Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1

12 |france SAMEDI 7 MARS 2020


0123


Le RN affiche le bilan


de ses maires


Le Rassemblement national souhaite montrer


la compétence de ses édiles élus en 2014


et donner l’image d’un parti « gestionnaire »


M

iser sur ses bastions,
sans autre grande am­
bition. Le Rassemble­
ment national (RN) est
bien loin de crier au
raz­de­marée à la veille
des élections municipales des 15 et 22 mars. Il
y a bien Perpignan, « sa » cible de plus de
120 000 habitants, et quelques trophées plus
modestes accrochables, notamment autour
de ses villes­phares. Mais aucune vague n’est
escomptée et aucun objectif affiché par le
parti d’extrême droite au frêle ancrage local,
si ce n’est celui de conserver ses précieuses
citadelles gagnées en 2014.
Marine Le Pen a déjà perdu Cogolin (Var), le
maire Marc­Etienne Lansade n’ayant pas re­
nouvelé son adhésion après le départ de
Marion Maréchal, en 2017. Quant à Béziers
(Hérault), Robert Ménard n’en finit plus de
pourfendre les partis, « ennemis de ce pays »,
lui qui a pourtant été élu il y a six ans avec le
soutien et les voix de l’ex­Front national.
En restèrent donc huit : Hénin­Beaumont
(Pas­de­Calais) ; Fréjus (Var) ; Beaucaire
(Gard) ; Hayange (Moselle) ; Villers­Cotterêts
(Aisne) ; Mantes­la­Ville (Yvelines) ; Le Luc
(Var) ; Le Pontet (Vaucluse). Neuf avec le
7 e secteur de Marseille, tenu par Stéphane
Ravier. Et un enjeu de taille pour le parti le­
péniste : montrer qu’il a tourné la page des
expériences calamiteuses de la fin des an­
nées 1990, entre le laboratoire idéologique
du couple Mégret à Vitrolles (Bouches­du­
Rhône) et les mises en examen à répétition à
Toulon (Bouches­du­Rhône). « La gestion RN,
ça marche », bourdonnent en retour les lieu­
tenants de Marine Le Pen depuis leurs tribu­
nes de campagne, en brandissant les bilans
de ses vitrines.
Porte­drapeau des modèles à suivre :
Steeve Briois, vice­président du parti et
maire de la si symbolique ville d’Hénin­
Beaumont. Côté fiscalité et endettement, dif­
ficile de faire pire que ses prédécesseurs
dans la commune du bassin minier, entre la
quasi­faillite qui a poussé la chambre régio­
nale des comptes à imposer un doublement
des impôts locaux en 2004 et la condamna­
tion de l’ancien maire socialiste à trois ans de

prison ferme pour détournement de fonds
publics. La mairie RN peut donc se targuer
d’avoir baissé les impôts locaux, taxe d’habi­
tation et taxe foncière de plus de 3 points
chacune... lesquelles restent tout de même à
43,02 % pour la taxe foncière et 18,52 % pour
la taxe d’habitation.
Au Pontet, le maire RN Joris Hébrard reven­
dique, lui aussi, avoir réduit la dette et les im­
pôts locaux. Au détriment de l’investisse­
ment, selon ses opposants. « Le Pontet res­
semble à une photo prise en 2014. Quand vous
ne faites rien, vous n’avez pas de risque de
vous tromper », tance Jean­Firmin Bardisa, le
candidat soutenu par La République en mar­
che (LRM) dans la ville du Vaucluse. A son
arrivée, le maire d’extrême droite a sup­
primé la cantine gratuite aux familles en dif­
ficulté – « du clientélisme » –, et diminué la
prime des agents municipaux. Le centre­
ville continue, en revanche, d’être vidé par la
zone commerciale toute proche et le TER y
passe toujours sans s’arrêter.

LES FINANCES DE FRÉJUS DANS LE ROUGE
A Beaucaire, la dette a baissé de
500 000 euros environ, frôlant désormais
les 11 millions. Pour ne pas augmenter les im­
pôts, Julien Sanchez a choisi de vendre des
biens communaux, notamment certains
terrains. « En plus, avant, des gens du voyage
s’y installaient. On a enlevé un problème », se
félicite­t­il. Même stratégie à Fréjus, où Ra­
chline n’a pas augmenté les impôts, mais
vendu pour 48 millions d’euros de patri­
moine municipal, selon l’association Le Fo­
rum républicain, qui a établi un Livre noir
sur sa gestion. Seuls 16 millions d’euros ont
été consacrés à la baisse de la dette depuis
2014, laquelle s’élève encore à 127,5 millions
d’euros. Soit l’une des plus inquiétantes de
France, notamment lorsque l’on s’attarde
sur la capacité de désendettement de la com­
mune. La Cour des comptes a ainsi établi un
« seuil d’alerte » à 12 ans, la moyenne natio­
nale étant de 8,1... alors que la capacité de dé­
sendettement de Fréjus a explosé, passant
de 12 années en 2015, au chiffre faramineux
de 39,7 années aujourd’hui, selon une étude
du cabinet Michel Klopfer.

Police municipale renforcée, vidéosur­
veillance : la sécurité est au cœur du bilan des
mairies lepénistes. Joris Hébrard se targue
ainsi d’avoir créé une brigade de nuit au Pon­
tet, avec des chiens comme « moyens de pré­
vention », Robert Ménard a armé sa police
municipale, Steeve Briois multiplié le nombre
de caméras... Y avait­il tant d’insécurité néces­
sitant, à Beaucaire, le passage de 42 à 64 ca­
méras – « l’objectif est d’arriver à 100! », dit
Sanchez –, de 13 à 23 policiers, la création
d’une brigade canine et l’achat de nouveaux
véhicules pour la police municipale? « On
n’est pas à Marseille, c’est davantage des incivi­
lités. Des problèmes de bruit, de voitures brû­
lées », répond Julien Sanchez. Mais le slogan
faisant la promotion de la police municipale
« 24/24, 7/7 », « La paix sociale ne s’achète pas,

elle s’impose », traduit la conception de la sé­
curité dans la mairie RN. Franck Briffaut fait
peut­être office d’exception malgré lui à Vil­
lers­Cotterêts, puisque la moitié des dix ca­
méras de vidéosurveillance installées par ses
prédécesseurs ne fonctionnent toujours pas.
« Mais trente­cinq sont à venir! », se défend­il.
Pour éloigner le spectre des années 1990,
l’ex­Front national a tenté de gommer
l’image de mairies idéologisées à l’extrême
pour mettre en avant un parti « gestion­
naire ». « On n’a pas fait l’avenue Stirbois,
comme Mégret à Vitrolles », résume Bruno
Bilde, député du Pas­de­Calais et président
du groupe majoritaire à Hénin­Beaumont.
Pour Steeve Briois, qui avait d’ailleurs suivi
Bruno Mégret lors de la scission frontiste de
la fin des années 1990, son mandat héninois

Pour Marine Le Pen, l’échec de 2017 s’éloigne dans l’opinion


Selon le baromètre Kantar­OnePoint pour « Le Monde » et Franceinfo, 56 % des Français estiment que le RN peut arriver un jour au pouvoir


M


arine Le Pen reprend
des couleurs dans la
course à la présiden­
tielle. En 2017, son échec avait ba­
layé l’essentiel du travail de dédia­
bolisation mené depuis qu’elle
avait pris la tête du parti d’ex­
trême droite. Image en chute li­
bre, normalisation en panne, ave­
nir bouché... Tous les signaux la
renvoyaient alors à la case départ.
Depuis, la présidente du Ras­
semblement national (RN) efface
peu à peu les séquelles du calami­
teux débat d’entre deux tours
face à Emmanuel Macron et les
lourdes traces laissées sur sa cré­
dibilité. Au point qu’à deux ans de
la prochaine échéance présiden­
tielle et alors qu’elle s’est déjà dé­
clarée candidate à l’Elysée, une
majorité de Français jugent dé­
sormais que le parti d’extrême
droite pourrait bien arriver un
jour au pouvoir.
Tel est l’enseignement majeur
du baromètre annuel sur l’image
de l’ex­Front national réalisé par
Kantar­OnePoint pour Le Monde
et Franceinfo, du 27 février au

2 mars, auprès d’un échantillon
de 1 000 personnes interrogées
en face­à­face.
Signe de la normalisation du
RN, les Français ne sont désor­
mais plus qu’une fragile majorité
(51 %) à estimer que le parti d’ex­
trême droite représente un dan­
ger pour la démocratie. Ils
étaient 4 % de plus en 2019, et 7 %
de plus à la veille de la présiden­
tielle de 2017. A l’inverse, 41 %
considèrent qu’il ne représente
aucun danger pour la démocra­
tie, aujourd’hui. Soit 2 % de plus
par rapport à 2019.
Le parti lepéniste regagne égale­
ment 2 points sur les 10 perdus au
lendemain de la présidentielle de
2017 sur sa capacité à participer à
un gouvernement. Les sondés
sont désormais 30 % à lui accor­
der leur confiance sur ce point, et
les sympathisants de gauche sont
même 7 % de plus qu’en 2019,
pour atteindre les 24 %.
Plus encore, on observe une
nette progression de Français con­
sidérant que le RN peut arriver au
pouvoir. Ils sont même majoritai­

res cette année : 56 %, soit une
hausse de 9 points en un an et
même de 16 points en deux ans.
Une croissance particulièrement
notable chez les sympathisants de
gauche, + 15 points sur l’année.

Les limites de la normalisation
Marine Le Pen, elle, continue sa
lente remontée. Sa candidature à
la prochaine élection présiden­
tielle est ainsi jugée souhaitable
par 35 % des sondés, soit 2 points
gagnés en une année et 7 points
de plus par rapport à 2018. A l’in­
verse, ceux qui ne pas souhaitent
pas la voir candidater à l’Elysée
sont désormais minoritaires
(49 %, 3 points de moins en un an).
Si certains indicateurs remon­
tent à l’approche de 2022, le ta­
bleau mariniste reste toutefois
plombé par la chute brutale de
toutes les données concernant
son image, sa crédibilité et l’adhé­
sion aux idées du Rassemblement
national après son échec de 2017.
Marine Le Pen apparaît ainsi ca­
pable de rassembler au­delà de
son camp pour 36 % des person­

nes interrogées (+ 4 points en un
an, – 6 points par rapport à la
veille de la présidentielle 2017) et
ferait une bonne présidente de la
République pour seulement 22 %
d’entre eux (+ 3 en un an, – 2 par
rapport à février 2017).
Les Français ne sont en revanche
plus que 39 %, soit 6 points de
moins qu’en 2019, à penser que
Marine Le Pen comprend leurs
problèmes quotidiens, elle qui
s’est pourtant construit une
image politique de porte­voix de
la « France des oubliés ».
D’autres indicateurs soulignent
les limites de la normalisation du
parti lepéniste. Le niveau global
d’adhésion aux idées du RN ne
bouge ainsi quasiment pas en un
an, stagnant à 26 %, contre 33 % à
la veille de la présidentielle. Tout
comme les électeurs envisageant
de voter pour le parti à l’avenir,
stable, à 25 %.
A l’approche des élections mu­
nicipales, le RN est aussi la seule
étiquette à repousser une majo­
rité de Français : 54 % d’entre eux
affirment ainsi qu’ils seraient mé­

contents de voir leur commune
dirigée par un maire RN, contre
38 % pour un maire communiste
ou « insoumis » et 30 % pour La
République en marche (LRM).
Le front républicain reste enfin
la seule stratégie de second tour
qui suscite une majorité d’adhé­
sion. Pour faire barrage au RN, 52 %
des sondés estiment que les listes
qui s’opposent à lui au second tour
doivent fusionner ou se retirer au
profit de la mieux placée.
Ils sont en revanche plus scepti­
ques sur les autres tactiques pos­
sibles dans l’entre­deux­tours :
seuls 23 % approuvent ainsi une
alliance ou une fusion des listes
RN et Les Républicains (LR) au se­
cond tour et 34 % celle des listes
LRM et LR, alors qu’à peine 28 %
des personnes interrogées sont
favorables à une alliance des listes
de gauche à LRM pour faire bar­
rage à la droite, et 29 % acquies­
cent à une alliance des listes de
droite à celles de LRM pour faire
barrage à la gauche.
Autre enseignement de ce baro­
mètre annuel, les sympathisants

LR apparaissent aussi écartelés
que leurs cadres entre le Rassem­
blement national et La Républi­
que en marche. Ainsi 40 % esti­
ment qu’il faut une alliance ou
une fusion au second tour avec le
RN, et 53 % penchent pour un rap­
prochement avec LRM.
A l’exception des sympathisants
RN, les LR sont ceux qui perçoi­
vent le moins le parti d’extrême
droite comme dangereux pour la
démocratie (44 %, contre 66 %
chez les « insoumis », 65 % pour
les socialistes ou encore 67 % chez
les « marcheurs ») et ceux qui en­
visagent le plus de voter RN à
l’avenir (32 %, contre 7 % chez les
« insoumis » ou 8 % pour LRM).
Même tiraillement quant à l’at­
titude attendue de la part de leur
parti à l’égard de l’ex­Front natio­
nal. A deux semaines du premier
tour des élections municipales,
les sympathisants LR sont ainsi
47 % à refuser tout accord politi­
que avec l’extrême droite... et
48 % à être favorables à des allian­
ces avec le parti lepéniste.
l. so.

É L E C T I O N S M U N I C I P A L E S


« LA GESTION RN, 


ÇA MARCHE », 


BOURDONNENT 


LES LIEUTENANTS 


DE MARINE LE PEN 


DEPUIS LEURS 


TRIBUNES 


DE CAMPAGNE

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