Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1
distribuer aux personnels de santé et
aux malades. Rome n’a pas caché sa
colère. Vendredi, la ministre belge de
la Santé, Maggie De Block, a estimé
que ce n’était « pas le moment de pren-
dre des mesures qui pourraient être
contraires à la solidarité entre pays
européens » tandis que son homolo-
gue néerlandais, Bruno Bruins,
exhortait les Européens à « s’abstenir
de telles mesures » au motif qu’elles ne
sont « pas une solution à la pénurie ».

Nouvelles contaminations
Dans le monde, les pays les plus tou-
chés sont toujours la Chine
(80.701 cas recensés dimanche),
l’Italie (7.375 cas), la Corée du Sud
(7.313 cas), l’Iran (6.566 cas), et la
France (949 cas). Mais ce week-end,
le nombre de contaminations a
connu une forte hausse au Royau-
me-Uni (273 cas) et quatre nouveaux
pays ont été impactés : le Bangla-
desh, la Moldavie, la Bulgarie et le
Paraguay. Un mort a été recensé en
Argentine, le premier en Amérique
latine. Aux Etats-Unis, le gouver-
neur de l’Etat de New York a instauré
l’état d’urgence, qui permet d’accélé-
rer les procédures d’achat d’équipe-
ment et d’embauche de personnel.
La ville de Moscou a averti diman-
che que quiconque ne respectait pas
les mesures de quarantaine risquait
jusqu’à cinq ans de prison.
—In. F., E. F. et G. G.

(


L’éditorial de Jean-Marc
Vittori Page 15

lAlors que l’on compte plus de 107.000 malades dans le monde, les autorités multiplient les mesures de confinement


et les annulations d’événements afin de freiner la progression du virus.


lL’ impact économique de ces décisions oblige les gouvernements à prévoir des plans de soutien à leurs entreprises.


Coronavirus : le double front sanitaire


et économique


Le Nord de l’Italie placé en quaran-
taine, l’A rabie saoudite, qui annonce
le bouclage « temporaire » de la
région de Qatif, à majorité chiite, Ber-
lin, qui souhaite l’annulation des ras-
semblements de plus de 1.000 per-
sonnes, des événements reportés
partout dans le monde et un com-
merce international en berne... Face
à l’épidémie de coronavirus, les gou-
vernements sont d e plus en plus c on-
traints de se battre sur deux fronts,
sanitaire et économique. Quatre-
vingt-dix-neuf pays e t territoires sont
touchés et l’AFP y a recensé diman-
che plus de 107.000 malades et quel-
que 3.650 décès.
En France, Emmanuel Macron a
réuni dimanche soir un Conseil de
défense, le troisième en huit jours,
depuis que l’épidémie s’est confir-
mée sur le sol français. Avec
1.126 cas et 1 9 décès dus a u coronavi-
rus, le pays est le deuxième le plus
affecté en Europe, après l’Italie.
Dans la foulée, le ministre de la
santé, Olivier Veran, a annoncé de
nouvelles mesures: interdiction des
rassemblements de plus de
1.000 personnes, assouplissement
des règles de recours à la téléméde-
cine et déplafonnement des heures
supplémentaires d ans l es hôpitaux.
La France se prépare au passage
au stade 3 de l’état d’alerte, considéré
comme « inexorable » par le chef de
l’Etat, le dilemme étant de protéger
les plus fragiles tout en évitant des
mouvements de panique qui fragili-
seraient encore davantage l’écono-
mie. Le passage au stade 3 prévoit la
suspension de certains transports
en commun, la fermeture d’écoles,
des mesures plus strictes pour les
rassemblements, ainsi qu’une mobi-
lisation d e tous les professionnels du
soin. D’ores et déjà, les départements
les plus touchés par le virus ont
appliqué certaines de ces restric-
tions. C’est ainsi que dans le Haut-
Rhin, dans l’Oise et à Ajaccio, toutes
les écoles et les crèches seront fer-
mées pendant au moins deux
semaines. Cette décision impose à
300.000 élèves de rester chez eux,
sachant qu’ils auront recours à
l’enseignement à distance.
Limitée jusqu’ici à quelques
« clusters » (Morbihan, Oise, Haut-
Rhin, Haute-Savoie), l’épidémie
s’étend progressivement à tout le
territoire. En Ile-de-France, on
recensait samedi soir 161 cas confir-
més sur l’ensemble des départe-
ments, tandis qu’un nouveau foyer
s’est déclaré à Ajaccio et que trois
cas ont été confirmés au sein de
l’Assemblée nationale.


Limites de la solidarité
européenne
Le virus teste les limites de la solida-
rité européenne. La réunion des
ministres de la Santé de l’Union
européenne, vendredi à Bruxelles,
n’a pas d onné lieu à des grandes déci-
sions. Certes, Bruxelles a été claire
sur le fait que les dépenses excep-
tionnelles engagées par l’Italie ne
seront pas prises en compte dans le
calcul du déficit public. Mais, entre
les Etats membres, il y avait un par-
fum de discorde. Plusieurs pays se
sont plaints, sans les nommer, de
l’attitude de l’Allemagne, de la
France et de la République tchèque.
Alors que l’Italie a un besoin criant
de soutien, Berlin a interdit l’exporta-
tion de matériel médical de protec-
tion, en particulier de masques. Pra-
gue a pris des mesures du même
ordre, quoique moins drastiques. Et
Paris a réquisitionné les stocks et la
production des masques afin de les


ÉPIDÉMIE


« Nous voulons que les efforts des hôpitaux ne souffrent


d’aucune restriction financière face au coronavirus »


Propos recueillis par
Solveig Godeluck

L


’A gence régionale de santé
d’Ile-de-France est en pre-
mière ligne pour gérer la
crise du coronavirus dans la région,
en lien avec le centre de crise natio-
nal. Sa mission est d’organiser
l’offre de soins à l’hôpital et en ville.
Elle peut prendre des mesures
exceptionnelles afin d’assurer la
sécurité sanitaire de la population.

La situation est-elle grave
en Ile-de-France?
Sans être grave, la situation est pré-
occupante, nous sommes tous
mobilisés et nous nous préparons
à l’intensification de la circulation
du virus. Cela fait six semaines que
nous faisons face. Au début, l’Ile-
de-France concentrait la quasi-to-
talité des cas du pays, à présent elle
pèse moins de 20 %. Dans certains
départements, nous avons très peu
de malades, alors que le virus cir-
cule dans le Val-d’Oise, à proximité
immédiate du cluster de l’Oise.
Samedi soir, nous avions environ
178 cas confirmés dans notre
région, dont 30 nouveaux cas dans
la journée, et nous sommes capa-
bles de tous les accueillir, les suivre
et d’effectuer les prélèvements
nécessaires.

A quoi ont servi les efforts
d’endiguement de ces derniè-
res semaines, au stade 2
de la diffusion du virus?
Nous avons retardé l’épidémie
pour laisser passer le pic de la
grippe saisonnière et pour avoir le
temps de nous préparer. Au début,
nous n’étions pas capables de faire
100 prélèvements biologiques par
jour, alors que nous sommes main-

tenant en capacité d’en réaliser un
millier quotidiennement. De
même, ces semaines gagnées ont
été précieuses pour mobiliser des
lits dans les services d’infectiologie,
en déplaçant des patients qui peu-
vent aller dans d’autres services.

A ce jour, tous les malades
sont-ils hospitalisés?
Non, c’est une décision que nous
avons prise dimanche 1 er mars, sans
attendre le stade 3 de l’é pidémie, en
accord avec la Direction générale de
la santé et l’Assistance publique-
Hôpitaux de Paris. Une vingtaine de
patients en I le-de-France sont suivis
à leur domicile par le médecin hos-
pitalier qui les a diagnostiqués. Mal-
gré cela, nous hospitalisons encore
au-delà de ce qui est nécessaire.
Petit à petit, les h ospitalisations vont
être de plus en plus ciblées.

Y aura-t-il assez de personnel
et de lits dans les hôpitaux
franciliens?
Le système hospitalier est organisé
pour faire face à une é pidémie. Tous
les jours, depuis plusieurs semai-
nes, nous discutons avec l’AP-HP et
les hôpitaux généraux. Vingt éta-
blissements sont en mesure
d’accueillir les malades du corona-
virus. Nous faisons monter en
charge une première, une
deuxième puis une troisième ligne
d’hôpitaux. A Bichat, on a créé des
capacités ambulatoires en dehors
du service des maladies infectieu-
ses pour tester les cas suspects. A la
Pitié-Salpêtrière, dans le service de
réanimation, on a isolé des cham-
bres sous pression négative. Les
hôpitaux sont aussi en train de con-
cevoir des circuits séparés pour les
malades du coronavirus, en cas
d’afflux. Quant aux tensions sur le

partout. Il n’y a pas de spécificité qui
impose de fermer le métro, il ne faut
donc pas s’y attendre. L’important,
ça va être de protéger les personnes
fragiles et d’assurer le maintien des
capacités d’hospitalisation. Les
mesures contraignantes peuvent
faire plus de mal que de bien : par
exemple, si les transports publics
étaient stoppés, les soignants ne
pourraient plus aller au travail.

Va-t-on fermer beaucoup
d’écoles?
Il y aura certainement une doctrine
en stade 3. Mais ce sont des scienti-
fiques qui analyseront chaque
situation. Si on ferme des écoles, ce
ne sera pas uniquement pour évi-
ter la contamination des enfants,
mais parce que les mineurs peu-
vent accélérer la transmission du
virus dans le reste de la société.

Quelles seront les mesures
pour mettre les Ehpad à l’abri?
Nous avons déjà émis des recom-
mandations et je peux vous dire
qu’il n’y a pas un établissement où
elles ne sont pas respectées en Ile-
de-France! En Ehpad, les visiteurs
doivent désormais inscrire leurs
coordonnées sur un registre afin de
pouvoir retracer les cas-contacts.
Les mesures sont connues et appli-
quées. Le civisme et la responsabi-
lité sont là. Les Ehpad sont notre
préoccupation majeure et, à la
moindre suspicion chez le person-
nel, on demande aux soignants de
cesser de travailler jusqu’au dia-
gnostic définitif. Les établissements
vont devoir réduire leurs activités
pendant plusieurs semaines, par
exemple, cesser leurs projets inter-
générationnels avec les petits. Et les
visiteurs ne pourront plus déjeuner
avec les pensionnaires.n

personnel p aramédical, nous avons
donné des marges de manœuvre
aux établissements afin qu’ils puis-
sent rémunérer les heures supplé-
mentaires. Nous leur avons aussi
demandé de bien isoler toutes les
charges liées au coronavirus, et
nous leur garantissons qu’elles ne
vont pas alourdir leur déficit. Nous
voulons que leurs efforts de lutte
contre l’épidémie ne souffrent
d’aucune restriction financière.

Comment allez-vous mobiliser
les libéraux pour la phase 3?
Il ne faut pas attendre le stade 3
pour les mobiliser. Dimanche
1 er mars, nous avons eu une réunion
avec les professionnels de santé
libéraux pour organiser le disposi-
tif-miroir pour les patients suivis à
leur domicile. Ils sont dotés de mas-
ques chirurgicaux, qui, selon
l’Organisation mondiale de la
santé, suffisent à protéger le patient
comme le soignant. Nous avons
expliqué les gestes réflexes à adop-
ter en cabinet. Et puis nous dévelop-
pons à vive allure des applications
mobiles pour faire le lien entre le
patient, l’hôpital et les libéraux. Le
malade en autosurveillance pourra
ainsi poser facilement ses ques-
tions. Les premiers outils seront en
place dès la semaine prochaine.

Comment a réagi la population
depuis les premières consi-
gnes? Certains employeurs
n’en font-ils pas un peu trop?

AURÉLIEN
ROUSSEAU
Directeur général de
l’Agence régionale
de santé d’Ile-de-
France

On dit où on en est et où on va : c ette
transparence depuis le début de la
crise est notre principal acquis,
alors que nous allons rapidement
arriver en phase 3. Il y a une écoute,
et peu de panique, y compris dans
les clusters. Nous recevons beau-
coup d’appels à l’agence régionale
de santé. Les gens sont rassurés,
car ils savent que nous ne prenons
pas nos décisions seuls, que, der-
rière, il y a des blouses blanches,
des experts. Quant aux
employeurs, nous avons émis des
préconisations ; s’ils décident de
prendre des mesures complémen-
taires, c’est leur responsabilité tant
qu’elles vont dans le sens de la pro-
tection. Mais je voudrais alerter sur
le fait qu’il faut réagir dans la pro-
portionnalité. Et toujours se poser
cette question : si la situation est la
même dans trois ou quatre semai-
nes, ne vais-je pas regretter d’avoir
pris ces mesures? Car il est très dif-
ficile de revenir en arrière. Il y a des
mesures de santé publique pour
éviter la propagation du virus ; il y
en a d’autres qu’on prend pour se
rassurer collectivement, mais qui
ne sont pas forcément fondées.

Que se passera-t-il si l’épidé-
mie se répand dans le métro?
Quand l’épidémie sera là, elle sera

« Nous sommes
maintenant en
capacité de réaliser
un millier
de prélèvements
biologiques
quotidiennement. »

MONDE


Lundi 9 mars 2020Les Echos

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