Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1
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SAMEDI 15 FÉVRIER 2020 france| 9

L’oral fait sa grande entrée au baccalauréat


Une note du ministère de l’éducation nationale, publiée jeudi, détaille l’organisation de cette nouvelle épreuve


P


rendre la parole en public
de manière claire et con­
vaincante », démontrer
ses « qualités oratoires »,
« argumenter et relier les savoirs »...
voilà quelques­unes des ambi­
tions du grand oral, nouveauté et
pièce maîtresse du « bac Blan­
quer ». Une note parue le 13 février
au Bulletin officiel de l’éducation
nationale en détaille les objectifs
et l’organisation. Le grand oral
verra le jour avec la session 2021,
mais doit être préparé sur l’en­
semble du cycle terminal – soit dès
cette année, pour les élèves de 1re.
Cette épreuve comptera, avec le
français, la philosophie et les
épreuves de spécialité, pour 60 %
de la note finale du baccalauréat.
L’épreuve est notée sur 20 et
coefficientée 10. Le jury com­
mence par désigner l’une des
deux « questions » préparées pen­
dant l’année. Ces questions, choi­
sies par l’élève plusieurs mois en
amont, sont « adossées » à l’une
ou l’autre de ses matières de spé­
cialité, ou aux deux disciplines de
manière transversale. Le candidat
dispose de vingt minutes pour
préparer sa réponse. Il a le droit de
produire un support écrit, « par
exemple un schéma, ou une for­
mule », précise le ministère. Mais
celui­ci ne sera pas noté.

Un exercice formel
L’épreuve se déroule ensuite en
trois temps. Pendant cinq minu­
tes, l’élève présente son exposé –
« debout » et « sans notes », précise
le texte officiel. Suivent dix minu­
tes d’échange avec le jury, où le
candidat est encouragé à « préci­
ser » et « approfondir sa pensée ».
Il peut être interrogé sur « toute
partie du programme » de ses en­
seignements de spécialité.
Enfin, une troisième séquence
de cinq minutes est consacrée à
un échange sur le projet d’orien­
tation. L’élève devra expliquer
« en quoi la question traitée éclaire
son projet de poursuite d’études,
voire son projet professionnel ».
Les deux membres du jury sont
des enseignants extérieurs au ly­
cée, dont au moins un dans une
discipline de spécialité de l’élève.
Le grand oral du bac est d’abord
un exercice formel. Parmi les cinq

items d’évaluation détaillés dans
la note, un seul « porte sur la qua­
lité des connaissances », souligne
Claire Guéville, responsable du
secteur lycée au SNES­FSU –
même si l’on ignore encore com­
ment les points seront répartis.
On évaluera surtout la « qualité
orale de l’épreuve », la « prise de pa­
role en continu », « l’interaction »,
« la construction de l’argumenta­
tion ». Le fait de parler debout et
sans notes ne manque pas de
donner un « petit côté “The
Voice” » à l’ensemble, raille un
connaisseur du sujet. Le ministre
Jean­Michel Blanquer assume cet
examen dans lequel la « forme [a]
son importance », où l’élève devra
démontrer sa « capacité à prendre
la parole en public (...) une compé­
tence fondamentale dans la vie »,
a­t­il plaidé dans un entretien à 20
minutes le 13 février.
Pour Cyril Delhay, professeur
d’art oratoire à Sciences Po et mis­
sionné par l’éducation nationale
pour penser les contours du
grand oral, il s’agit d’un moment
« historique » où l’éducation na­
tionale se donne la mission d’ap­
prendre aux élèves à « parler en
public, une compétence passée à la
trappe depuis plus d’un siècle ».
Mais cette révolution coperni­
cienne autour de la prise de parole
peut­elle se faire en si peu de
temps? Il n’y a pas d’horaire prévu
pour la préparation de l’oral dans
la nouvelle organisation du lycée,
ni d’enseignants désignés pour s’y
atteler. Puisque les « questions »
choisies par l’élève portent sur les
disciplines de spécialité, il y a fort à
parier que les professeurs qui dis­
penseront ces cours prépareront
aussi les élèves à l’épreuve, y com­
pris dans sa forme. Même si elle

ressemble fort à « un oral de théâ­
tre », selon le mot de Claire Gué­
ville, que tous n’aborderont pas
avec les mêmes compétences.
Les enseignants de disciplines
comme le français et les langues
sont habitués aux exercices
oraux. Mais d’autres y ont moins
souvent recours, notamment en
sciences. « Certains enseignants
seront plus désarmés que d’autres,
en fonction de leur trajectoire et de
leur parcours, concède Marie­
Thérèse Lehoucq, présidente de
l’Union des professeurs de physi­
que et de chimie. On nous de­
mande de basculer vers une cul­
ture de l’oral alors que nous avons
été formés dans celle de l’écrit. Le
challenge est intéressant. »
Depuis une vingtaine d’années,
les travaux personnels encadrés,
supprimés par la réforme Blan­
quer, ont fait bouger les lignes.
« Les TPE, présentés à l’oral au bac,
ont intéressé les enseignants de
sciences et leur ont permis de dé­
cloisonner leur discipline », se sou­
vient Sophie Santraud, profes­
seure de sciences de la vie et de la

terre au lycée européen de Villers­
Cotterêts (Aisne) et secrétaire fé­
dérale au SGEN­CFDT. Pour cette
enseignante, c’est plutôt le
« temps de préparation » qui ris­
que d’inquiéter. « Les program­
mes sont très lourds, et l’oral sera
forcément préparé sur les heures
de spécialité », rappelle­t­elle.
Sur ce point, Jean­Michel Blan­
quer tente de rassurer : « Les deux
derniers mois [mai et juin] seront
particulièrement mis à profit pour
s’y préparer. » Les épreuves de
spécialité se tiennent en avril de
l’année de terminale. Les élèves

disposeront de leurs heures dans
ces disciplines (deux fois six heu­
res par semaine) pour s’atteler à la
préparation du grand oral.

Former les enseignants
Dans l’entourage du ministre, on
précise en outre qu’il y aura « plu­
sieurs niveaux » de préparation : à
long terme, le grand oral doit « ir­
riguer » dans tout le système édu­
catif, en encourageant la chorale,
le théâtre et les ateliers d’élo­
quence, dès le collège.
Mais la formation des ensei­
gnants est un « défi », concède­
t­on Rue de Grenelle. A court
terme, des « kits de formation »
seront mis à disposition dès
l’automne sur la plate­forme
Eduscol, et le ministère promet
qu’il saura « se montrer indul­
gent » avec les candidats de la pre­
mière session, en 2021.
Le grand oral réveille, enfin, un
débat bien connu de la commu­
nauté éducative : l’art de la pa­
role est­il l’apanage des classes
privilégiées, au détriment des
jeunes moins favorisés?

L’épreuve sera­t­elle discrimi­
nante pour ceux dont l’expres­
sion n’est pas « dans les clous » de
ce qu’attend l’institution?
Pour la sociologue de l’éducation
Agnès Van Zanten, difficile de dire
si cette nouvelle épreuve sera dis­
criminante. « Il est possible qu’on
juge les élèves défavorisés sur leur
langage et leurs manières, et cela
peut être pénalisant, estime­t­elle,
surtout pour les premières généra­
tions peu préparées et dont l’ex­
pression sera plus spontanée qu’à
l’écrit. D’un autre côté, poursuit­
elle, on a tendance à pardonner
plus facilement les erreurs à l’oral,
les fautes d’accord par exemple. »
Le ministère de l’éducation se dé­
fend d’avoir introduit une épreuve
socialement discriminante, ar­
guant du fait que l’oral permet
aussi aux enfants peu à l’aise à
l’écrit de rebattre les cartes en leur
faveur. « Ce grand oral (...) permet
justement de compenser les inégali­
tés entre élèves en préparant tout le
monde à la réussite de l’examen »,
assure Jean­Michel Blanquer.
violaine morin

Migrants : une filière de passeurs en procès à Lyon


Le procureur a requis, jeudi, des peines de trois à huit ans de prison ferme contre les dix principaux prévenus


lyon ­ correspondant

L


e procureur a fait les comp­
tes. A raison de deux à trois
voyages par semaine, il a es­
timé que le réseau de la « route des
Alpes », jugé cette semaine par le
tribunal correctionnel de Lyon, a
favorisé au total le passage de
1 500 migrants en situation irré­
gulière, à travers la frontière fran­
co­italienne, entre 2016 et 2018. Ce
qui représente, selon le magistrat,
« de 3,5 % à 7 % de l’immigration
clandestine d’une année en
France ». « Un dossier de pure aide
au séjour, d’une ampleur rare », a
résumé Olivier Chevet, qui a re­
quis, jeudi 13 février, des peines de
trois à huit ans d’emprisonne­
ment ferme, contre les dix princi­
paux prévenus, tous originaires
d’Afrique de l’Ouest, eux­mêmes
passés par des voies clandestines.
« Ils ont chacun joué un rôle qui a
rendu possible le fonctionnement
de cette filière », a insisté le procu­
reur, soulignant les éléments
constitutifs de la bande organisée.
Chauffeurs, rabatteurs, pas­
seurs, les membres du réseau
ont recruté les candidats au
voyage près de la gare de Turin,
avant d’emprunter les routes des
Alpes, en fourgons loués, ou la

voie ferroviaire passant par Vin­
timille et Nice, pour atteindre le
terminus de la porte de La Cha­
pelle, à Paris : huit heures de tra­
jets, contre 300 euros par mi­
grant en moyenne. Les chauf­
feurs pouvaient récolter 50 euros
par passager.
A Nice, les passeurs prélevaient
une dizaine d’euros pour transfé­
rer les groupes d’un parc à la gare
routière de l’aéroport. Certains
les logeaient dans une cave amé­
nagée, pour 10 euros la nuit.
Des intermédiaires prévoyaient
l’achat de billets de train par In­
ternet, en utilisant des cartes ban­
caires volées. Selon le procureur,
les donneurs d’ordre vérifiaient le
bon déroulement des voyages,
pour mieux démontrer leur fiabi­
lité et se faire de la publicité, dans
une forme d’ubérisation de l’im­
migration illégale.

« Hypocrisie des autorités »
« Ce n’est pas à vous de maîtriser
les flux migratoires sur la frontière
franco­italienne », a rétorqué Nas­
sera Mahdjoub, avocate d’un
commanditaire présumé. « Vous
ne jugez pas un trafiquant mais un
individu en extrême précarité, lui­
même demandeur d’asile », a
plaidé l’avocate lyonnaise. « En

Italie, des milliers de migrants sta­
tionnent dans des conditions indi­
gnes, leur seule idée, c’est de passer
la frontière pour chercher une vie
meilleure », a ajouté sa consœur
Nathalie Christophe­Montagnon.
Les défenseurs ont dénoncé « une
forme d’hypocrisie des autorités ».
Selon eux, les préfectures rejet­
tent massivement l’examen des
demandes d’asile, ce qui a été
sanctionné par le tribunal admi­
nistratif de Nice. Pour les avocats,
ces rejets favorisent le développe­
ment de filières clandestines.
L’affaire de la « route des Al­
pes » a débuté fin 2016 par des
contrôles routiers, dans la vallée
de la Maurienne (Savoie), et au

col de Larche, près de Briançon
(Hautes­Alpes). La police aux
frontières a intercepté des grou­
pes de vingt à vingt­cinq mi­
grants africains sans papier, en­
tassés dans des minibus de neuf
places. Venus de Côte d’Ivoire, du
Mali ou du Cameroun, après un
long périple semé de dangers, ils
circulaient le plus souvent le di­
manche, la nuit, par les cols et les
tunnels alpins, en provenance de
Turin.
Les enquêteurs ont découvert
que les chauffeurs, eux­mêmes
sans papier ou demandeurs
d’asile, venaient de Villeneuve­
Saint­Georges (Val­de­Marne),
ou de Savigny­le­Temple (Seine­
et­Marne). Ils louaient les four­
gons à un ressortissant chinois,
basé à Alfortville (Val­de­Marne).
Le parquet a réclamé six mois de
prison avec sursis contre ce der­
nier, poursuivi uniquement
pour travail dissimulé.
Un conducteur avait effectué
19 voyages en 38 jours de location,
en effectuant un total de
29 499 kilomètres entre l’Italie et
la région parisienne, en passant
par les Alpes. Un autre, interpellé à
Modane (Savoie), a reconnu
68 voyages en dix mois. Plusieurs
chauffeurs ont été condamnés

par le tribunal d’Albertville. Puis
l’enquête s’est poursuivie dans le
cadre d’une instruction judiciaire
confiée à la juridiction interrégio­
nale spécialisée de Lyon. En recou­
pant les contacts téléphoniques et
de nouvelles surveillances, les ju­
ges lyonnais ont retracé d’autres
trajets, et découvert une autre
voie, passant par le train. Face aux
contrôles renforcés sur les routes,
les passeurs conseillaient aux mi­
grants des cachettes dans les
trains à destination de Nice. Sur­
tout, le dossier a révélé un sys­
tème de recrutement, près de la
gare de Turin, pour remplir les mi­
nibus. Les donneurs d’ordre,
surnommés « coxer » en langue
bambara, proposaient des prix de
300 à 400 euros pour le voyage
en France.
« Où est l’altruisme? On sait que
les parcours de migration sont dif­
ficiles et douloureux, les migrants
sont totalement perdus, ils ont
profité de leur situation de vulné­
rabilité », a estimé le procureur.
« Des Africains étaient bloqués en
Italie. Cette histoire ressemblait à
la nôtre, c’est de là que tout est
parti, nous n’étions pas comman­
dés par qui que ce soit », a dit un
chauffeur au tribunal.
richard schittly

La police
a intercepté,
en 2016, des
groupes d’une
vingtaine de
migrants africains
sans papiers,
entassés dans
des minibus

Des élèves
du lycée
Galilée de
Gennevilliers
(Hauts­de­
Seine), lors
d’un atelier
d’expression
orale,
le 10 janvier.
SIMONE PEROLARI
POUR « LE MONDE »

Cette épreuve
comptera, avec
le français,
la philosophie et
les spécialités,
pour 60 %
de la note finale
du bac

« Il est possible
qu’on juge
les élèves
défavorisés sur
leur langage et
leurs manières »
AGNÈS VAN ZANTEN
sociologue de l’éducation

J U S T I C E
Le principal syndicat
de magistrats interpelle
le gouvernement
L’Union syndicale des magis­
trats (USM), le principal syn­
dicat de la profession, a dé­
claré jeudi « partager » le
constat des avocats « d’une
justice à bout de souffle »
et appelé le gouvernement
à « trouver très rapidement »
une issue à la grève des robes
noires contre la réforme des
retraites. Dans un communi­
qué, l’USM « appelle le gouver­
nement à prendre enfin la me­
sure du désarroi exprimé par
l’ensemble des acteurs de la
chaîne judiciaire ». – (AFP.)

S A N T É
De moins en moins
de médecins
Le nombre de personnes vi­
vant dans un territoire sous­
doté en médecins généralis­
tes est passé de 2,5 millions
en 2015 à 3,8 millions en 2018,
en raison notamment de
nombreux départs en re­
traite, selon une étude du
ministère de la santé publiée
vendredi. En cause? « La di­
minution globale du nombre
de médecins en activité (...)
que les nouvelles installations
ne compensent pas », en
raison « de l’effet prolongé
des numerus clausus »
ayant limité le nombre de
praticiens formés au cours
des dernières décennies.
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