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DIMANCHE 15 LUNDI 16 MARS 2020 0123 | 31
L
a crise ouverte par la
pandémie de Covid19
est inédite à plusieurs ti
tres. La rapidité de pro
pagation de la maladie, la pres
sion qu’elle met sur les systèmes
de santé et la férocité de son im
pact sur les grandes places bour
sières sont autant de phénomè
nes jamais observés auparavant,
s’agissant d’une maladie virale.
Elle est aussi, et surtout, l’occa
sion pour les grandes puissances
de devoir appliquer des contrain
tes fortes sur leurs économies.
Depuis fin janvier, des pans en
tiers de l’industrie chinoise ont
été, littéralement, mis à l’arrêt
par décision politique.
Avec, comme conséquence, des
importations de minerais au plus
bas, des exportations de produits
manufacturés au point mort, un
effondrement du tourisme, du
fret, etc. En Chine, mais aussi en
Italie, au Danemark et ailleurs, les
Etats se sont arrogé le droit d’en
traver les conduites individuelles
et certaines activités commercia
les. Le corollaire étant une crois
sance fortement amputée (la
croissance chinoise devrait être
plus que divisée par deux sur le
premier trimestre de l’année) et
un risque de fragilisation du tissu
industriel.
Dans son allocution du 12 mars,
Emmanuel Macron l’a martelé :
les conséquences sanitaires de la
pandémie de Covid19 doivent
être jugulées, « quoi qu’il en
coûte ». Répété à plusieurs repri
ses, le mot n’a rien d’anodin. Il
marque la volonté présidentielle
de faire passer le message que la
santé des populations prime sur
celle des entreprises. Et que, si les
Etats œuvrent traditionnelle
ment à favoriser, quoi qu’il en
coûte, l’activité de leurs indus
tries, ils peuvent aussi renverser
ce paradigme. Quitte à tourner le
dos à l’orthodoxie budgétaire,
pour atténuer les effets désas
treux qu’un tel renversement
pourrait avoir sur les entreprises
les plus fragiles et certains sec
teurs d’activité.
Ce qui se produit depuis quel
ques semaines avec la propaga
tion du coronavirus SARSCoV2
est ainsi réellement extraordi
naire. Pour la première fois de
l’histoire récente, la croissance
économique a momentanément
cessé d’être la seule et unique
métrique du succès des politi
ques publiques. Il y a, en face, le
nombre de morts qui pourra y
être opposé.
Aimable fiction
Pourquoi cela importetil? Parce
que ce sont précisément ce type
de mesures, adoptées aujour
d’hui pour faire pièce au corona
virus SARSCoV2, qui pourraient
être prises, demain, pour contre
carrer les deux grands phénomè
nes qui menacent à plus long
terme la stabilité et la prospérité
du monde : le changement clima
tique et l’érosion de la biodiver
sité. De fait, alors que les années
et les décennies passent, il de
vient de plus en plus évident que
le grand récit d’une transition
« verte » de l’économie mondiale,
fondée sur les bonnes volontés
individuelles, quelques taxes et
l’innovation technique, n’est
autre qu’une aimable fiction. Si
les Etats veulent éviter la part la
plus catastrophique du réchauffe
ment en cours et ralentir l’effon
drement de la vie, ils devront sans
doute – une fois consommé
l’échec des politiques actuelles –
user de la potion amère qu’ils
s’administrent face au Covid19.
Non en entravant momentané
ment, comme c’est le cas
aujourd’hui, les activités qui im
pliquent des rassemblements de
populations et qui favorisent la
circulation du coronavirus, mais
en contraignant durablement cel
les qui impliquent la combustion
de ressources fossiles, l’industria
lisation du secteur primaire, la
surexploitation des ressources et
la destruction du vivant.
En ordre dispersé
Dans son allocution, M. Macron a
d’ailleurs prudemment entrou
vert la porte à un profond chan
gement de vision, laissant enten
dre que la crise actuelle invitait à
interroger le fonctionnement de
l’économie. Il est toujours diffi
cile de démêler, dans ce genre de
déclarations, la conviction politi
que de l’opportunisme préélecto
ral. Soyons lucides : ce n’est sans
doute pas demain que le climat et
la biodiversité seront préservés
« quoi qu’il en coûte ». Le cerveau
occidental est ainsi fait qu’il porte
bien peu d’attention aux catas
trophes lentes.
Ainsi, deux chemins se profi
lent. Le premier verrait la prise de
mesures contraignantes pour
l’économie mondiale afin de ré
pondre au réchauffement et à
l’érosion du vivant. Cela est très
peu probable : il faudrait en effet
se colleter avec des industries
autrement plus puissantes que le
monde du spectacle et de la cul
ture, de la restauration et du tou
risme. Il faudrait contrevenir à la
volonté des industries extractri
ces, des énergéticiens, de la pétro
chimie, etc. Le second consiste
rait en un traitement indirect de
la crise environnementale, par le
biais des mesures d’urgence des
tinées à gérer la succession de cri
ses aiguës dans lesquelles elle fi
nira par s’incarner – crises aiguës
dont la pandémie de Covid19 of
fre une sorte de modèle.
Peu désirable, cette manière de
lutter contre la crise environne
mentale en passerait, non par des
mesures réfléchies, prises dans le
cadre des procédures démocrati
ques habituelles, mais par des
mesures d’urgence comparables
à celles adoptées aujourd’hui en
ordre dispersé pour ralentir la
marche de la nouvelle maladie.
Car, en tentant de soigner les ef
fets de la surchauffe de l’écono
mie mondiale, on finit par in
fluer sur leur cause. On le voit : en
Chine, l’un des premiers effets du
ralentissement économique in
duit par la lutte contre la pandé
mie de Covid19 est une chute
spectaculaire des engorgements
routiers et une quasidisparition
du dôme de pollution qui, en
temps normal, recouvre conti
nuellement le nordest du pays.
Un autre effet de ces mesures
sera aussi la baisse des émissions
mondiales de dioxyde de car
bone de l’année 2020, par rap
port à 2019.
L
e coronavirus a permis à Donald
Trump de réaliser enfin son rêve :
mettre l’Europe en quarantaine. En
décidant, jeudi 12 mars, de fermer la porte
du territoire des EtatsUnis pendant un
mois aux personnes venant des 26 pays
membres de l’espace Schengen, sous pré
texte d’empêcher la contamination de ses
compatriotes par ce qu’il appelle « un virus
étranger », le président américain a trahi,
une fois de plus, son hostilité viscérale à
l’égard de l’Union européenne.
Cette décision est pitoyable à plusieurs
égards. Dans sa forme, d’abord : prise sans
la moindre concertation avec les gouverne
ments des pays concernés et mise en
œuvre dans un délai de moins de quarante
huit heures, elle a semé le chaos dans les
aéroports, les compagnies aériennes, déjà
lourdement mises à l’épreuve, les représen
tations consulaires, sur les places boursiè
res et parmi des centaines de milliers de
voyageurs. Dans son champ d’application,
ensuite : l’Irlande et le RoyaumeUni, sans
doute ici récompensé pour le Brexit, sont
exclus de cette mesure. Mais, hormis le
fait que Donald Trump possède des domai
nes hôteliers avec terrains de golf dans ces
deux pays, cette exception ne repose sur
aucun argument scientifique ; si la pro
gression du Covid19 au RoyaumeUni
semble avoir quelques jours de retard sur la
France, elle est sur la même trajectoire, et
c’est d’ailleurs à Londres que Sophie Tru
deau, la femme du premier ministre cana
dien, l’a contracté.
En matière d’efficacité, enfin, la ferme
ture des frontières est une tentative déri
soire d’empêcher la propagation du virus.
Selon l’OMS, les restrictions à la circulation
des biens et des personnes « sont générale
ment inefficaces et risquent de détourner les
ressources d’autres tâches ». Le mépris du
président américain pour les recomman
dations des institutions multilatérales
n’est, hélas, un secret pour personne.
Politiquement, le message ainsi adressé
par M. Trump est aussi limpide que ses
ressorts sont confus. C’est un message de
nationalisme, de repli des EtatsUnis der
rière leurs frontières, et de rejet de toute
solidarité avec un continent supposé être
leur premier allié. Un message dans la
droite ligne de la doctrine « America First »,
dont les dégâts faits sur les relations tran
satlantiques depuis trois ans ne semblent
guère embarrasser le président.
Ce message, cependant, masque mal une
autre explication. La recherche d’un bouc
émissaire étranger pour faire oublier les dif
ficultés internes est un procédé éculé du re
gistre populiste. M. Trump a d’abord accusé
la Chine d’avoir créé le coronavirus, puis il
en a sousestimé la menace pour sa propre
population. Aujourd’hui, soucieux de dissi
muler sa mauvaise gestion de l’épidémie, à
moins de neuf mois d’une élection prési
dentielle qui se présente beaucoup moins
bien pour lui si l’économie subit de plein
fouet l’impact du coronavirus, il a trouvé le
coupable idéal : l’Union européenne, qui n’a
pas su se protéger de la Chine.
L’UE a, pour la forme, dénoncé cette déci
sion « prise unilatéralement et sans consul
tation ». Alors que les EtatsUnis président
le G7 cette année, il a fallu que ce soit le pré
sident Macron qui demande à M. Trump,
vendredi, d’organiser une réunion excep
tionnelle du G7. Celleci aura lieu lundi, par
visioconférence, pour tenter de coordonner
la riposte économique. Mais que les Euro
péens ne se fassent pas d’illusions : c’est à
eux, et à eux seuls, de s’organiser ensemble
pour faire face à cette terrible crise.
SOYONS LUCIDES : CE
N’EST PAS DEMAIN
QUE LE CLIMAT ET LA
BIODIVERSITÉ SERONT
PRÉSERVÉS « QUOI
QU’IL EN COÛTE »
DONALD TRUMP,
L’ANTIEUROPÉEN
PLANÈTE | CHRONIQUE
pa r s t é p h a n e f o u c a r t
Réchauffement et
Covid-19, même combat
LE CERVEAU
OCCIDENTAL EST
AINSI FAIT QU’IL FAIT
BIEN PEU DE CAS
DES CATASTROPHES
LENTES
Tirage du Monde daté samedi 14 mars : 183 826 exemplaires