Le Monde - 15.03.2020 - 16.03.2020

(Grace) #1
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DIMANCHE 15 ­ LUNDI 16 MARS 2020

INTERNATIONAL


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L’incroyable résurrection de Joe Biden


Après de cinglants revers, l’ancien vice­président démocrate a su s’imposer comme favori contre Bernie Sanders


washington ­ correspondant

C


e mardi 10 février, en fin
d’après­midi, le New
Hampshire vote et Joe
Biden fuit. Il a décidé en
fin de matinée d’annuler la soirée
électorale prévue dans la ville de
Nashua, pressentant une nou­
velle déroute. Quelques jours plus
tôt, il a admis avoir « pris une cla­
que » dans l’Iowa, où il est arrivé
quatrième. Lors du débat orga­
nisé dans le Granite State, le 7 fé­
vrier, il a anticipé publiquement
une nouvelle défaite mais, lors­
que les premières estimations
s’affichent, celle­ci est encore plus
cruelle que redoutée.
Avec seulement 8 % des voix, le
voilà condamné à une impensa­
ble cinquième place pour un an­
cien vice­président. Aucun candi­
dat n’a jamais survécu à des re­
vers aussi cruels dans les deux
premiers Etats à se prononcer
dans une course à l’investiture
présidentielle démocrate. Joe Bi­
den s’envole vers la Caroline du
Sud, qui doit voter le 29 février.
« Ce n’est pas fini, ça vient tout

juste de commencer », jure­t­il à
Columbia.
Depuis des semaines, les si­
gnaux alarmants s’accumulent
pour celui qui était entré en cam­
pagne en avril 2019 avec le rang de
favori. Il se bat, assure­t­il, pour
« l’âme » de l’Amérique, menacée
selon lui par Donald Trump, mais
il n’affiche pas l’énergie de ses ri­
vaux Bernie Sanders et Elizabeth
Warren, qui promettent, eux, une
« révolution politique » ou de
« grands changements structu­
rels ». En réduisant l’élection du
milliardaire à un concours de cir­
constances, Joe Biden n’esquisse
guère d’autre perspective qu’un
retour en arrière peu mobilisa­
teur. Ses salles sont clairsemées,
et ses finances en péril.
La veille du vote du New
Hampshire, dans le sous­sol
d’une église de la petite ville de
Gilford, l’ancien vice­président
s’attarde plus sur le passé, sur son
bilan, sur ses douloureuses
épreuves personnelles – la mort
de sa première femme et de sa
première fille dans un accident de
la route, celle de son fils Beau, em­

porté par un cancer – qu’il ne pro­
jette son auditoire dans l’avenir.
Une sexagénaire venue l’écouter
par curiosité confie : « Je ne veux
pas être méchante avec Joe Biden,
mais on a l’impression qu’il n’a
plus de jus. » Certains de ses sym­
pathisants hésitent ouvertement.
Tout semble se liguer contre
l’ancien vice­président. La pous­
sée de la gauche, incarnée par le
sénateur indépendant du Ver­
mont et par sa collègue du Massa­
chusetts, a incité en novem­
bre 2019 le milliardaire Michael
Bloomberg à entrer dans la
course. Mais ce dernier émiette
plus encore le camp des candidats
qui défendent des propositions
plus modérées et qui compte
déjà, outre Joe Biden, la sénatrice
du Minnesota Amy Klobuchar,
l’ancien maire d’une petite ville
de l’Indiana Pete Buttigieg, sensa­
tion de ce début de course à l’in­
vestiture, ou encore le milliar­
daire et philanthrope Tom Steyer.

Le savoir-faire d’une experte
Michael Bloomberg dépense
sans compter, embauche à prix
d’or, inonde les ondes de publici­
tés. Dans le même temps, Bernie
Sanders s’impose inexorable­
ment à gauche, distançant Eliza­
beth Warren. Il devient le princi­
pal bénéficiaire de l’encombre­
ment de cette course démocrate.
En dépit de résultats en voix
moins importants que lors de sa
première candidature, en 2016,
lorsqu’il incarnait le « tout sauf
Hillary Clinton », alors favorite,
le sénateur indépendant prend le
large en nombre de délégués.
Après le New Hampshire, Joe Bi­
den est désormais le dos au mur.
Peut­il réussir? La veille du cau­
cus de l’Iowa, le 2 février, l’un de ses
rares soutiens, l’ancien secrétaire

d’Etat John Kerry, avait déjà dû dé­
mentir fermement la rumeur de
sa propre entrée en campagne, ali­
mentée par une conversation télé­
phonique surprise dans le hall
d’un hôtel de Des Moines. Après le
premier coup de semonce, l’an­
cien vice­président de 77 ans a
réorganisé son équipe de campa­
gne, s’attirant les services d’une
ex­directrice de la communication
de Barack Obama, Anita Dunn.
Ce remaniement ne produit pas
le résultat escompté, mais Joe Bi­
den freine sa chute en parvenant
à obtenir la deuxième place dans
le Nevada, le 22 février, loin der­
rière le nouveau favori, Bernie
Sanders. Il a pu profiter dans cet
Etat du savoir­faire d’une experte,
Jen O’Malley Dillon, une ancienne
de l’équipe chargée de la réélec­
tion de Barack Obama, en 2012,
qui a travaillé jusqu’à son retrait
de la course à l’investiture pour
l’ancien représentant du Texas
Beto O’Rourke.
Le temps est désormais compté.
Joe Biden n’a qu’une semaine de­
vant lui et des moyens limités. Il a
tout misé sur le soutien qu’il at­
tend de la communauté afro­
américaine, majoritaire chez les
démocrates de Caroline du Sud,
mais le milliardaire Tom Steyer
entend lui disputer ce vote. Sa
dernière carte s’appelle Jim Cly­

burn, 79 ans. Le 23 février, l’ancien
vice­président s’entretient avec le
numéro trois de la Chambre des
représentants, élu depuis près de
trente ans en Caroline du Sud. Ce
dernier dresse un tableau sans
complaisance de ses faiblesses
qui a valeur d’électrochoc. Au len­
demain d’un débat où M. Biden se
montre un peu moins emprunté
que les précédents, il lui apporte
publiquement son soutien.
Le 29 février, la carte Clyburn
fait des miracles dans le Palmetto
State. Revenu d’entre les morts
politiques, Joe Biden triomphe.
« Nous sommes bien vivants! », ru­
git­il. Il lui manquait un récit, le
voici qui se présente comme le
porte­parole des laissés­pour­
compte et des vaincus capables de
se ressaisir et de repartir au com­
bat. Bernie Sanders est distancé
de trente points. Ecrasé, Tom
Steyer renonce aussitôt.
Joe Biden en appelle alors à
l’identité du parti, se présente
comme « un démocrate de tou­
jours, un fier démocrate, un démo­
crate Obama­Biden ». L’allusion
au sénateur indépendant du Ver­
mont est claire. Ce dernier ne
cesse de stigmatiser un « establis­
hment » mi­réel, mi­fantasmé, qui
ne penserait qu’à lui nuire. Elle
vise aussi le milliardaire Michael
Bloomberg, un ancien républi­
cain, qui a concentré ses forces
immenses sur les quatorze Etats
du Super Tuesday prévu trois
jours plus tard.
Le lendemain du sursaut, le
1 er mars, une bonne partie des
candidats se retrouvent à Selma,
dans l’Alabama, pour commémo­
rer la marche pour les droits civi­
ques violemment réprimée
en 1965. Atomisés en Caroline du
Sud, Pete Buttigieg et Amy Klobu­
char se jaugent. Dans l’après­

Le candidat à l’investiture
démocrate Joe Biden,
le 12 mars, lors d’un
événement consacré au
coronavirus, à Wilmington,
dans le Delaware. CARLOS
BARRIA/REUTERS

Tous ceux qui
pensent, à tort ou
à raison, que la
présidentielle se
jouera au centre
le considèrent
comme le
meilleur candidat
contre Trump

midi, le benjamin de la course in­
terrompt sa campagne pour rega­
gner l’Indiana et annoncer son re­
trait. Le lendemain, Amy
Klobuchar fait de même et ap­
pelle à voter pour l’ancien vice­
président. Dans l’après­midi de
lundi, Pete Buttigieg retrouve au
Texas Joe Biden pour lui apporter
à son tour son soutien. Beto
O’Rourke, ancien élu d’El Paso,
également.
En quelques heures, les pièces
dispersées d’un puzzle viennent
de se réagencer. Le jour du Super
Tuesday, la bulle spéculative qui
portait Michael Bloomberg crève
piteusement. Il abandonnera le
lendemain. Partout, un vote utile
pousse Joe Biden en tête des vo­
tes. Tous ceux qui pensent, à tort
ou à raison, que l’élection prési­
dentielle se jouera au centre le
considèrent comme le meilleur
candidat contre Donald Trump.
L’élan de Bernie Sanders est
stoppé net. Un cercle vertueux se
met en place au profit de Joe Bi­
den qui se nourrit de ralliements
et de nouvelles victoires, le
10 mars. L’ancien vice­président,
donné perdu quinze jours plus
tôt, apparaît désormais comme
inarrêtable.
gilles paris

Après le coup
de semonce
de l’Iowa, Biden
a réorganisé
son équipe
de campagne,
freinant sa chute

Les primaires en Louisiane reportées


Les autorités de Louisiane ont annoncé, vendredi 13 mars,
qu’elles repoussaient au 20 juin les primaires démocrates et ré-
publicaines prévues le 4 avril, une première dans la campagne
pour l’élection présidentielle. Cette décision prise à cause de la
pandémie de coronavirus a été critiquée par certains démocra-
tes, dénonçant un risque pour la démocratie. Le secrétaire d’Etat
de la Louisiane, Kyle Ardoin, a décrété l’état d’urgence pour cet
Etat où 33 cas ont été détectés. En revanche, les responsables de
l’organisation des scrutins de l’Arizona, de la Floride, de l’Illinois
et de l’Ohio ont décidé de les maintenir mardi 17 mars. « Sur la
base des meilleures informations venant des autorités sanitaires,
nous sommes convaincus que les électeurs de nos Etats peuvent
voter en sécurité », ont-ils écrit dans un communiqué commun.
Les « électeurs en bonne santé peuvent et doivent absolument
remplir leur devoir de citoyen mardi », ont-ils ajouté.
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