Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1

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FRANCE


SAMEDI 15 FÉVRIER 2020

0123


Griveaux renonce à être candidat à Paris


La diffusion d’images privées à caractère sexuel a poussé le macroniste à abandonner la campagne municipale


C


e n’est pas un simple re­
bondissement dans une
campagne électorale
déjà hors normes. Plutôt
une déflagration, qui bouscule
tout, salit et peut broyer. A un
mois du premier tour des élec­
tions municipales des 15 et
22 mars, l’ancien ministre Benja­
min Griveaux, l’un des principaux
candidats à la Mairie de Paris, se
retire de la compétition, à la suite
de la diffusion publique d’images
privées le montrant en train de se
masturber. « Un site Internet et des
réseaux sociaux ont relayé des at­
taques ignobles mettant en cause
ma vie privée, a­t­il commenté
vendredi 14 février dans une dé­
claration enregistrée au siège de
l’AFP. Ma famille ne mérite pas cela.
Personne, au fond, ne devrait ja­
mais subir une telle violence. »
A trente jours du scrutin, La Ré­
publique en marche (LRM) se re­
trouve ainsi sans tête de liste pour
la Mairie de Paris, l’élection la plus
scrutée de France, et l’une des ra­
res que le parti présidentiel espé­
rait initialement gagner dans
l’Hexagone. Dans l’urgence, Em­
manuel Macron et ses proches
vont devoir trouver une solution
de repli. Plusieurs noms sont déjà
envisagés pour remplacer Benja­
min Griveaux. « Mais trouver la
bonne personne, motivée, pour
partir vers une Bérézina annoncée
n’est pas facile », commente un de
ceux au fait des tractations.
Tout commence dans la journée
de mercredi, lorsque plusieurs vi­
déos apparaissent sur un site por­
nographique apparemment créé il
y a moins de deux mois par Piotr
Pavlenski, un artiste russe, réfugié
politique en France, connu pour
une performance durant laquelle
il avait tenté de mettre le feu à l’en­
trée de la Banque de France, à Paris,
en 2017. Il avait alors été condamné
à trois ans de prison, dont
deux ans avec sursis. Sur ce site en
français et en russe, figurent des
images présentées comme des
captures d’écran, montrant des
échanges écrits privés avec une
femme, et une vidéo de masturba­
tion envoyée à celle­ci. L’article qui
accompagne les images, signé par
Piotr Pavlenski, met nommément
en cause Benjamin Griveaux. L’en­
semble du site se présente comme
une dénonciation des représen­
tants politiques « qui mentent à
leurs électeurs en imposant le puri­
tanisme à la société, alors qu’ils le
méprisent eux­mêmes ».

Manœuvre de déstabilisation
Très vite, dans l’après­midi, l’infor­
mation circule dans le petit
monde macroniste, où tous s’in­
terrogent sur cette manœuvre de
déstabilisation : s’agit­il ou non
d’un faux? Benjamin Griveaux,
lui, n’envisage pas de démentir les
faits. Ces messages érotiques sem­
blent bien avoir été échangés avec
une femme qui n’était pas la
sienne, en mai 2018, alors qu’il
était porte­parole du gouverne­
ment. « Il reconnaît que ce n’est pas
la meilleure initiative qu’il ait eue,
confie un de ses proches. Mais il
s’agissait de dialogues entre adul­
tes consentants. Rien d’illégal. »
Jeudi matin, le candidat à l’Hô­

tel de Ville fait encore bonne fi­
gure lors de la présentation de
son programme à la presse, en
présence d’une centaine de ses
soutiens. Il parle de « lutter contre
la solitude à Paris », de « revenir à
la semaine de quatre jours à
l’école », etc. A peine un faux pas
lorsqu’il s’étonne que personne
ne visite le musée Carnavalet...
alors que ce site est actuellement
fermé pour rénovation.
Mais, au fil des heures, l’inquié­
tude grandit à l’Elysée et dans la
majorité. Les uns après les autres,
les responsables se rendent
compte que les échanges compro­
mettants ne vont pas rester confi­
dentiels. Les images se mettent à
circuler de plus en plus large­
ment. Surtout en fin d’après­
midi, lorsqu’un médecin influent
ainsi que le fantasque député Joa­
chim Son­Forget, un temps mem­
bre de LRM, et déjà candidat à
l’élection présidentielle de 2022,
publient sur Twitter plusieurs
messages évoquant l’affaire. Joa­
chim Son­Forget donne même le
lien du site franco­russe... tout en
affirmant dénoncer « cette atta­
que basse contre Benjamin Gri­
veaux », « ce type de méthodes et
les gens qui sont derrière ce piège
ou ce montage ».
Sur Twitter, c’est l’emballement.
Benjamin Griveaux se retrouve en
tête des sujets de discussion, et pas
seulement pour la présentation de
son programme. Le candidat et le
parti se murent alors dans le si­
lence. « Aucun commentaire ce
soir », répondent tous ceux char­
gés normalement de s’exprimer.
« Sur les questions posées par les
journalistes, à ce stade, merci de ne
faire aucun commentaire », pré­

cise le directeur de campagne,
Paul Midy, dans un SMS envoyé à
ses équipes, leur donnant ren­
dez­vous à 9 heures vendredi,
pour une réunion en présence du
candidat.
En fin de journée, Emmanuel
Macron, en déplacement à Cha­
monix (Haute­Savoie), finit par
s’entretenir au téléphone avec
Benjamin Griveaux. Très amical,
il laisse le choix à ce « marcheur »
de la première heure, fidèle
parmi les fidèles : à lui de décider
s’il maintient sa candidature ou
se retire. « Il pourrait rester candi­
dat, déposer plainte, et se présen­
ter comme victime d’une
manœuvre infâme, confie alors
un membre de l’équipe de cam­
pagne. Les gens diront alors :’c’est
dégueulasse’. Ce n’est pas forcé­
ment plus risqué que de changer
de candidat à un mois du scrutin. »

Trouver un remplaçant
Dans la soirée, le choix du retrait
l’emporte néanmoins. « Benja­
min Griveaux a pris contact avec le
président de la République [jeudi]
soir tard pour lui faire part de son
intention de se retirer », indique
l’Elysée. « Il n’y avait pas vraiment

d’autre solution, estime un
homme au fait du dossier. Benja­
min n’aurait pas pu encaisser qua­
tre semaines de campagne avec ça
sur le dos. Vis­à­vis de sa famille,
d’abord. Mais aussi des électeurs.
Chaque jour, tout l’aurait ramené
à cela. Regardez le cas d’Anthony
Weiner. » En 2011, ce démocrate
américain avait lui aussi envoyé
des photos explicites à des fem­
mes. Il avait cru pouvoir tenir
après leur publication, mais dû
très vite démissionner.
Depuis le début de la campagne,
Benjamin Griveaux souffrait
d’une image d’homme arrogant,
froid, manquant de sincérité, sur­
tout face à son rival Cédric Villani.
Il n’avait pas hésité à mettre en
scène son couple, son statut de
jeune père, à jouer la carte per­
sonnelle. Lors de son dernier
meeting, le 27 janvier, il avait évo­
qué ses « angoisses », les « dra­
mes » personnels qu’il avait vécus
et la « carapace » forgée pour se
protéger de la « violence de la vie
politique ». « Il me reste sept semai­
nes pour dire ma part de vérité »,
avait­il déclaré. La famille était en
outre au cœur de son projet élec­
toral. Dans ces conditions, diffi­
cile de rester candidat : « Il n’était
plus le meilleur ambassadeur du
projet », constate sobrement un
familier de l’Elysée.
Qui peut le remplacer? Dès
jeudi, les proches d’Emmanuel
Macron ont établi des listes. Sur la
première figurent des candidats
déjà engagés dans la campagne
parisienne aux côtés de Benjamin
Griveaux, comme la secrétaire
d’Etat à l’égalité femmes­hom­
mes Marlène Schiappa, la maire
du 9e arrondissement, Delphine

Bürkli, les députés Olivia Gré­
goire, Mounir Mahjoubi et Pierre­
Yves Bournazel, ou encore le sé­
nateur Julien Bargeton. Mais
aucun nom ne fait l’unanimité.
Marlène Schiappa est par exem­
ple jugée trop clivante par cer­
tains. Delphine Bürkli est très ap­
préciée à Matignon, mais l’ex­Les
Républicains n’a pas sa carte de
LRM, pas plus que Pierre­Yves
Bournazel.

« Sauver les meubles »
Autre piste : le recours à une per­
sonnalité comme la ministre de la
santé Agnès Buzyn ou celui de
l’éducation, Jean­Michel Blan­
quer. « Il faut quelqu’un disposant
d’une forte autorité pour s’impo­
ser, reprendre immédiatement la
campagne, maintenir les accords
avec les partenaires politiques »,
plaide un acteur de la crise. Agnès
Buzyn a cependant redit vendredi
sur France Inter qu’elle ne « pour­
rait pas être candidate aux muni­
cipales » en raison de son agenda
ministériel « très chargé ». Une
réunion, assure une source ma­
croniste, devait se tenir vendredi
autour des principaux cadres de
la campagne et des partenaires de
LRM pour « proposer une nouvelle
tête de liste ».
D’autres encore imaginent faire
appel au candidat dissident Cé­
dric Villani, pourtant exclu du
parti présidentiel après avoir re­
fusé de rentrer dans le rang,
comme le lui a demandé Emma­
nuel Macron le 26 janvier.
« J’adresse à Benjamin Griveaux,
ainsi qu’à sa famille, mon soutien
plein et entier dans cette épreuve, a
commenté le mathématicien
vendredi matin. Je prends acte de

Benjamin Griveaux,
le 14 février, à Paris.
LIONEL BONAVENTURE/AFP

sa décision difficile. L’attaque indi­
gne qu’il subit est une menace
grave pour notre démocratie. »
« Pour l’instant, il n’y a que des
gens qui se poussent du col, tem­
père un haut cadre de la Macro­
nie. La discussion s’opérera au
sein du parti et avec le président
de la République. » Sans doute
dès ce week­end, tant le temps
presse. Les listes, comportant les
noms de quelque 500 candidats,
doivent être déposées d’ici au
27 février. Ce week­end, un tract
tiré à plus d’un million d’exem­
plaires devait être distribué dans
les boîtes aux lettres pour vanter
les mérites de Benjamin Gri­
veaux. « Tout a été bloqué in ex­
tremis », assure un membre de
l’équipe.
De toute façon, « il ne s’agit plus
de gagner, mais de sauver les
meubles », commente un autre.
Depuis des semaines, la campa­
gne de Benjamin Griveaux pati­
nait, en raison en particulier de
la guerre fratricide avec Cédric
Villani. Le dernier sondage Odo­
xa­CGI pour Le Figaro réalisé
dans la deuxième quinzaine de
janvier plaçait le candidat offi­
ciel de LRM en troisième posi­
tion, avec 16 % des intentions de
vote au premier tour, derrière
Anne Hidalgo (23 %) et la candi­
date Les Républicains Rachida
Dati (20 %). La défection brutale
de Benjamin Griveaux renforce
mécaniquement les chances de
succès des autres candidats. « On
efface tout, ou presque, com­
mente une tête de liste. Une nou­
velle campagne commence. »
denis cosnard,
olivier faye
et damien leloup

« L’attaque
indigne qu’il
subit est une
menace grave
pour notre
démocratie »
CÉDRIC VILLANI
candidat dissident
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