C’EST AVEC UN LARGE SOURIRE QUE
BARACK OBAMA PRÉSENTAIT, en mai 2017, la
maquette de son futur centre présidentiel à
Chicago. Une tour asymétrique dressée au cœur
de Jackson Park et qui allait devenir, promettait
l’ancien président, « un hub d’activités pour le
South Side », avec salles de conférences, studio
d’enregistrement, équipements sportifs, musée,
jardin communautaire... Bref, un emblème du
bouleversement de ce quartier du sud de Chicago
où il a fait ses débuts en tant que travailleur
social. Pourtant, dans les semaines qui ont suivi,
le projet s’est attiré les foudres des associations
locales, pour qui ce centre pharaonique n’est pas
le symbole de la renaissance de South Side, mais
celui de sa gentrification.
Il y a quelques années encore, rares étaient les
habitants du centre-ville de Chicago à oser
mettre les pieds dans ce district qui s’étire le
long du lac Michigan. Les bien nés, souvent
blancs, le considéraient comme un ghetto noir
(90 % de sa population est afro-américaine) où
sévissent le crime et la pauvreté. Aujourd’hui,
comme avant lui Downtown Los Angeles ou
Brooklyn, à New York, South Side se gentrifie. Il
n’y a qu’à regarder le marché de l’immobilier :
selon l’institut du logement de l’université privée
DePaul, le prix moyen des ventes y a augmenté
de 94 % entre 2015 et 2017.
Mais, contrairement à d’autres quartiers, ici ce
sont des figures locales qui lancent les projets.
L’urbaniste Emmanuel Pratt, récipiendaire de la
bourse MacArthur, a par exemple installé sa
Sweet Water Foundation tout près de la voie
express qui traverse Chicago du nord au sud et
sépare, dans le South Side, la déshéritée bande
Texte Marie GODFRAIN
Photos Paul D’AMATO
des architectes pour faire évoluer la perception de
ce quartier, explique Todd Palmer, le directeur
exécutif de la biennale. Nous voulions montrer ses
richesses aux visiteurs, en transformant cette
ancienne école en lieu d’accueil et en camp de base
pour des visites guidées alentour. »
À l’origine, pourtant, South Side n’avait rien d’un
ghetto. C’était un quartier bâti sur le modèle du
fameux melting-pot américain. Lors de la révo-
lution industrielle, Chicago devient la capitale de
l’abattage des animaux élevés dans le Midwest.
Les Afro-Américains, qui fuient le sud esclava-
giste, participent à l’explosion de la ville. Ils s’ins-
tallent alors tout au sud, avec les populations de
confession juive, des Irlandais, des Italiens...
Mais, au fil des décennies et des crises, les autres
communautés, moins discriminées, aban-
donnent le quartier, laissant les Afro-Américains
se débattre avec les problèmes économiques et
sociaux du South Side, qui représente 60 % de la
superficie de la ville. Le cliché de la no-go zone a
la vie dure, pourtant ce Chicago-là est, et a tou-
jours été, une mosaïque de quartiers formant
une réalité composite.
Le pourtour de Jackson Park est ainsi beaucoup
plus bourgeois que les abords de la Sweet Water
Foundation. Idéalement situé au bord du lac, cet
immense espace vert creusé d’étangs et bordé
d’une plage de sable fin a un peu perdu le lustre
de son glorieux passé – c’est ici que s’est déroulée
l’Exposition universelle de 1893. Au sud du parc
se tient le seul vestige chicagoan des années 1920 :
une ancienne banque de style classique avec
colonnades et une impressionnante salle des
coffres au sous-sol. C’est ce bâtiment imposant,
presque pompeux, qu’a choisi l’artiste
ouest d’Englewood et la bande est, siège de
l’université de Chicago et repaire de la bour-
geoisie afro-américaine. Ce centre d’activités
regroupe une ferme urbaine où l’on peut se
fournir en fruits et en légumes, un centre de
recherche sur l’urbanisme, un pavillon de bois
construit par les habitants où sont proposés des
concerts, des rencontres avec des artistes et des
ateliers, ainsi que des lieux d’exposition comme
la (Re)Construction House, une ancienne mai-
son réhabilitée, où il est question de l’histoire
du quartier. De là, on peut remonter vers le
nord, en empruntant les artères bordées de
vastes pelouses sauvages, de supérettes, d’im-
meubles en brique rouge et de maisons cente-
naires aux fenêtres obstruées par des planches
de bois... Un environnement que l’on avait déjà
découvert à l’écran, dans la série comique South
Side, imaginée par un enfant du quartier, Bashir
Salahuddin, et dont la première saison vient de
cartonner sur la chaîne Comedy Central.
Quelques blocs plus loin, on arrive à Anthony-
Overton, une école primaire désaffectée rachetée
par Ghian Foreman, qui, lui aussi, a grandi (et
réussi) ici. Cet investisseur compte faire de ce
bâtiment moderniste un lieu pluridisciplinaire
ouvert au public, et composé d’un incubateur
tech, business et art, et d’un espace de cowor-
king. De quoi changer la dynamique du quartier,
espère-t-il, « tout en préservant son âme »
– contrairement au centre présidentiel d’Obama,
jugé « hors sol » par ses détracteurs. Lors de la
dernière biennale d’architecture, qui s’est
déployée dans la ville de septembre à janvier,
Foreman a accueilli dans l’école un groupe d’ar-
chitectes. « Nous avons fait venir des artistes et
Chicago,
quartiers SUD.
LONGTEMPS PERÇU COMME UN GHETTO, VOIRE UNE “NO-GO ZONE”,
LE DISTRICT DE SOUTH SIDE EST AUJOURD’HUI EN PLEINE GENTRIFICATION.
MAIS, CONTRAIREMENT À D’AUTRES VILLES, CETTE RÉHABILITATION,
MENÉE PAR DES FIGURES LOCALES, SE FAIT PAR ET POUR SA POPULATION,
EN TRÈS GRANDE MAJORITÉ AFRO-AMÉRICAINE.
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DOSSIER TOURISME