Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

Les Echos Lundi 9 mars 2020 FRANCE// 05


Muryel Jacque
@MuryelJacque

Ce pourrait être leur 14 Juillet à
eux. Parmi les idées discutées
par les c itoyens de la Convention
pour le climat, qui ont été tirés
au sort pour trouver des solu-
tions concrètes à la crise du cli-
mat, modifier l’article premier
de la Constitution afin d’y ins-
crire la lutte contre le réchauffe-
ment occupe une place de choix.
Ce serait « la mesure chapeau »,
imagine Sylvain Burquier, l’un
des citoyens qui portent cette
réflexion avec force, alors que
ces 150 Français étaient à nou-
veau réunis ce week-end pour
l’avant-dernière réunion de tra-
vail avant l’annonce, début avril,
des mesures qu’ils retiendront.
Une mesure symbolique évi-
dente, qui verrait « les citoyens
réviser eux-mêmes leur Constitu-
tion », dépeint ce Parisien qua-
dragénaire, « mais pas que »,
puisqu’elle serait susceptible
d’avoir à terme des répercus-
sions sur l’économie du pays.
Jusqu’à aujourd’hui, aucun
pays du G20 n’a encore touché à
sa loi fondamentale pour con-
traindre l’Etat à mieux prendre
en compte les enjeux écologi-
ques. La Convention s’emparant
du sujet, les députés Matthieu
Orphelin (apparenté au groupe
Libertés et Territoires) et Sacha
Houlié (LREM) y ont vu une rare
opportunité de (re)mettre le
sujet sur la table. Les deux élus
ont l’intention de déposer une
proposition de loi constitution-
nelle qui inclut la protection de
l’environnement et la lutte cli-
matique dans l’article premier.
L’idée avait été discutée en 2018
mais s’était retrouvée enterrée
avec la réforme de la Constitu-
tion, après l’affaire Benalla.
« Nous souhaitons arriver à une
formulation qui corresponde à ce
que veulent les citoyens, pour que

ENVIRONNEMENT


Des députés, comme
Matthieu Orphelin
(proche de Nicolas
Hulot) et Sacha
Houlié (LREM),
veulent inclure
la préservation
de l’environnement
dans l’article premier
de la Constitution.

Convention climat :


une révision


de la Constitution


sur la table


leur ambition soit traduite dans
la loi le plus vite possible », expli-
que l’écologiste Matthieu
Orphelin, un proche de Nicolas
Hulot. En novembre, l’ancien
ministre de la Transition écolo-
gique s’était rendu à la Conven-
tion et avait évoqué l’idée d’une
telle modification de la Constitu-
tion.
Mercredi, une quinzaine de
députés du collectif Accélérons
(plus de 160 élus de tous bords) a
donc organisé une rencontre
avec des membres de la Conven-
tion pour « tisser des liens », indi-
que Matthieu Orphelin, souli-
gnant qu’il y a « un intérêt
commun ». « Ils n’étaient pas là
pour nous influencer », raconte
Sylvain Burquier, que le côté
transpartisan du collectif ras-
sure. « Ils nous ont dit : “Nous
ferons ce que vous voulez.” Ils
voient une fenêtre de tir qui leur
permet de s’appuyer sur ce que
nous faisons. »
Les citoyens, qui réfléchissent
à prolonger leur dernière ses-
sion de travail d’avril d’un à deux
jours, savent qu’ils devront être
d’une parfaite précision dans la
rédaction. Emmanuel Macron
les a prévenus : pour que leurs

mesures puissent prétendre
être soumises « sans filtre » à un
éventuel référendum, il faudra
avoir préparé un texte de loi. « Si
nous ne sommes pas assez précis,
cela n’aura aucune valeur », con-
cède l’un d’eux. Mais Matthieu
Orphelin l’assure : « On leur pré-
pare le projet de loi. » Quoi qu’il
en soit, les deux députés, qui
seront les deux premiers cosi-
gnataires de leur proposition de
loi, souhaitent rassembler le
plus largement p ossible à
l’Assemblée, mais aussi au
Sénat, toute proposition sur la
Constitution devant être votée
en termes identiques par les
deux Chambres, avant d’être
soumise à référendum.n

Macron a prévenu
les citoyens :
pour que leurs
mesures puissent
être soumises
à un référendum,
il faudra avoir
préparé un texte
de loi.

RetrouvezNicolas Barrédans


lejournalde7hpour«L’ éditoéco»


dansle6h-9hdeMatthieuBelliard


Emploi : Pénicaud juge l’objectif
d’un chômage à 7 % « plus difficile »

EMPLOI L’épidémie de coronavirus aura un impact sur l’emploi
en France, a reconnu Muriel Pénicaud. Interrogée sur la possibi-
lité de ramener à 7 % le taux de chômage d’ici à la fin du quinquen-
nat, la ministre du Travail a répondu que cet objectif était « plus
difficile qu’avec les indicateurs qu’on avait il y a deux mois, c’est
sûr ». « Aujourd’hui, ça m’inquiète, mais notre priorité, c’est d’être
concentrés sur l’instant présent, de préserver au maximum
l’emploi », a-t-elle ajouté.

en bref


FISCALITÉ


Ingrid Feuerstein
@In_Feuerstein


C’est un non ferme et catégorique.
Dans un courrier adressé à Emma-
nuel Macron, les collectivités territo-
riales s’insurgent contre le projet de
diminuer la fiscalité locale des entre-
prises dans le cadre du « pacte pro-
ductif » destiné à relancer l’industrie
française. Dans ce texte, signé des
huit associations d’élus, représen-
tant les régions, comme les départe-
ments, les métropoles jusqu’aux
communes rurales, les élus deman-
dent au chef de l’Etat « d’exprimer
sans ambiguïté [sa] volonté d e stabilité
globale de la fiscalité économique
locale ». Celui-ci est justement censé
se prononcer fin avril sur le sujet.
Cette offensive s’inscrit dans les
discussions sur le pacte productif,
en débat depuis près d’un an, et
dans lequel le patronat a trouvé
l’occasion de remettre sur la table la
question des impôts de production,
tant décriés par les représentants
de l’industrie et du commerce.
Selon eux, le poids de ces impôts,
dont fait partie la fiscalité locale,
plomberait la compétitivité des
entreprises françaises vis-à-vis de
leurs concurrents étrangers ou des
géants du numérique.


Discussions ardues
Lors de ses vœux en janvier, le
ministre de l’Economie et des
Finances, Bruno Le Maire, avait
reconnu que les discussions avec
les collectivités locales seraient
ardues, c’est pourquoi il s’était sur-
tout attardé sur la fin de la C3S, un
impôt à la main de l’Etat. Dans leur
courrier, les élus expriment non
seulement leurs inquiétudes sur
leurs ressources, mais surtout
avancent que la fiscalité n’est pas la
première préoccupation des entre-
prises dans leur territoire. « Dans
nos échanges quotidiens avec les res-
ponsables économiques locaux [...],
la question de la fiscalité locale n’a
jamais émergé, disent-ils, dénon-
çant un d écalage entre les préoccupa-


tions actuelles des entreprises dans
les territoires et la prégnance des
revendications portées au niveau
national par certaines fédérations
professionnelles ».
Un procès en représentativité
qui n’a pas manqué de faire réagir
les fédérations concernées. « C’est
extraordinaire de la part des élus
locaux de dire que les entreprises ne
pensent pas comme leurs représen-
tants, ironise Jacques Creyssel,
délégué général du Conseil du

commerce de France. S’ils disent
que les impôts locaux ne sont pas
un sujet, c’est qu’ils ne savent pas
ce qu’il se passe. Je rappelle que le
commerce supporte un impôt fon-
cier de 2 % de son chiffre d’affaires,
que ne paie pas Amazon. »

Diagnostic de l’AMF
Au sein de l’A ssociation des maires
de France (AMF), son secrétaire
général, Philippe Laurent, répond
que l’environnement économique,

Voilà deux ans que les représentants
de l’industrie ont posé leur diagnos-
tic sur les impôts de production, cet
ensemble de 70 milliards d’euros de
prélèvements qu’ils jugent néfastes
pour la compétitivité des entrepri-
ses françaises. Alors que le gouver-
nement a promis une baisse de ces
impôts dans le prochain projet de loi
de finances, les élus locaux ont
énoncé leur propre diagnostic, dans
lequel ils contestent point par point
les arguments des industriels.
Dans cette note, consultée par
« Les Echos », l’Association des mai-
res de France (AMF) relativise le rôle
joué par la fiscalité locale dans l’écart
de compétitivité de la France avec
ses voisins. « Ce sont avant tout les
cotisations sociales qui pénalisent les


entreprises françaises par rapport à
leurs concurrentes allemandes »,
défend Philippe Laurent, son secré-
taire général. Si l’on fait la somme
des impôts de production perçus
par l’Etat (TICPE de l’Etat, C3S, taxe
sur les salaires), on atteint un mon-
tant de 393 milliards d’euros, soit
16,8 % du PIB. Par comparaison, le
total des impôts locaux des entrepri-
ses (TICPE des collectivités, taxe fon-
cière, CFE, CVAE, versement trans-
port, etc.) s’élève à 62 milliards
d’euros, soit 2,5 % du PIB. « Quand on

voit le poids des charges sociales pour
les entreprises [NDLR, 369 milliards
d’euros], je refuse de considérer que
les 8 milliards de cotisation foncière
des entreprises sont essentiels pour la
compétitivité », abonde Franck

Claeys, directeur économie et finan-
ces locales chez France urbaine.
Sur la base des données d’Euro-
stat, le poids des prélèvements des
collectivités territoriales dans le PIB
serait même inférieur à la moyenne
européenne, d’après cette note. Si
l’on poursuit ce raisonnement, ce ne
seraient donc pas les impôts locaux
qui feraient de la France la cham-
pionne d’Europe des prélèvements
obligatoires. A noter que ces compa-
raisons européennes peuvent être
trompeuses, surtout avec l’Allema-
gne, où la fraction d’impôt sur les
sociétés affectée aux collectivités est
tantôt comptabilisée comme un
impôt local, tantôt comme une
recette d’IS.
Enfin, les élus locaux avancent
pour argument que la fiscalité n’est
pas le premier facteur d’attractivité
pour une décision d’implanta-
tion. D’autres éléments jouent un
rôle primordial comme l’offre fon-
cière, les aides locales aux entrepri-
ses, l’existence de pépinières d’entre-
prises, de bonnes infrastructures,
etc. Autant de services publics qui,
justement, sont financés par l’impôt.
Selon eux, la réforme de la taxe pro-

notamment les infrastructures,
l’emporte sur la fiscalité pour les
implantations de PME. « Le pro-
blème du commerce, c’est que les pro-
priétaires des locaux sont encouragés
à augmenter les loyers. C’est cela le
vrai scandale, p lus que les impôts fon-
ciers. Et puis l’enjeu, c’est d’abord de
faire payer des impôts au e-com-
merce plutôt que d’alléger les
autres. » En réaction au lobbying de
France Industrie sur les impôts de
production, l’AMF a établi son pro-
pre diagnostic, selon lequel c’est
avant tout l’écart de charges patro-
nales qui explique le déficit de com-
pétitivité de la France par rapport à
l’Allemagne. « Les aides aux entre-
prises sont plus généreuses en France
qu’en Allemagne », avance Philippe
Laurent. Une façon de dire qu’en
contrepartie de ces impôts élevés,
les entreprises bénéficient d’infras-
tructures et d’une main-d’œuvre de
qualité. « Dans une récente étude
d’EY, le sujet de la fiscalité locale arri-
vait en dixième position dans les fac-
teurs d’attractivité », argumente
Franck Claeys, directeur économie
et finances locales chez France
urbaine.
Pour l’association qui représente
les métropoles, deux lignes rouges
ne doivent pas être franchies. La
première est qu’une nouvelle baisse
des impôts locaux aggrave le déficit
public ; la seconde, qu’elle réduise
encore la « territorialisation » de la
fiscalité locale, à savoir qu’une res-
source locale puisse être remplacée
par une fraction d’impôt national.
Manifestement, la réforme de la
taxe d’habitation n’est pas encore
digérée.n

lHuit associations d’élus demandent à Emmanuel Macron « d’exprimer sans


ambiguïté » une position en faveur d’une stabilité des impôts économiques locaux.


lIls pointent un décalage entre les préoccupations des entreprises


et les revendications du patronat.


Les élus locaux font barrage à la


baisse des impôts de production


fessionnelle n’a pas freiné les diffi-
cultés de l’industrie française après
la crise. Et l’AMF, dans cette note,
pose la question : « Les collectivités
locales doivent-elles être la variable
d’ajustement des erreurs stratégiques
du secteur industriel? » —In. F.

La contre-expertise des collectivités


face aux demandes patronales


Dans une note, l’Association
des maires de France
répond aux arguments du
patronat sur la fiscalité
locale des entreprises. Les
élus locaux estiment qu’une
baisse des impôts de
production ne résorberait
en rien l’écart de compétiti-
vité avec l’Allemagne.


« Les aides aux
entreprises sont
plus généreuses
en France qu’en
Allemagne. »
PHILIPPE LAURENT
Secrétaire général
de l’Association des maires
de France

« Quand on voit le
poids des charges
sociales pour
les entreprises,
je refuse de
considérer que
les 8 milliards de
cotisation foncière
des entreprises
sont essentiels
pour la
compétitivité. »
FRANCK CLAEYS
Directeur économie et finances
locales chez France urbaine

Selon les élus locaux,
la fiscalité n’est pas
le premier facteur
d’attractivité pour
une décision
d’implantation.
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