Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

Marina Alcaraz
et Nicolas Madelaine


A l’origine, le sujet d e la lutte contre
le piratage semblait être un des
seuls de la grande loi audiovisuelle
à mettre tout le monde d’accord :
les ayants droit (auteurs, produc-
teurs, etc.), l es chaînes de télévision
et aussi le gouvernement. Mais,
alors que la commission des Affai-
res culturelles d e l’Assemblée vient
de débattre vivement p endant qua-
tre jours, il n’est pas certain que
le texte final soit à la hauteur des
ambitions de départ...
D’abord, ceux qui espéraient une
réponse graduée plus sévère contre
les pirates en sont pour leurs frais :
la mesure n’avait pas été inscrite
dans la loi. Sur ce point, il est vrai
que Franck Riester a depuis un
moment préparé le terrain.
Plus surprenant, le dispositif
visant les sites de streaming


lLa commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale a entamé


l’examen du projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel.


lLes questions liées au sujet sensible de la gouvernance de l’audiovisuel


public ont fait l’objet de vifs débats.


Le holding


de l’audiovisuel public


cristallise les débats


imposant des règles si la négociation
n’aboutissait pas, dit Christophe
Witchitz, directeur des affaires
publiques chez Canal+. Avec ces
amendements, les discussions sont
beaucoup trop encadrées et rédui-
sent donc sensiblement les chances
d’aboutir à des accords. »

Pas les droits monde
des séries et films
Ainsi, un amendement présenté
par la députée Aurore Bergé, rap-
porteure générale du projet de loi,
et adopté en commission prévoit
que les obligations de contribution
à la production des plateformes (le
fameux 25 % de leur chiffre d’affai-
res évoqué par le ministre de la
Culture) ne vont concerner que les
droits francophones et non les
droits acquis pour le monde e ntier.
Un point important, alors que
le modèle de la plupart de ces
géants américains est d’acquérir
des droits globaux. « Le risque
était qu’un faible nombre de gros-
ses productions ne permettent pas
aux plateformes de remplir leurs
obligations en France », souligne
Aurore Bergé.
Une autre évolution concerne
une définition plus stricte de la
production indépendante. La
réforme prévoit par voie d’accords
ou de décrets que les chaînes de
télévision classiques, mais aussi
les plateformes, travaillent avec
des producteurs indépendants. La
définition de la production indé-

Exception culturelle : la


des plateformes


Les délicates manœuvres pour
faire contribuer Netflix et les
autres nouvelles plateformes au
système de l’exception culturelle
française – financé aujourd’hui en
grande partie par les télévisions –
étaient déjà compliquées. Pour
beaucoup, elles risquent de l’être
encore davantage si le Parlement
retient, dans les prochains mois,
les amendements à la loi sur
l’audiovisuel votés en commission
des Affaires culturelles de l’Assem-
blée la semaine dernière. « Il ne
faut pas que les plateformes aient le
sentiment qu’on va les exproprier
des œuvres qu’elles financent au
profit d’entreprises françaises – les
producteurs –, ce qu’elles pour-
raient d’ailleurs, peut-être, contester
auprès de Bruxelles », s’inquiète
Pascal Rogard, qui représente les
auteurs au sein de la SACD.
Même son de cloche côté diffu-
seurs : « Normalement, l’idée était
de laisser place à la discussion inter-
professionnelle entre télévisions,
plateformes et producteurs en bran-
dissant un décret “repoussoir”

Faire contribuer Netflix et
consorts au financement
des séries et films français
se révèle un vrai casse-
tête. Les plateformes
n’apprécient pas les
contraintes qu’on veut
leur imposer, et les
chaînes françaises ont
peur d’en payer le prix.

Plusieurs amendements, tous
rejetés, ont critiqué l’idée même
de ce holding. L’un émanant de
députés de différents partis
d’opposition a carrément pro-
posé de supprimer l’article 59
alors que la « création d’un hol-
ding ne peut se faire sans que soit
assurée la pérennité de son finan-
cement et de son indépendance », a

précisé Frédérique Dumas, dépu-
tée du groupe Libertés et territoi-
res. Un autre amendement, porté
par La France insoumise, a, lui,
carrément appelé à ce que le hol-
ding soit nommé « ORTF 2.0 »,
mettant en avant la « mainmise
de l’Etat ».

« Le holding, pas le but
mais le moyen »
La nomination du président par
un conseil d’administration du
holding a aussi fait l’objet de
débats, c ertains proposant un jury
ad hoc, d’autres, que des citoyens
soient présents au conseil ou
encore d’autres, que soient inclus
certains profils. « Quel que soit le
modèle proposé, il sera soumis à
la critique. La loi garantit davan-
tage d’indépendance que les modes
précédents de nomination »,
observe Aurore Bergé, rappor-
teure générale.

Le rapprochement
des sociétés était
l’une des promesses
de campagne
d’Emmanuel Macron.

Marina Alcaraz
@marina_alcaraz


Plus de 300 amendements dépo-
sés, 111 adoptés. L’examen de la loi
audiovisuelle en commission des
Affaires culturelles de l’Assemblée
nationale, la semaine dernièe, a
rappelé l’importance de l’audiovi-
suel public dans les débats.
Bon nombre de questions ont
tourné autour de la nouvelle orga-
nisation et de la gouvernance pré-
sentées dans l’article 59. Soit, l’un
des volets les plus réformateurs de
la loi, qui prévoit la création d’un
holding dénommé « France
Médias » , regroupant France
Télévisions, Radio France, l’INA
(Institut national de l’audiovisuel)
et France Médias Monde (France
24, etc.), pour chapeauter quelque
3,5 milliards d’euros d’argent
public et presque 20.000 collabo-
rateurs.


AUDIOVISUEL


« Quel que soit
le modèle proposé,
il sera soumis
à la critique. La loi
garantit davantage
d’indépendance
que les modes
précédents
de nomination. »
AURORE BERGÉ
Rapporteure du
projet de loi

relayant des contenus piratés a
été édulcoré au dernier moment.
« C’est vrai que nous avons été sur-
pris et déçus de voir que les disposi-
tifs ont été adoucis juste avant la
publication du projet de loi », indi-
que un lobbyiste. « En réalité, le
gouvernement n’a jamais eu l’inten-
tion de frapper fort contre le pira-
tage... » déclare un autre.

Des mesures impopulaires
Le piratage coûterait en effet
chaque année 1,2 milliard pour
les secteurs audiovisuel et cinéma-
tographique, même si ces chiffres
sont cependant contestés. Mais
c’est un fait : sanctionner les
pirates n’est pas populaire. Et
le contexte politique actuel ne
s’y prête pas. En outre, l’annonce
de mesures drastiques aurait pu
cannibaliser le débat sur l’ensem-
ble de la loi. Impliqué autrefois
dans la création de l’Hadopi,
Franck Riester a déjà vécu ce genre
de levée de boucliers.
La partie n’est cependant pas
terminée et le travail de la com-
mission a donné de l’espoir à cer-
tains que le Parlement serait plus
sévère que le gouvernement. A ce
stade, c’est plutôt mal parti pour la
réponse graduée à laquelle tien-
nent surtout les ayants droit de
films et de séries, car elle concerne

la technologie de téléchargement
de « pair à pair » difficile à bloquer.
Soulignant qu’elle n’aboutit dans
85 % des cas à aucune sanction, la
députée LREM Aurore Bergé a
proposé, dans un amendement
présenté cette semaine en com-
mission, de mettre les internautes
déjà avertis plusieurs fois d evant l a
menace d’une transaction pénale
qui aurait pu contourner la diffi-
culté de l’engorgement des tribu-
naux. Dans ce cas, soit le coupable
paie (un montant maximal de
350 euros pour une personne phy-
sique, 1.050 euros pour une per-
sonne morale), soit il est vraiment
poursuivi. Mais l’amendement a
été retoqué après de vifs débats.
Néanmoins, les ayants droit
victimes de la technologie en
vogue du streaming ont, eux,
davantage d’espoirs. Cela con-
cerne aussi l’é cosystème des
œuvres, mais surtout celui du
sport, consommé en live.

Ordonnance unique
Plusieurs amendements impor-
tants ont ainsi é té adoptés en com-
mission, s’est félicitée vendredi
l’Association pour la protection
des programmes sportifs (APPS).
« La commission des Affaires cul-
turelles met la France en mesure de
rattraper son retard par rapport a u

Royaume-Uni, au Portugal ou
au Danemark », commente l’asso-
ciation.
Le dispositif initial en deux
temps, jugé inefficace par les
ayants droit, laisserait finalement
place à la possibilité d’une ordon-
nance unique prise par le juge per-
mettant de couper et déréférencer
des sites pirates, ainsi que leurs
sites miroirs, pendant douze mois
sans avoir à ressaisir la justice. Et
ce, dès le début d’une retransmis-

sion. Pour que les fournisseurs
d’accès (FAI) ou hébergeurs ne
soient pas exposés à des poursuites
judiciaires, l’Arcom agirait en tiers
de confiance. Cela dit, il faut encore
que l’Assemblée adopte ces mesu-
res en plénière. Or les FAI font un
« lobbying énorme » contre cel-
les-là, affirme un lobbyiste.n

Le gouvernement se montre timide


sur la répression du piratage


Le ministre de la Culture,
Franck Riester, avait promis
des « mesures majeures »
contre le piratage. Or,
à ce stade de la discussion
sur la loi audiovisuelle,
l’hypothèse d’une transac-
tion pénale pour les pirates
du téléchargement n’a pas
été retenue.


Les chaînes diffusant
du sport et victimes
des sites de streaming
croisent les doigts
pour que le projet
de loi soit amendé
par le Parlement
en leur faveur.

Le projet de loi prévoit un con-
seil d’administration composé de
11 membres (outre le président)
nommés par différentes institu-
tions et des représentants des
salariés.
Les échanges devraient encore
être vifs en séance publique à
l’Assemblée nationale, à la fin du
mois. Il existe toutefois, peu de
chances que les choses bougent
significativement.
Le changement de la procédure
de nomination dans l’audiovisuel
public (jusqu’ici confiée au Conseil
supérieur de l’audiovisuel) et le
rapprochement des sociétés était
l’une des promesses de campagne
d’Emmanuel Macron. Et, dès 2015,
Franck Riester, alors député, rêvait
déjà « d’une société commune à
l’image de la BBC ». Le ministre de

la Culture a ainsi rappelé qu’il vou-
lait une « gouvernance moderne »
qui permette des économies
d’échelle, des regroupements de
missions. La responsabilité édito-
riale restera au sein de filiales,
même s’il y aura une coordination
au niveau du holding. L’ambition
est de créer « un groupe public »,
avec une vision globale, où « le hol-
ding n ’est pas le b ut mais le moyen ».
Les missions de l’audiovisuel
public ont aussi été également
largement débattues, plusieurs
députés voulant y ajouter des thé-
matiques (sur la musique, l’envi-
ronnement, etc.). Le divertisse-
ment a notamment été validé
parmi les cinq grands objectifs que
sont : la proximité, l’information,
la culture, l’éducation et l’audiovi-
suel extérieur.n

Sport : vers de la publicité
en soirée pour France Télévisions

C’est une entorse à l’absence de publicité en soirée sur
France Télévisions. Deux amendements ont été votés en
commission des Affaires culturelles de l’Assemblée
nationale pour permettre au groupe audiovisuel public
de diffuser des spots après 20 heures, lors de la retrans-
mission d’événements sportifs, dits « d’importance
majeure », c’est-à-dire, entre autres, les Jeux Olympiques,
plusieurs finales de compétitions de football et de rugby,
ou encore de Roland-Garros. La retransmission d’événe-
ments sportifs fait partie des missions de service public,
mais elle est coûteuse, indique l’exposé des motifs de
l’amendement. « Face au risque que le sport ne soit que sur
les chaînes privées, cela permet de donner plus de marge de
manœuvre à France Télévisions », ajoute Aurore Bergé.
Selon Philippe Nouchi, expert chez Publicis Media, cela
rapporterait entre 12 et 15 millions net, avec une cinquan-
taine de soirées par an.

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Lundi 9 mars 2020Les Echos

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