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DIMANCHE 15 LUNDI 16 MARS 2020 coronavirus | 3
Donald Trump déclare l’état d’urgence
Les EtatsUnis s’organisent pour surmonter la pénurie de tests de dépistage et généraliser leur usage
washington correspondance
L
es EtatsUnis vontils
bientôt connaître l’am
pleur réelle de la pandé
mie due au coronavirus
dans le pays? Après une série de
déclarations contradictoires ces
derniers jours, le président améri
cain, Donald Trump, a annoncé,
vendredi 13 mars, l’état d’urgence
nationale pour faire face à l’épidé
mie de Covid19, qui, selon les chif
fres officiels, y a touché quelque
1 800 personnes et fait 49 morts.
Cette décision permet de déblo
quer 50 milliards de dollars
(45 milliards d’euros) pour lutter
contre la propagation de la mala
die et venir en aide aux Etats les
plus affectés dans le pays. Elle
devrait notamment accélérer la
mise en place des tests de dépis
tage, point noir de la stratégie
mise en œuvre par l’administra
tion Trump ces dernières
semaines, mais pour laquelle le
président a décliné, vendredi,
toute « responsabilité ».
Evoquant son cas personnel, le
locataire de la Maison Blanche a
toutefois illustré la confusion qui
règne sur ce sujet au plus haut ni
veau de son administration : après
avoir exclu de se soumettre à un
examen de dépistage, alors qu’il a
été en contact avec des personnes
porteuses du virus ces derniers
jours – « Je n’ai aucun symptôme »,
atil fait valoir –, Donald Trump a
fini par admettre, quelques minu
tes plus tard, qu’il allait « probable
ment » se faire tester.
Lors de sa conférence de presse,
le président américain s’était en
touré de responsables de chaînes
de supermarchés, qui vont met
tre à disposition leurs parkings
pour pratiquer ces tests sur les pa
tients installés dans leurs voitu
res, une pratique mise en place en
Corée du Sud et en Allemagne,
notamment. M. Trump avait
aussi convié des représentants de
laboratoires privés, désormais
autorisés à pratiquer ces analyses.
La Food and Drug Administra
tion (FDA) a en effet permis la
mise sur le marché d’un matériel
de dépistage plus rapide, créé par
l’entreprise Roche, et disponible
dans une centaine de laboratoires
à travers le pays. Le président a
globalement promis moins de
« régulations » pour faciliter l’ac
cès aux tests à ceux qui en ont be
soin. Un patient n’aura plus be
soin de se le faire prescrire par un
médecin pour le réaliser.
Jusqu’à présent, faute de kits de
dépistage disponibles et en
l’absence de volonté politique
forte pour remédier à cette pénu
rie, seules quelque 11 000 person
nes ont été testées aux EtatsUnis
- plusieurs milliers le sont chaque
jour en Corée du Sud. Dans ce
contexte, les experts américains
en santé publique reconnaissent
depuis plusieurs jours ne pas
avoir une idée claire de la gravité
de la dissémination du coronavi
rus dans le pays.
Sous-estimation de la pandémie
Au cours de deux séances d’audi
tions devant le Congrès, le docteur
Anthony Fauci, directeur de l’Insti
tut national des maladies infec
tieuses et des allergies, a reconnu
que le système de tests, crucial
pour tracer l’évolution de la pan
démie, ne fonctionnait pas − « c’est
un échec », atil admis devant les
élus. Cet expert, réputé pour ses
interventions claires et ses décla
rations parfois en contradiction
avec celles de la Maison Blanche
sur la maladie, anticipe donc une
forte hausse du nombre de cas
détectés dès lors que les diagnos
tics pourront être posés.
Le difficile accès aux tests de dé
pistage à travers le pays depuis
l’éruption de l’épidémie, de même
que le suivi aléatoire des person
nes placées en quarantaine, ont de
fait favorisé une propagation de la
maladie, dont l’ampleur reste
sousévaluée. Ainsi, la responsable
de la santé publique dans l’Ohio a
assuré jeudi que l’Etat comptait
probablement « 100 000 person
nes infectées par le virus, soit 1 % de
la population », alors que pour
l’heure seuls cinq cas ont pu être
officiellement confirmés.
Les mesures annoncées ven
dredi visent donc à rattraper un re
tard provoqué par la sousestima
tion de la pandémie par l’adminis
tration Trump, le refus américain
d’utiliser les tests mis au point
par l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) dans les premières se
maines de l’épidémie, la focalisa
tion des mesures de détection sur
les personnes ayant transité par la
Chine, alors même que le virus
était déjà dans le pays, et l’impré
paration des Centers for Disease
Control and Prevention (CDC)
pour lancer leurs propres tests.
Jusqu’à présent, selon leur di
recteur, Robert Redfield, le sys
tème de santé public était capable
de tester 75 000 personnes. Les
nouvelles mesures devraient aug
menter ces capacités de plusieurs
milliers par jour. A condition que
la pénurie de matériels ad hoc
pour effectuer les analyses, déjà
observée en Californie, ne vienne
compliquer leur mise en œuvre.
Fin février, des projections réali
sées par les CDC estimaient que de
2,4 millions à 21 millions de per
sonnes pourraient nécessiter une
hospitalisation due au coronavi
rus dans les prochaines semaines
aux EtatsUnis. La proportion fi
nale dépendrait des mesures de
confinement et de prévention pri
ses pour limiter la pandémie,
parmi lesquelles les tests préco
ces, estimaient les experts.
« Social distancing »
Sur le plan politique, la speaker de
la Chambre des représentants à
majorité démocrate, Nancy Pe
losi, a annoncé vendredi soir être
parvenue à un accord avec l’admi
nistration Trump sur un texte qui
prévoit le financement d’un accès
gratuit aux tests de dépistage
ainsi qu’un congé maladie payé
pour permettre aux personnes
touchées par le virus de rester
chez elles ; 25 % des salariés améri
cains, notamment dans les peti
tes entreprises et les commerces,
ne bénéficient pas de cette protec
tion sociale. Le texte a été adopté
par la Chambre dans la soirée.
Lors des auditions de jeudi devant
la commission de la Chambre des
représentants, alors qu’une des
élues estimait à près de
1 200 euros le coût d’un test pour
un patient non assuré, le direc
teur des CDC s’était engagé à ga
rantir leur gratuité pour tous les
Américains, quel que soit leur ni
veau de protection sociale (quel
que 27 millions d’entre eux ne
sont pas assurés). Le texte doit en
core être adopté par le Sénat et
être signé par le président Trump
avant d’entrer en vigueur.
Anticipant ces annonces, Wall
Street a connu un rebond, ven
dredi, après avoir atteint, la veille,
un niveau historiquement bas. De
leur côté, la plupart des Etats amé
ricains ont adopté ces derniers
jours des mesures drastiques : fer
metures des écoles et des univer
sités, annulations des événe
ments culturels et sportifs, ins
tauration du télétravail...
Lavage de mains et « social dis
tancing » – pratique qui consiste à
établir un espace d’au moins un
mètre entre deux personnes –
sont désormais recommandés
dans tous les endroits publics.
Donald Trump n’a pas fait la
meilleure publicité à ces bonnes
pratiques, vendredi, en serrant
ostensiblement la main de la
plupart des responsables qui
l’entouraient.
stéphanie le bars
G7, UE... le coronavirus sème la panique dans les affaires du monde
Les dirigeants des pays les plus riches doivent tenir, lundi, une visioconférence afin d’apaiser les tensions générées par la pandémie
L
a course contre la montre,
face à l’expansion du coro
navirus, nécessite de l’agi
lité et de la réactivité. Une confé
rence extraordinaire des pays du
G7 sera organisée lundi 16 mars
par visioconférence. Donald
Trump, dont le pays préside ce
format actuellement, a donné son
accord à cette initiative de la
France vendredi, lors d’un entre
tien téléphonique avec Emma
nuel Macron. Le président fran
çais passe une bonne partie de ces
journées de crise au téléphone.
C’est par visioconférence que s’est
aussi tenu, le 10 mars, un Conseil
européen exceptionnel au sujet
du coronavirus. Une autre idée
française, souligneton à l’Elysée.
La diplomatie à l’heure du coro
navirus ressemble à de la naviga
tion à vue. Faute d’instruments
de prédiction fiables, le principe
de précaution s’applique et les ad
ministrations s’adaptent, au jour
le jour. « Nous sommes en phase
de gestion de crise, avec une éva
luation et un ajustement quoti
diens des actions mises en place,
explique un conseiller à l’Elysée.
Cela nécessite de prioriser les dos
siers. Le président tient à ce que le
coronavirus soit mis au menu des
sommets multilatéraux et que ce
sujet soit pris à braslecorps au ni
veau européen. Cela ne signifie pas
pour autant qu’il ne porte pas une
attention continue aux autres
grandes questions ou crises inter
nationales. » Le coronavirus va
ainsi faire une entrée en force
dans les réunions préparatoires
au G7, prévu à Camp David (Etats
Unis) début juin, puis au G20, qui
doit se tenir en novembre en Ara
bie saoudite. Si ces rendezvous
ont bien lieu...
Mise en place d’une task force
L’épidémie et ses conséquences
phagocytent le temps disponible
pour les affaires du monde. Mais
les convulsions du MoyenOrient
ou la confrontation actuelle entre
producteurs de pétrole ne sont
pas devenues pour autant acces
soires. Le président turc Recep
Tayyip Erdogan avait annoncé
avec trop d’empressement qu’il
accueillerait à Istanbul, le 17 mars,
Emmanuel Macron, la chance
lière Angela Merkel et peutêtre le
premier ministre britannique Bo
ris Johnson. Mais côté européen,
on a renoncé à ce déplacement,
en privilégiant là aussi la visio
conférence. Moins à cause du co
ronavirus que de la possibilité
d’obtenir des résultats palpables,
au sujet de la crise migratoire et
de la situation désastreuse dans la
région syrienne d’Idlib. « Il ne
s’agit pas de se voir pour se voir »,
résumeton à l’Elysée.
De son côté, le ministre des af
faires étrangères, JeanYves Le
Drian, s’est rendu en visite de tra
vail en Algérie, le 12 mars. La né
cessité d’entretenir une relation
étroite avec Abdelmadjid Teb
boune, le nouveau président, a été
jugée prioritaire pour les rela
tions bilatérales mais aussi pour
le traitement des crises régiona
les, comme la Libye. En revanche,
des réunions préparatoires pour
le « Paris Food Forum », colloque
sur la gastronomie et l’alimenta
tion prévu début juin à Paris à
l’initiative du président de la Ré
publique, ont été annulées.
Au Quai d’Orsay, on affiche une
volonté d’assurer la continuité du
service public. Cette semaine, une
note a informé les chefs de poste
diplomatique et de consulat à
l’étranger qu’ils devaient annuler
leurs congés et leurs formations
éventuelles, pendant les semai
nes à venir.
A la mifévrier, une task force
spéciale, consacrée au coronavi
rus, a été mise en place, adossée
au centre de crise du ministère.
Elle est dirigée par Axel Cruau, an
cien consul général à Shanghaï. Il
lui revient, grâce aux agents dé
ployés dans le monde, de mesurer
l’évolution de l’épidémie, de
transmettre les consignes et de
traiter les problèmes de rapatrie
ment. Les derniers passagers
français du bateau de croisière
Diamond Princess sont sortis de
l’hôpital jeudi. Il a fallu aussi s’oc
cuper de ressortissants bloqués
dans des hôtels, comme les équi
pes cyclistes Cofidis et Groupa
maFDJ, confinés à Abou Dhabi.
La France étant considérée
comme un foyer de l’épidémie, les
capacités d’action s’en trouvent li
mitées. Au total, une cinquan
taine de pays ont annoncé des
mesures restrictives – allant de
l’interdiction d’entrée sur leur ter
ritoire, comme Israël ou les Etats
Unis, à un contrôle sanitaire ou la
mise en quarantaine – à l’endroit
des arrivants français, diplomates
ou non. Ces circonstances excep
tionnelles accélèrent le passage à
la diplomatie numérique. La réu
nion du G7 au niveau ministériel,
prévue à Pittsburgh les 25 et
26 mars, aura lieu ainsi par visio
conférence.
A Paris, le projet de loi sur l’aide
publique au développement, pré
vue le 18 mars en conseil des mi
nistres, est pour l’instant main
tenu. Les plans de continuité et
d’activité sont mis en place. Les
postes ne nécessitant pas la pré
sence physique des agents au
Quai d’Orsay sont concernés par
le télétravail. En revanche, l’accès
au réseau comportant la classifi
cation « confidentiel défense »
n’est pas possible sur des ordina
teurs de maison classique. Les
réunions ont été réduites en for
mat et en nombre, une chaise sur
deux étant laissée vide. Celle du
cabinet, réunissant chaque jour
les conseillers autour du minis
tre, a été transférée dans la cham
bre du roi, une salle plus vaste au
Quai où la distance d’un mètre
entre les participants peut être
aisément respectée.
Une cinquantaine
de pays
ont annoncé
des mesures
restrictives
à l’endroit des
arrivants français
A la Bourse
de New York,
pendant
le discours
de Donald
Trump
annonçant
l’état
d’urgence
sur le
coronavirus,
le 13 mars.
MARK LENNIHAN/AP
La Chambre des
représentants a
adopté un texte
qui prévoit un
congé maladie
payé pour
les personnes
contaminées
La crise sanitaire survient à une
période où Emmanuel Macron
avait concentré son activité sur
les questions nationales, à l’ap
proche des élections municipa
les. En revanche, l’agenda inter
national des prochains mois ris
que d’être bouleversé. Le sommet
UEBalkans occidentaux prévu à
Zagreb du 5 au 7 mai, le sommet
AfriqueFrance à Bordeaux début
juin, le Congrès mondial de la na
ture à Marseille à la mijuin et le
Forum Génération Egalité à Paris,
début juillet, sont autant de ren
dezvous au sort incertain. Mais
les équipes chargées de leur pré
paration poursuivent leurs tra
vaux, comme si le retour à un
semblant de normalité était pos
sible d’ici là.
Concernant les déplacements
d’Emmanuel Macron, même in
certitude. Le président français
est notamment attendu sur la
place Rouge, le 9 mai, pour le dé
filé grandiose prévu à l’occasion
du 75e anniversaire de la fin de la
« grande guerre patriotique »
contre les nazis. « Pour le mo
ment », a précisé Dmitri Peskov,
le porteparole du Kremlin, le
format de l’événement n’est pas
remis en cause.
piotr smolar