Le Monde - 15.03.2020 - 16.03.2020

(Grace) #1

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D I M A N C H E 1 5 - L U N D I 1 6 M A R S 2 0 2 0

S’AIMER COMME ON SE QUITTE


L’oreiller est-il un sextoy? Cette
utilisation n’est pas inscrite noir
sur blanc dans votre catalogue Ikea,
mais elle existe. Il suffit de placer
un coussin sous les fesses
d’un/e partenaire pour améliorer
la position du missionnaire, voire
de la levrette. Ne parle-t-on pas

quasi réelle, un personnage de
manga (ça coûte environ 25 euros).
Ce « body pillow » est destiné
à être enlacé pendant la nuit,
durant les moments de solitude
ou les masturbations.
Pour des usages plus explicitement
sexuels, certains modèles sont
équipés de vaginettes : on trouve des
formats rectangulaires gonflables,
des versions carrées avec vulve
intégrée, des morceaux de corps
féminins ressemblant aux poupées
de l’artiste Hans Bellmer, et même
des « tabliers » surmontés de seins
et de vulves qui se sanglent à un
oreiller normal.

Si cet outillage semble plutôt
destiné aux hommes, le
« coussinage » est un sport
majoritairement féminin : selon
l’enquête « Les Femmes, le sexe et
l’amour » du psychiatre Philippe
Brenot, 21 % des femmes se frottent
parfois contre un support pendant
une masturbation, mais seulement
5 % des hommes.

de « mordre l’oreiller » pour qualifier
un orgasme?
L’érotisation de l’oreiller est
d’ailleurs un marché de niche, sur
lequel règne l’entreprise américaine
Liberator. Cette marque
commercialise du mobilier sexuel
depuis 2001, et ses modèles se
vendent au prix du platine (de 55 à
plus de 1 000 dollars) : rampes
triangulaires, coussins en forme de
cheval d’arçons, têtes de lit spécial
bondage, bancs de punition, etc.
Au Japon, on pousse le concept
encore plus loin grâce au
dakimakura, un gros traversin plat
sur lequel est imprimé, en taille

L E S M O T S D U S E X E

Oreiller


Par Maïa Mazaurette

« Face à elle,


je me sens insignifiante »


Deux jours dans la vie des amoureux. Le premier parce que tout s’y joue, le dernier
parce que tout s’y perd. Maroussia Dubreuil a recueilli ces moments-clés. A chacun de deviner
ce qui s’est passé entre-temps. Cette semaine, Charlotte, 39 ans, témoigne

Chaque fois que je me retrouve à ses côtés, j’ai envie de prendre
son visage dans mes mains pour l’embrasser. Mais je n’ose pas
parce qu’elle a quinze ans de plus que moi, dirige la maison
d’édition dans laquelle je suis stagiaire et que je n’ai jamais eu de
relation avec une femme. Incapable d’assumer mon désir pour
Zoé, je me contente du plaisir de la frôler lorsque nous sommes
assises côte à côte ou quand je passe tout près d’elle. Je sais
qu’elle vit avec « quelqu’un ». Parfois elle dit « une personne »... En tout
cas, elle ne mentionne jamais ni le genre ni le prénom de cet(te)
ami(e). Je m’autorise secrètement à rêver qu’elle aime les femmes.
Deux semaines après la fin de mon contrat, je suis invitée à
une soirée pour célébrer les dernières parutions auxquelles j’ai parti­
cipé. Je m’habille tout en noir, choisis des chaussures à talons et glisse
à mon majeur une bague touareg dont je suis très fière parce qu’elle
est unique. Une sorte de porte­bonheur. Par timidité, je salue rapide­
ment Zoé et vaque à d’autres occupations auprès des uns et des
autres, tout en gardant un œil sur elle, attentive à ses moindres
mouvements. Alors que la fête bat son plein, elle se dirige vers moi et,
avec un sourire ravageur, me tend une enveloppe. « Ouvre­la quand tu
seras rentrée chez toi », murmure­t­elle avant de s’éloigner. Mon cœur
se met à pulser de toutes ses forces, ma vue se trouble, mes mains
tremblent... J’ai la sensation que cette enveloppe contient quelque
chose d’important. Je respecte son souhait et glisse le billet dans mon
sac à dos, au vestiaire. Je n’ai qu’une envie : le lire.
De retour chez mes parents, une fois la porte de ma chambre
fermée, je découvre sa lettre manuscrite. Une page recto verso, une
écriture à l’encre bleue, des mots un peu plus gras que d’autres, des es­
paces comme des hésitations... C’est une lettre remplie d’émotion qui
sonne comme un aveu : « Un seul être vous manque et tout est dépeu­
plé », conclut­elle. Pour la première fois, je ressens la force de la formule
de Lamartine. Accrochée à cette lettre que je relis des dizaines de fois, je
prends conscience que notre attirance est réciproque. Je me glisse dans
mon petit lit, totalement bouleversée... Vais­je m’autoriser à sauter le
pas avec elle? J’ai 20 ans, je ne connais pas l’amour ou très peu et, sur­
tout, je ne cesse de me répéter que c’est plus facile d’aimer les hommes.
Mais dès le lendemain, convaincue que je ne peux pas passer à
côté de cette histoire, je lui donne rendez­vous dans un café parisien,
près de la rue de Rivoli. Lorsque j’arrive, elle est déjà là, souriante,
calme, observatrice. Je m’assois, un peu gênée par ce que je vais lui
dire. J’allume une cigarette et passe rapidement aux aveux... Alors que
j’imaginais que nous allions nous embrasser fougueusement, elle
reste interdite, presque choquée par ma déclaration. « Je ne m’y atten­
dais pas, sourit­elle. Je t’ai écrit pour me libérer de mes sentiments, sans
penser une seule seconde que tu pouvais ressentir la même chose. »
Alors que nous traversons silencieusement la Cour Carrée du
Louvre, elle me prend la main fermement et propose que nous dor­
mions à l’hôtel. Lorsque nous nous présentons à l’accueil d’un établis­
sement, à quelques rues de là, je suis très fière d’être à ses côtés. « Deux
lits individuels? », nous propose­t­on. Cela m’amuse de rectifier : « Une
chambre double. » Elle me déshabille tendrement mais je garde ma cu­
lotte en coton Petit Bateau. Une manière sans doute de ne pas me jeter
à l’eau complètement... Très vite, après cette première nuit, elle quitte

sa compagne et vit à droite à gauche, chez des amis ou dans des hôtels
où je la rejoins tous les soirs. Nous nous aimons passionnément et je
découvre avec elle les plaisirs de la chair... « Chapitre 1, chapitre 2... »
Chaque nuit, elle me délivre avec beaucoup d’assiduité un petit cours
d’éducation sexuelle. Je sens qu’elle m’apprend à vivre ma vie.

Premier jour
J’aime Zoé mais je ne peux pas m’empêcher de lui répéter qu’un
jour ou l’autre je devrai vivre une histoire avec un homme. Pour
voir, comparer, me faire une idée... C’est une obsession. Pour­
quoi pas avec ce Suédois que j’ai rencontré l’été dernier en Espa­
gne et qui m’a promis de venir me rejoindre à Paris? Si dans un
premier temps elle comprend ma requête, s’en amuse même
un peu, elle a de plus en plus de mal à l’accepter. Pour moi, elle a
tout quitté : sa compagne, son projet de grossesse, son appartement...
« Qu’est­ce que tu fais avec moi? », me demande­t­elle, craignant que je
prenne notre relation un peu trop à la légère. Clairement, je ne suis
pas à la hauteur de ses attentes. Mais il m’est absolument impossible
de lui promettre un avenir commun alors que j’ai besoin de découvrir
d’autres facettes de ma vie amoureuse.
Un week­end, pour prendre un peu de recul par rapport à no­
tre situation, elle m’emmène dans sa maison de campagne où nous
nous livrons à des séances photo. Je pose pour elle toute la journée,
dans les champs, sur un vieux chantier, sur la route... Je suis très flat­
tée mais je ne comprends vraiment pas ce qu’elle me trouve. Je ne me
sens plus très bien dans ma peau depuis que je me rue sur la nourri­
ture à tout­va... C’est nerveux, je mange du sucré en permanence... En
fin de journée, au lieu de nous retrouver seule à seule pour discuter de
notre avenir, nous buvons des verres avec deux ouvriers agricoles un
peu dragueurs. Cela nous permet de ne pas nous poser les vraies ques­
tions. Une fois rentrées à Paris, nous nous voyons de moins en moins.
Elle a beaucoup de travail, elle est retournée un temps chez son
ex­compagne, ne m’appelle plus tous les jours. Je souffre mais ne fais
rien pour la récupérer. Je me concentre sur mes études, en espérant
rencontrer rapidement un garçon afin de me faire une idée... Un soir,
je la croise à une fête où elle est venue accompagnée de son ex­amie.
Je regarde cette femme qu’elle avait quittée pour moi. Un port altier,
de longs cheveux noirs bouclés, un rire affirmé... Face à elle, je me
sens totalement insignifiante. Je vois qu’elles partagent toutes les
deux une grande complicité. Je ne pèse pas grand­chose à côté.
Quelques jours plus tard, je reçois une enveloppe cartonnée. A
l’intérieur, il y a un cahier en papier kraft qui contient des photogra­
phies en noir et blanc, petit format, de notre séjour à la campagne. En­
tre les photos, elle a écrit un conte pour raconter notre histoire : je suis
une petite fée avec plein de rêves et de désirs... En découvrant une à
une les pages de ce cahier à spirale, je suis émue. Lorsque j’arrive à la
troisième de couverture, je tombe sur une photo retournée, scotchée
à la va­vite. Une photo en plus, comme un post­scriptum. Je décolle
l’adhésif et vois Zoé, avec son beau sourire et ses yeux en amande. Elle
est de dos mais elle a tourné la tête, comme pour me faire un dernier
signe. Elle s’en va pour me laisser libre, sans rancune. « On se quitte
mais c’était bien, non? », semble­t­elle me dire.
Plus tard, lorsque j’ai rencontré des hommes, je me suis tou­
jours sentie guidée par tout ce qu’elle m’avait appris. Elle me disait
de chercher la douceur des hommes. Elle était convaincue que je ren­
contrerais un homme doux.

Dernier jour


L E M O T D E L A S E M A I N E

Huis clos


n.masc

Titre d’une pièce de théâtre


de Jean-Paul Sartre, ce terme


désigne les débats judiciaires


qui se tiennent hors de la


présence du public et, par


extension, une réunion en petit


comité. Issue heureuse d’un


psychodrame en deux actes,


le match retour PSG-Dortmund


(2-0) s’est joué sans spectateurs


dans le stade. C’est aussi à huis


clos que la flamme olympique


a été allumée à Tokyo,


en raison de la pandémie


LE BLOC-NOTES

S U P E R M A R I O


P I E U


LIMITER AU MAXIMUM la dimension
ambulatoire de l’existence, c’est ce que
propose la société japonaise Bauhutte, qui
commercialise, à destination des gamers,
un lit customisé (appui-tête, casier à
bouteilles, repose-casque, double écran,
table d’appoint, étagères pour ranger
des snacks) permettant de continuer à jouer
le plus longtemps possible tout en restant
allongé. Coût : environ 1 000 euros.

62 %


La passion très exclusive
de Brigitte Bardot pour les
animaux aurait-elle inspiré
ses concitoyens? D’après
une récente étude Omnibus,
réalisée auprès de 537 adul-
tes, 61 % des Français pensent
qu’« avoir un animal apporte
plus qu’un ami humain »
et 77 % admettent que cette
présence est aussi réconfor-
tante qu’« un meilleur ami ».
Chat alors!

UNE PLAYLIST
VIRALE

Encore inconnu il y a
trois mois, le coronavi­
rus est devenu depuis
un véritable phéno­
mène non seulement
sanitaire, mais égale­
ment culturel. Début
mars, on comptait
ainsi 65 chansons sur
Spotify qui compor ­
taient le terme
« coronavirus » dans
leur titre, dont La
Cumbia del coronavirus


  • téléchargées par plus
    de 100 000 personnes –,
    qui appelle les gens à se
    laver les mains.


SIMON LANDREIN

Retrouvez les épisodes de « S’aimer comme on se quitte »
en version podcast sur http://www.lemonde.fr/podcasts et Spotify
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