Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1
0123
SAMEDI 15 FÉVRIER 2020 france| 7

Le « en même


temps » de Macron


sur l’écologie


Le chef de l’Etat a fait de l’écologie


le « combat du siècle », mais craint


une « politique de stigmatisation »


chamonix (haute­savoie) ­
envoyé spécial

I


l voulait voir. Pour se rendre
compte. Mais aussi donner à
voir. Pour convaincre de sa
conversion. Jeudi 13 février,
Emmanuel Macron s’est rendu en
Haute­Savoie, sur la mer de Glace,
le plus grand glacier français, si­
tué au pied du mont Blanc. Une
langue gelée dont l’eau est vieille
de deux siècles, qui s’étale sur
7 km à l’ombre de l’aiguille des
Drus, mais qui perd chaque année
entre 5 et 10 mètres d’épaisseur.
Depuis 1850, la vieille dame a re­
culé de 2 km, et cela s’accélère.
En 2019, les « grottus », chargés
d’entretenir la grotte au pied du
glacier, ont dû ajouter 80 mar­
ches aux 500 déjà installées pour
amener le public sur place. Sur le
front glaciaire, il reste moins de
40 m avant d’atteindre la roche.
Vêtu d’une combinaison de ski
tricolore, chaussures de monta­
gne aux pieds, le chef de l’Etat
s’arrête à plusieurs reprises au
cours de sa descente, embrasse la
vallée où serpente le géant de
glace, vierge de neige cette année.
« C’est vertigineux quand on le
voit, souffle M. Macron, presque
hébété. Une fonte aussi rapide,
c’est vraiment impressionnant. »
« Le glacier rend visible l’invisi­
ble », approuve le glaciologue Luc
Moreau, l’un des scientifiques qui
accompagnent le président dans
sa visite. La veille, une dizaine
d’entre eux, dont le climatologue
Jean Jouzel, a dîné avec le prési­
dent au Refuge du Montenvers,
avant de passer la nuit sur place.
« Le combat du siècle. » C’est
ainsi que le chef de l’Etat a résumé
son ambition en matière d’envi­
ronnement, lors d’un discours
tenu quelques heures plus tard à
Chamonix, où il était venu an­
noncer un renforcement de la
protection du massif du Mont­
Blanc, dont l’écosystème souffre
de la pression touristique. Emma­

nuel Macron n’a, il est vrai, pas le
choix. S’il veut rééditer son élec­
tion « par effraction », comme il a
qualifié lui­même le dernier scru­
tin présidentiel, il doit convaincre
de sa conversion à l’écologie.
« Nous avons perdu 1 million
d’électeurs de centre gauche de­
puis 2017. On pensait les retrouver
avec la réforme des retraites, mais
on n’a pas réussi à les convaincre
que c’était une réforme de justice.
L’écologie peut être le moyen de
les reconquérir », explique un
membre du premier cercle prési­
dentiel, alors qu’une poussée du
vote vert est attendue aux élec­
tions municipales de mars et in­
quiète les stratèges de La Répu­
blique en marche (LRM). « L’éco­
logie est en train d’absorber la
social­démocratie, on ne peut pas
rester à l’écart », abonde encore
un conseiller.

« Un peu une énigme »
Le hic? Depuis la démission de
Nicolas Hulot du gouvernement,
il y a un an et demi, une majorité
de Français disent ne toujours pas
croire à la prise de conscience pré­
sidentielle. Emmanuel Macron
n’est pourtant pas resté inactif : il
a arrêté les projets de Notre­Da­
me­des­Landes (Loire­Atlantique)
ou d’Europacity en région pari­
sienne, promis d’interdire le gly­
phosate en 2022, décidé de fermer
les dernières centrales à charbon

françaises... Mais rien à faire, le
chef de l’Etat n’imprime pas,
comme si ses positions prises
durant la campagne, lorsqu’il mo­
quait les écologistes devant les
chasseurs, continuaient de lui
coller au costume.
« C’est un peu une énigme, plus
on fait, moins on est audible »,
s’angoisse un conseiller, pour
qui la personnalité effacée de la
ministre de la transition écologi­
que et solidaire, Elisabeth Borne
n’aide pas. Signe de cette inquié­
tude, M. Macron a lui­même
appelé ses parlementaires, lors
d’une rencontre à l’Elysée le 11 fé­
vrier, à « redonner (...) du sens à
tout ce qui a été fait » en matière
d’environnement et à donner
« une ampleur beaucoup plus pro­
fonde aux décisions à venir ».
« L’année 2020 sera absolument
clé pour cet agenda », a­t­il ajouté
lors d’une conférence de presse à
Saint­Gervais, jeudi en fin de
journée.
De l’avis unanime de la majo­
rité, la sortie de la Convention
citoyenne pour le climat, qui doit
remettre ses propositions le
4 avril, sera un « moment char­
nière » pour matérialiser la mue
du chef de l’Etat. Celui où il ne fau­
dra surtout pas se rater. « Cela
peut permettre de laisser derrière
nous les retraites et les municipa­
les, de repartir sur une dynamique
positive », veut croire une minis­
tre. D’ores et déjà, M. Macron a
promis de reprendre tout ou par­
tie des idées de la Convention. « Si

ce sont des recommandations lar­
ges, elles vont inspirer l’action du
gouvernement, et on en rendra
compte de manière régulière. Si ce
sont des projets de loi ou des textes
très concrets, ils seront soumis au
référendum ou au législateur », a­
t­il expliqué, le 12 février, dans
Le Dauphiné libéré.

Le risque de décevoir
Mais le risque de décevoir est im­
portant. A Chamonix, Emmanuel
Macron a redit qu’il ne croit pas à
la « politique de stigmatisation » et
qu’il entend ne pas brusquer. A
une semaine de l’ouverture du
Salon de l’agriculture à Paris, le
chef de l’Etat a notamment pris la

défense des agriculteurs. « On leur
a déjà demandé beaucoup de
choses », a­t­il plaidé, se disant
plus favorable à « les accompa­
gner » qu’à leur imposer de nou­
velles réglementations.
De même, il s’est dit impuis­
sant à réguler la circulation des
camions dans la vallée de l’Arve,
où les habitants suffoquent sous
les particules. « Je ne peux pas in­
terdire aux camions de passer, si
je le fais, cela veut dire que je
coupe la frontière », a­t­il plaidé
dans Le Dauphiné libéré, expli­
quant préférer une solution « au
niveau européen ».
Mais est­il possible d’endosser
le costume de champion de l’éco­

logie sans adopter des mesures
fortes? C’est tout l’enjeu du posi­
tionnement choisi par Emma­
nuel Macron. Lui dit ne pas croire
à la décroissance et entend rester
sur une ligne de crête entre Greta
Thunberg et Donald Trump, une
sorte de « en même temps »
appliqué au climat.
« Il faut démontrer que cette stra­
tégie [de lutte contre le réchauffe­
ment climatique] est compatible
avec le progrès économique parce
que c’est la stratégie à laquelle je
crois », a lui­même résumé le chef
de l’Etat à Chamonix. « On a deux
mois pour convaincre », reconnaît
un proche du président.
cédric pietralunga

M. Macron était
venu annoncer
un renforcement
de la protection
du massif
du Mont-Blanc,
dont l’ecosystème
souffre
du tourisme

Emmanuel
Macron visite
la mer de Glace,
lors de son
déplacement en
Haute­Savoie,
jeudi 13 février.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
POUR « LE MONDE »

il n’était pas encore redescendu de la
mer de Glace, où il a observé la fonte accélérée
du célèbre glacier du massif du Mont­Blanc,
que les critiques dénonçaient « une hypocrisie
au sommet ». Le déplacement d’Emmanuel Ma­
cron à Chamonix (Haute­Savoie), mercredi 12 et
jeudi 13 février, a été critiqué par des associa­
tions et des députés de l’opposition, qui y
voient une opération de communication pour
verdir son image à un mois des municipales.
Le chef de l’Etat n’a fait aucune nouvelle an­
nonce pour l’environnement, qu’il a pourtant
qualifié de « combat du siècle ». Devant le per­
sonnel du nouvel Office français de la biodiver­
sité (OFB), il s’est contenté de dresser le bilan de
ses actions, citant la lutte contre l’étalement ur­
bain, la loi sur l’économie circulaire ou encore
la création, annoncée la veille, de nouveaux
parcs naturels. A quelques mois de sommets
internationaux majeurs pour la biodiversité, le
président a rappelé que « pour être crédibles,
nous devons, en France, être exemplaires ».

Non-respect des objectifs climatiques
« L’exemplarité de l’Etat, cela commence par
respecter l’accord de Paris. Or, le gouvernement
se contente de mesures insuffisantes et anecdo­
tiques », dénonce Clément Sénéchal, chargé de
la campagne climat pour Greenpeace France,
qui appelle à l’adoption de « grandes mesures
systémiques comme la fin des subventions aux
énergies fossiles ou le rejet du CETA ». Selon un
rapport du Haut Conseil pour le climat paru
en juin 2019, la France n’est pas sur la bonne
trajectoire pour respecter ses objectifs climati­
ques. D’après un document de l’Ademe, révélé

par AEF info, environ 35 % des baisses d’émis­
sions prévues ne sont en réalité couvertes par
aucune politique publique.
Le député de La France insoumise François
Ruffin (Somme) a également raillé « un som­
met de la foutaise et de l’hypocrisie », en de­
mandant au président de prendre des « mesu­
res structurelles » pour le massif. « Pour ça, il
faut qu’il y ait moins de camions qui le traver­
sent », a­t­il ajouté sur Europe 1 en référence à
la pollution générée par la circulation des
camions dans la vallée de l’Arve. Parmi les
onze scientifiques et explorateurs qui ont
dîné avec le président de la République au re­
fuge du Montenvers, mercredi soir, le propos
est moins acerbe. « Nous avons tous apprécié
un vrai échange sans langue de bois, lors du­
quel nous avons rappelé que le défi est énorme
mais réalisable », résume Bernard Chevassus­
au­Louis, le président de l’association Huma­
nité et biodiversité.
Michel Dubromel, président de France Na­
ture Environnement, se félicite de mesures qui
« vont dans le bon sens », mais s’inquiète des
« moyens insuffisants » alloués à l’OFB, dont les
missions augmentent. « Le président n’en a pas
touché un mot... » De même, l’ambition d’at­
teindre 30 % d’aires protégées d’ici à 2022, déjà
annoncée en mai 2019, doit être assortie d’un
« objectif de qualité » : les aires de protection
forte ne représentent que 1,8 % du territoire
français, rappelle­t­il. « Tout existe dans les tex­
tes. Ce qu’il faut désormais, ce ne sont pas de
nouvelles mesures, mais une mise en œuvre »,
conclut le climatologue Jean Jouzel.
audrey garric

« Des mesures insuffisantes et anecdotiques »

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