durant son audition, qui a duré
presque cinq heures, l’ancienne
ministre a certes reconnu qu’il y
avait eu des « erreurs » dans l’attri­
bution de certains contrats. Mais
elle a récusé toute implication
personnelle, expliquant que les
embauches relevaient d’un « ni­
veau hiérarchique inférieur » au
sien. Elle a également assuré avoir
pris les mesures nécessaires
quand la Cour des comptes, à
l’automne 2018, a calculé que son
ministère avait versé plus de
200 millions d’euros à des con­

seillers venus du privé rien
qu’en 2015 et 2016, soit plus d’un
quart de ce qu’ont coûté l’ensem­
ble des consultants extérieurs
ayant travaillé pour le gouverne­
ment fédéral entre 2014 et 2018. A
l’époque, la Cour avait estimé à
moins de la moitié le nombre de
contrats établis par le ministère
de la défense dans le respect des
procédures habituelles en ma­
tière d’appels d’offres.
Pour Mme von der Leyen, « il est
d’autant plus regrettable que des
erreurs aient été commises » que le
recours à des consultants exté­
rieurs était nécessaire, selon elle,
pour mettre en œuvre l’ambi­
tieuse politique de modernisa­
tion dont elle fut chargée au mi­
nistère de la défense.
Pour la Bundeswehr (l’armée al­
lemande), les années von der
Leyen ont marqué un tournant.
Dans un contexte de montée des
tensions internationales (an­
nexion de la Crimée par la Russie,
guerre contre le terrorisme...), l’Al­
lemagne entendait désormais
« s’impliquer plus tôt, avec plus de
détermination et de façon plus
substantielle », comme elle l’avait
expliqué elle­même, le 31 jan­
vier 2014, lors de la Conférence
sur la sécurité de Munich.
Quand Mme von der Leyen
quitta le gouvernement, en
juillet 2019, le budget de la dé­
fense était de 42 milliards d’euros,
soit 10 milliards de plus qu’à son
arrivée, six ans plus tôt. Devant la
commission d’enquête, l’ex­mi­
nistre a rappelé que l’une de ses
priorités fut d’investir dans le nu­
mérique, ce qui se concrétisa no­
tamment par la création d’un dé­
partement chargé des techniques
d’information et de cybersécu­
rité. Or, dans ce domaine plus que

dans tous les autres, ils n’auraient
« pas pu avancer sans aide exté­
rieure », a­t­elle assuré,
Deux points étaient particuliè­
rement attendus lors de cette
audition. D’abord, les mots qu’al­
lait avoir Mme von der Leyen pour
Katrin Suder, ancienne cadre di­
rigeante du cabinet de conseil
McKinsey, qui fut sa secrétaire
d’Etat chargée des questions
d’armement de 2014 à 2018, et
qui est soupçonnée d’avoir puisé
dans son carnet d’adresses pour
faire appel à des consultants ex­
térieurs.
Interrogée sur le fait de savoir si
elle était au courant des liens
d’amitié unissant son ancienne
collaboratrice à un membre du
cabinet Accenture ayant travaillé
pour le ministère de la défense,
Mme von der Leyen a répondu par
la négative, écartant toute com­

plicité de népotisme. Alors que
Mme Suder a elle­même été audi­
tionnée par la commission d’en­
quête du Bundestag, le 30 janvier,
son ancienne patronne a tenu
une nouvelle fois, jeudi, à saluer
sa « rigueur », son « dévouement »
et sa « compétence ».

« Scandale manifeste »
Enfin, Mme von der Leyen était at­
tendue pour ses explications con­
cernant l’effacement des don­
nées des téléphones portables
mis à sa disposition comme mi­
nistre de la défense. En décem­
bre 2019, plusieurs membres de
la commission d’enquête s’en
étaient scandalisés. « La décision
d’effacer [les données d’un] télé­
phone portable sans qu’il ait été
établi que celui­ci puisse servir de
pièce à conviction sort du cadre
des litiges normaux qui existent

forcément entre un gouvernement
et une commission d’enquête par­
lementaire. Là, il s’agit d’un scan­
dale manifeste », avait réagi le dé­
puté Tobias Lindner (Verts),
membre de la commission.
Jeudi, Mme von der Leyen a expli­
qué que les données du premier
téléphone avaient été effacées par
le ministère, après qu’elle eut
rendu l’appareil. Concernant le
second portable, elle a admis qu’il
lui arrivait d’effacer des SMS, tout
en assurant qu’aucun message
supprimé n’avait d’intérêt pour la
commission d’enquête.
A l’exception de ceux de son
parti, la CDU, les membres de la
commission d’enquête ont été
déçus par l’audition de Mme von
der Leyen. « Aux questions concrè­
tes que nous avons posées, nous
n’avons eu que des réponses évasi­
ves », a déploré la sociale­démo­

crate Siemtje Möller. L’ex­minis­
tre a témoigné d’un « manque de
volonté à s’expliquer », a regretté
l’écologiste Tobias Lindner.
Mme von der Leyen était la der­
nière des quelque quarante té­
moins auditionnés par la com­
mission d’enquête créée début
2019 pour faire la lumière sur
l’« affaire des consultants ». Lors
de la mise en place de cette com­
mission, dont les conclusions
sont attendues pour l’été, beau­
coup d’observateurs avaient es­
timé que l’affaire contribuerait à
plomber la carrière politique de
Mme von der Leyen en Allemagne.
A l’époque, personne n’imaginait
que celle­ci viendrait s’expliquer
devant la commission d’enquête
dans ses nouveaux habits de pré­
sidente de la Commission euro­
péenne.
thomas wieder

Moyen­Orient : l’OTAN acte le désengagement américain


L’accord permet la reprise des opérations en Irak, gelées depuis l’assassinat du général Soleimani par un drone


bruxelles ­ bureau européen

C’


est, dans l’esprit de
beaucoup, un premier
pas vers le projet « Nato
Middle East » – ou NATO­ME –
cette initiative floue évoquée par
le président américain Donald
Trump à la mi­janvier. Lors d’une
réunion à Bruxelles, mercredi 12
et jeudi 13 février, les ministres de
la défense de l’OTAN ont entériné
le principe du transfert d’une par­
tie des missions menées en Irak
par la coalition internationale de
lutte contre l’organisation Etat is­
lamique (EI) vers l’Alliance atlanti­
que. Celle­ci reprendra les tâches
de formation et de conseil de l’ar­
mée irakienne.
L’accord était soumis à l’aval des
autorités de Bagdad, alors que le
Parlement irakien avait, lors d’un
vote dominé par la majorité chiite
et boycotté par les formations kur­
des et sunnites, réclamé le départ
des troupes étrangères après l’as­
sassinat par un drone américain,
le 3 janvier, du général iranien
Ghassem Soleimani. Dans la nuit
de mercredi à jeudi, le gouverne­
ment de Bagdad a marqué son ac­
cord pour un rôle accru de l’OTAN.
Cela ouvre la porte à une reprise
des opérations, gelées depuis plu­
sieurs semaines. « La résolution du
parlement de Bagdad n’était pas

contraignante, et l’idée d’une mis­
sion sous le label OTAN est, pour les
dirigeants irakiens, plus facile à
vendre en interne qu’une mission
américaine, alors qu’ils refusent
d’être au cœur d’une guerre entre
les Etats­Unis et l’Iran », analyse un
diplomate européen.

Trois nouvelles bases
Tant le secrétaire général de l’Al­
liance, Jens Stoltenberg, que le se­
crétaire américain à la défense,
Mark Esper, se sont montrés peu
diserts sur les détails de l’accord.
Les modalités devaient être discu­
tées vendredi, lors de la Confé­
rence internationale sur la sécu­
rité de Munich, entre les mem­
bres de la coalition anti­EI. Il
s’agira notamment de fixer le
nombre des militaires transférés
d’une mission vers l’autre et d’en­
visager la création de trois bases
nouvelles, dans le centre de l’Irak.
La France semblait jusqu’ici réti­
cente à s’engager sous la bannière
otanienne. Le chef d’état­major
des armées, le général François Le­
cointre, avait évoqué ses réserves.
Avec ses 160 instructeurs sur place


  • dont la présence assure aussi
    l’accès au renseignement – la mis­
    sion française a formé 27 000 mi­
    litaires irakiens depuis 2015, dont
    des forces antiterroristes. Les
    autres principaux contributeurs


sont le Royaume­Uni (400 militai­
res), l’Australie (300) et le Canada
(250). Ce dernier pays assure le
commandement de la mission,
qui devrait être repris par le Dane­
mark (200 hommes) en 2021.
Les membres européens de
l’OTAN exigeaient un accord clair
de Bagdad et insistent sur le fait
que le mandat de l’OTAN n’inclura
pas des missions combattantes. Ils
refusent d’être impliqués dans la
logique de « pression maximale »
américaine vis­à­vis de l’Iran : la
représentation diplomatique des
Etats­Unis à l’OTAN est apparem­
ment parvenue à convaincre
Washington que les alliés euro­
péens n’accepteraient aucune
concession au sujet de la mission
en Irak s’ils avaient le sentiment
qu’ils pouvaient être attirés dans
le conflit avec Téhéran.
Certains questionnent l’empres­
sement de l’OTAN à acter un rôle

accru en Irak. Le feu vert de Bag­
dad a été donné par le premier mi­
nistre démissionnaire Adel Abdel­
Mahdi, qui avait pourtant indiqué
que la décision reviendrait à son
successeur désigné.
Ce dernier, Mohammed Taoufiq
Allaoui, est engagé dans des trac­
tations incertaines pour former
un gouvernement. Les équilibres
politiques au sein du nouvel exé­
cutif pourraient influer sur les
modalités du maintien des forces
étrangères, alors que les factions
proches de l’Iran insistent sur leur
retrait complet. « Les négociations
avec Bagdad sur le futur rôle de la
coalition internationale n’ont pas
débuté. Or du périmètre de la mis­
sion de la coalition dépend celui de
la mission de l’OTAN », souligne un
diplomate d’un pays membre de la
coalition à Bagdad.

Sortir des « guerres sans fin »
L’accord conclu jeudi ébauche,
quoi qu’il en soit, un désengage­
ment des Etats­Unis au Moyen­
Orient. Des officiels américains ta­
blent d’ailleurs sur une extension
à court terme de la mission de l’Al­
liance. « Oui », a répondu, sans
autre explication, M. Esper, jeudi
soir, quand il a été interrogé sur
une possible réduction, à bref dé­
lai, du personnel américain en
Irak. « Le réinvestissement militaire

en Irak décidé par l’administration
Trump a été plus subi que désiré,
souligne un diplomate européen.
Il a seulement été motivé, depuis
mai 2019, par les diverses actions
lancées par l’Iran, mais la logique
de Trump reste bien de sortir des
“guerres sans fin”, de laisser jouer
les équilibres régionaux ou les pays
les plus concernés. »
C’est dans ce cadre, indique une
autre source, que se place le projet
« NATO­ME », fruit d’une réflexion
en cours au Pentagone sur la né­
cessaire sortie de plusieurs théâ­
tres de conflit, au profit d’un repo­
sitionnement face à la Chine et la
Russie et d’un réinvestissement
dans la zone du Pacifique. Dans ce
cadre, l’Europe et des acteurs ré­
gionaux seront incités à faire da­
vantage au Moyen­Orient, une
aire géographique qui, dans l’es­
prit de certains responsables con­
servateurs, devrait d’ailleurs être
étendue au Maghreb et au Sahel.
Avec, à la clé, bien des questions
pour les partenaires de Washing­
ton. Et la conviction, chez certains,
que « les opérations de l’OTAN ne
marchent vraiment bien que
quand on y relève une forte pré­
sence américaine » comme le dit
un diplomate...
nathalie guibert,
hélène sallon (à paris)
et jean­pierre stroobants

Les membres
européens
insistent sur
le fait que le
mandat n’inclura
pas des missions
combattantes

Ursula von
der Leyen,
ex­ministre
de la défense
allemande
et actuelle
présidente
de la
Commission
européenne,
devant la
commission
d’enquête
parlementaire
à Berlin,
le 13 février.
JOHN MACDOUGALL/AFP

É TAT S - U N I S
Le ministre de la justice
déplore les Tweet de
Donald Trump
Le ministre américain de la
justice, Bill Barr, accusé par
l’opposition d’utiliser son
poste pour servir les intérêts
personnels de Donald
Trump, a indiqué, jeudi 13 fé­
vrier, que les Tweet du prési­
dent américain rendaient
« son travail impossible ». « Je
pense qu’il est temps d’arrêter
de tweeter sur les affaires
dont le ministère de la justice
a la charge », a­t­il ajouté.
M. Barr, qui a accepté d’être
entendu, le 31 mars, par la
commission judiciaire de la
Chambre des représentants,
a précisé, néanmoins, qu’il se
« félicitait que le président ne
[l]’ait jamais demandé d’inter­
venir en quoi que ce soit dans
une affaire pénale ». – (AFP.)

Le Sénat bride l’action
militaire de Trump
contre l’Iran
Le Sénat a adopté, jeudi 13 fé­
vrier, une résolution visant à
limiter une action militaire
de Donald Trump contre
l’Iran. Fait rare à la Chambre
haute du Congrès contrôlée
par les républicains, huit
d’entre eux se sont associés
aux démocrates pour ap­
prouver cette résolution.
Cela lancerait « un très mau­
vais signal » pour la sécurité
des Etats­Unis, avait mis en
garde Donald Trump mer­
credi sur Twitter. – (AFP.)

L’ancienne
ministre
a reconnu des
« erreurs » dans
l’attribution de
certains contrats
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