Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1

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SAMEDI 7 MARS 2020 france| 13


ne contiendrait même aucun « marqueur
FN » : « Mon marqueur, c’est le pragmatisme. »
Les politiques des mairies d’extrême droite
ne seraient donc pas orientées idéologique­
ment? « Une gestion municipale n’est jamais
neutre (...). A travers les priorités que l’on met
en œuvre transparaissent les choix politiques
que l’on défend à l’échelon national. » La ré­
ponse est de Marine Le Pen, tirée d’un dis­
cours prononcé lors de la convention muni­
cipale du RN à Paris, mi­janvier. Et les déci­
sions des mairies frontistes qui en témoi­
gnent ne manquent pas.

CRÈCHES ET ALGÉRIE FRANÇAISE
A Hénin­Beaumont, Steeve Briois a ainsi
lancé en 2016 une charte antimigrants si­
gnée notamment par Julien Sanchez, à Beau­
caire, et David Rachline, à Fréjus. Autre croi­
sade partagée par plusieurs édiles RN : le re­
trait des subventions à certaines associa­
tions, voire leur expulsion, comme le
Secours populaire, menacé à Hayange, ou la
Ligue des droits de l’homme chassée par la
mairie d’Hénin­Beaumont.
Des crèches de Noël ont également été ins­
tallées au sein des hôtels de ville de plusieurs
municipalités frontistes, dont Béziers, Hé­
nin­Beaumont ou encore Beaucaire, les élus
allant ainsi à l’encontre du principe de laïcité
républicaine. Malgré une condamnation en
justice, Julien Sanchez a réinstallé la sienne à
Beaucaire, tout en supprimant les repas de
substitution dans les cantines, dans lesquel­
les il a même annoncé du porc tous les lun­
dis. « J’ai quatre plaintes chaque année contre
la crèche, mais comme la justice tranche trois
ans après et que la crèche est différente cha­
que année... », s’amuse l’édile.
A Villers­Cotterêts, celle de Franck Briffaut
est presque passée inaperçue cette année,
contrairement à son premier fait d’armes :
refuser de participer à la commémoration
de l’abolition de l’esclavage, organisée cha­
que 10 mai. « Il faut toujours un zeste de dia­
bolisation pour pas devenir comme les
autres », lâche l’édile, qui ne cache pas l’orien­
tation politique de certaines de ses déci­
sions : fin des aides aux écoles participant au
dispositif d’enseignement des langues et
cultures d’origine ; « clause de neutralité poli­
tique » pour les artistes invités à la Fête de la
musique ; censure, dans une exposition mu­
nicipale, d’un livre contenant une œuvre
symbolisant la montée de l’extrême droite ;
arrêt de l’étalement urbain pour permettre
« la maîtrise du type de population »...

Le combat pour « l’Algérie française » est éga­
lement à l’honneur. Julien Sanchez a ainsi dé­
baptisé la rue du 19­Mars­1962 – date du ces­
sez­le­feu en Algérie – pour lui préférer celle
du 5 juillet 1962 marquant le massacre de
pieds­noirs et harkis à Oran. Robert Ménard
en a fait de même à Béziers, remplaçant ce
19 mars par le nom du commandant Hélie De­
noix de Saint­Marc, figure du combat pour
« l’Algérie française ». A Fréjus, David Rachline
a inauguré en 2015 une stèle « en hommage à
tous ceux tombés pour que vive la France en Al­
gérie ». Depuis 2014, ce dernier est également
en croisade pour faire détruire la mosquée de
la ville quand, à Hayange, Fabien Engelmann a
créé dès son élection une « fête du cochon »,
qui n’aurait, selon lui, rien de politique.
Tous ou presque partagent un dernier argu­
ment pour valider leur bilan : les scores im­
pressionnants de l’ex­FN et de leur patronne
dans leur commune, depuis leur élection.
Plus de 60 % pour Marine Le Pen au second
tour de la présidentielle à Hénin­Beaumont ;
plus de 47 % pour la liste RN aux européennes
à Beaucaire. Certains d’entre eux, comme
Steeve Briois, Robert Ménard ou encore David
Rachline, pourraient même être réélus dès le
premier tour, selon certains sondages.
L’extrême droite validée dans les urnes au
premier tour, Laure Cordelet ne veut pas y
croire. Du moins pas à Beaucaire, où elle pré­
side une association contre le racisme et les
discriminations : « J’alerte tous les jours sur la
gestion discriminatoire de Sanchez, sur les
dangers de l’extrême droite. S’il est réélu,
j’aurais l’impression d’avoir pissé dans un vio­
lon pendant six ans. »
lucie soullier

« À TRAVERS 


LES PRIORITÉS 


QUE L’ON MET EN ŒUVRE 


[AU NIVEAU LOCAL] 


TRANSPARAISSENT 


LES CHOIX POLITIQUES 


QUE L’ON DÉFEND 


À L’ÉCHELON NATIONAL »
MARINE LE PEN
lors de la convention municipale
du RN, mi-janvier

La présidente du RN, Marine Le Pen, avec le
maire de Hénin­Beaumont (Pas­de­Calais),
Steeve Briois (au centre), et le candidat
à la mairie de Lens (Pas­de­Calais), Bruno
Clavet, le 29 février, à Lens. FRANÇOIS LO PRESTI/AFP

Stéphane Ravier ou le frontisme


à l’ancienne à l’affût à Marseille


Le sénateur RN des Bouches­du­Rhône, qui avait été élu maire
du 7e secteur de la ville en 2014, brigue cette fois la mairie centrale

PORTRAIT
marseille ­ correspondant

S


téphane Ravier est né un
4 août. Jour de la saint Jean­
Marie. Cinquante ans plus
tard, le sénateur lepéniste, candi­
dat à la mairie de Marseille, reste
plus que jamais fidèle à la ligne his­
torique de l’ex­Front national et à
son mentor : Le Pen père. « Sans lui,
la fierté française aurait peut­être
disparu, le glorifie même Sté­
phane Ravier dans un livre fa­
çonné pour sa campagne munici­
pale, Fils de Marseille. Rendons­lui
cet hommage, malgré ses travers. »
Parmi les « travers » de Jean­Ma­
rie Le Pen : plusieurs condamna­
tions, notamment pour contesta­
tion de crime contre l’humanité et
provocation à la haine, et, finale­
ment, une exclusion du parti qu’il
a cofondé par sa propre fille, après
avoir réitéré ses propos sur le « dé­
tail de l’histoire ».
« J’étais fier de placarder son vi­
sage dans ma chambre aux côtés
d’une autre idole, Angus Young du
groupe AC/DC », raconte encore
Stéphane Ravier sur ses débuts
militants. Désormais membre du
bureau national de Rassemble­
ment national (RN), il a appris du
bannissement de ses pairs, et sau­
poudre son frontisme à l’ancienne
de gages de loyauté à Marine Le
Pen. D’autant que, convient­il, « je
ne pense pas pouvoir me passer du
tampon du RN, même si ma noto­
riété a fait un bond depuis 2014 ».
Il y a six ans, conséquence d’une
triangulaire inattendue, Stéphane
Ravier arrachait le 7e secteur de
Marseille au Parti socialiste (PS).
Tout un symbole pour l’ex­FN si
peu implanté dans les grandes vil­
les. Un mandat plus tard, Marine
Le Pen viendra le soutenir, ven­
dredi 6 mars, à une semaine du
premier tour des municipales.
Sous ses airs volubiles et enjô­
leurs, Stéphane Ravier fait grincer
les chantres de la dédiabolisation
avec ses sorties rustres, identitai­
res et misogynes. Mais la prési­
dente du RN semble tout lui excu­
ser, au point de lui accorder quasi­
ment son seul meeting dans cette
campagne des municipales.
Même son adhésion aux discours
sur « le grand remplacement ».

Ligne identitaire et sécuritaire
S’il affirme ne pas avoir lu Renaud
Camus – « je ne vois même pas à
quoi il ressemble » –, Stéphane Ra­
vier « assume » en propager sans
embarras une partie de la doc­
trine, taxant « l’immigration mas­
sive » d’« immigration de peuple­
ment menant à terme à une immi­
gration de remplacement ». En
avril 2019, le sénateur des Bou­
ches­du­Rhône invitait ainsi Eric
Zemmour à discuter entre prophè­
tes du « grand remplacement ».
« Les Arabes et les Français, c’est
l’huile et le vinaigre, ça finit par se
séparer », lâchait le chroniqueur
condamné depuis pour provoca­
tion à la haine raciale pour
d’autres saillies, aux côtés d’un Ra­
vier rigolard et acquiesçant : « J’ai
vu ma ville changer, les coutumes,
les revendications changer. A cause
de cette religion laïque et obliga­
toire qu’est le vivre­ensemble. »
Pour Benoît Payan, président
du groupe socialiste au conseil
municipal et candidat du Prin­
temps marseillais dans le 2e sec­
teur de la ville, Stéphane Ravier
« ne cherche que le buzz, le clash. Il
ne cherche pas à apporter des so­
lutions mais à stigmatiser, à mon­

ter les gens les uns contre les
autres. Il se pense moderne parce
qu’il utilise les réseaux sociaux,
mais il utilise les vieilles ficelles de
la droite la plus rance. » En
juillet 2019, au soir de la fête dans
les rues de Marseille après la vic­
toire de l’Algérie en Coupe d’Afri­
que des nations, le sénateur RN
publiait ainsi une vidéo sur Face­
book avec un commentaire :
« Marseille ville française? Vrai­
ment? » Une semaine plus tard, il
ajoutait sur BFM­TV que « [lui],
maire de Marseille », les drapeaux
algériens auraient été interdits.
Lui, maire de Marseille, promet
également Stéphane Ravier dans
ses cent mesures pour la ville, le
référendum d’initiative citoyenne
(RIC) serait instauré, les élus ab­
sents sanctionnés, 600 policiers
municipaux supplémentaires re­
crutés dont 200 dès la première
année... Fidèle à sa ligne identi­
taire et sécuritaire, le candidat RN
jure aussi de « traquer les racailles,
expulser les familles de délin­
quants, lutter contre l’islamisme,
interdire les burkinis et le voile inté­
gral ». Sans compter l’installation
d’un commissariat municipal par
arrondissement et la création
d’une brigade antigang et d’une
autre antisquat. « Il est à fond », ré­
sume, hilare, Dany Lamy, con­
seiller d’arrondissement RN en
charge des questions de sécurité.
« Stéphane Ravier est grossier,
sexiste, misogyne. Le combattre est
dans mon ADN », tance Samia
Ghali, tête de liste Marseille avant
tout. La sénatrice ex­PS des Bou­
ches­du­Rhône a d’ailleurs déposé
plainte pour injure publique
sexiste contre Stéphane Ravier,
qui l’avait qualifié de « point G de
Marseille » lors de sa rencontre
avec Eric Zemmour. Tout comme
Lydia Frentzel, élue Europe Ecolo­
gie­Les Verts (EELV), à qui le fron­
tiste avait donné rendez­vous « au
même hôtel, le même jour, à la
même heure » en plein conseil mu­
nicipal, en février 2019.
Stéphane Ravier, lui, hausse les
épaules. Même Marine Le Pen y a
vu « une blague ». « On ne va peut­
être pas faire une police de la bla­
gue de mauvais goût », balayait la
patronne du RN, il y a un an sur
France Inter. D’autant moins avec
celui qui a apporté à son parti sa
mairie la plus importante, avec ses
plus de 150 000 habitants. Et qui
pourrait faire oublier, par un bon
score en 2020, les carences du
parti d’extrême droite dans les
autres grandes villes.
Veste de costume sur jean, croix
marseillaise bleue sur fond blanc
systématiquement accrochée au
revers, cheveux désormais poivre
et sel, Stéphane Ravier reste
mordu de football. « Toujours
croyant mais pas pratiquant »,
toujours « patriote marseillais ».
Mais en six ans, certaines choses
ont changé. Son équipe, d’abord,
s’est professionnalisée tout en
collant à sa ligne. Son ex­assistant

parlementaire Antoine Baudino –
ancien de Génération identitaire
qui se présente dans la ville voi­
sine de Berre – structure son
agenda. Emmy Font, formée à
l’école de sciences politiques de
Marion Maréchal, dirige sa cam­
pagne. Le sénateur a également
choisi, une par une, les têtes de
liste des huit secteurs, rajeunies
et apparemment plus soudées
autour de leur leader. « Le ma­
riage de la fidélité et de la nou­
veauté » assure Stéphane Ravier.
Un mariage surtout dicté par les
circonstances : en 2014, quelques
mois seulement après les munici­
pales, le groupe Front national
avait volé en éclats à Marseille.
Une dizaine de colistiers ont fini
par siéger en indépendants, dé­
nonçant l’autoritarisme de leur ex­
leader et l’affublant du surnom de
« dictateur nord­phocéen ». Parmi
eux, Michel Cataneo a déposé
plainte en 2017, accusant le séna­
teur de l’avoir forcé à démission­
ner sous la contrainte, et à se taire
sous la menace. « Tu baigneras
dans ta merde et ton sang », lui
aurait lancé Stéphane Ravier, qui
nie les faits. D’autres voix critiques
soulignent une tendance au népo­
tisme, entre sa nièce Sandrine
D’Angio, à qui il a transmis son
siège de maire du 7e secteur en de­
venant sénateur, et l’embauche de
son fils comme agent municipal.

Maigre bilan dans son secteur
S’il ne pilote plus directement la
mairie de secteur, le sénateur Ra­
vier tente de valoriser l’action de
son équipe depuis six ans. Con­
vention avec l’association Voisins
vigilants, brigade de la propreté,
soutien aux écoles délaissées par
la mairie centrale... Le bilan est
bien maigre. Mais le candidat RN
renvoie les critiques au peu de
compétences que détiennent, à
Marseille, les mairies de secteur.
En 2020, il vise donc l’hôtel cen­
tral, et rien de moins, adaptant au
passage ses arguments pour grim­
per dans les quartiers moins favo­
rables. Dans le très populaire 8e
secteur, tout au nord de la ville, il
pointe du doigt snacks halal et res­
taurants kebabs en déversant son
discours identitaire... Alors que
dans le 6e secteur, plus bourgeois,
il préfère fustiger l’urbanisation
forcenée orchestrée par la munici­
palité de Jean­Claude Gaudin.
Une stratégie qui pourrait bien
fonctionner dans des municipales
marseillaises où la droite, comme
la gauche, partent morcelées
comme jamais. Fin janvier, un
sondage le plaçait même en
deuxième position au premier
tour, à 22 % des intentions de vote,
talonnant d’un point à peine Mar­
tine Vassal, la dauphine Les Répu­
blicains de Jean­Claude Gaudin.
Stéphane Ravier se garde bien
d’agresser verbalement le sortant.
Lors du dernier conseil municipal
du maire aux vingt­cinq années
de mandat, le 27 janvier, il a même
habilement choisi d’évoquer une
anecdote de la campagne précé­
dente. « Je n’ai toujours pas com­
pris pourquoi vous m’aviez glissé
dans la main quelques miettes de
navette lors de la bénédiction de la
Chandeleur. Est­ce que vous avez
voulu me dire que vous m’accor­
diez une part du gâteau électoral?
Ou avez­vous voulu me faire com­
prendre que vous ne me laisseriez
que les miettes dans les urnes? »
Jean­Claude Gaudin a ri, mais n’a
pas répondu.
gilles rof et l. s. (à paris)

LA PRÉSIDENTE DU RN 


SEMBLE TOUT EXCUSER 


À STÉPHANE RAVIER, 


AU POINT DE LUI 


ACCORDER QUASIMENT 


SON SEUL MEETING 


DANS CETTE CAMPAGNE 


DES MUNICIPALES

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