28 |idées SAMEDI 7 MARS 2020
0123
Charlotte Bossuet
Rien de neuf sur les
violences conjugales
Le texte issu du Grenelle des violences conjugales
n’est rien d’autre qu’une répétition de ce que
le code pénal prévoit déjà, estime l’avocate
A
l’examen au Sénat, la proposition
de loi visant à protéger les victimes
de violences conjugales portée par
la députée (LRM) de la Gironde
Bérengère Couillard fait l’objet d’une procé
dure accélérée : pour la majorité, il y aurait
urgence à changer la loi. Son article 8 intro
duirait une nouvelle exception au secret
médical en permettant de signaler des vio
lences « lorsqu’il existe des éléments laissant
craindre que la victime majeure se trouve
sous l’emprise de leur auteur et qu’elle est en
danger immédiat ». Dans ce cas, l’accord de
la victime ne serait plus nécessaire. A bien
y regarder, telle qu’elle est rédigée, la pro
position n’introduit aucune modification
substantielle de notre droit, de sorte que le
débat de fond sur ce projet de réforme
apparaît quelque peu stérile.
En effet, contrairement à ce que l’on peut
lire ici ou là, que l’on s’en inquiète ou que
l’on s’en félicite, le secret professionnel, en
général, et celui des professionnels de
santé en particulier, n’est pas – et n’a
jamais été – absolu. Le code pénal autorise
déjà les professionnels de santé à dénon
cer, dans certaines hypothèses, des violen
ces subies par des personnes majeures,
avec ou sans leur accord. Les exceptions au
secret professionnel figurent à l’arti
cle 22614 du code pénal. Cet article pose
d’abord tout à la fois une évidence et une
généralité : le délit de violation du secret
professionnel ne s’applique pas lorsque la
loi ellemême impose ou autorise la révéla
tion du secret. Ensuite, l’article 22614 dis
tingue une série de situations dans les
quelles la révélation est permise dans le
but de protéger les victimes, mineures ou
majeures, avec ou sans leur accord. L’arti
cle 22614 2° permet, en particulier, « au
médecin ou à tout autre professionnel de
santé » d’informer le procureur de la Répu
blique de « sévices ou privations (...) qui lui
permettent de présumer que des violences
physiques, sexuelles ou psychiques de toute
nature ont été commises ».
Un code pénal complet
Lorsque la victime est une personne
majeure « qui n’est pas en mesure de se
protéger en raison de son âge ou de son
incapacité physique ou psychique », son ac
cord n’est pas nécessaire. La proposition
de loi soutenue par la majorité n’ajoute
rien à ces dispositions, puisqu’elle ne
concerne que les personnes « sous
emprise » dans une situation d’urgence
vitale. Comme l’a justement relevé le
Conseil national de l’ordre des sagesfem
mes, « l’emprise est un phénomène psychi
que non défini pénalement qui suppose des
compétences médicales spécifiques pour
être apprécié ainsi que du temps ». Mais,
surtout, une personne « sous emprise »
n’estelle pas, par définition, dans l’« inca
pacité psychique de se protéger »?
Si la loi ne définit pas l’« l’incapacité psy
chique » susceptible d’empêcher une per
sonne majeure de se protéger, il n’en
demeure pas moins que l’article 22614 2°
du code pénal n’exige pas l’existence d’un
« trouble psychique ou neuropsychique »,
d’une altération du discernement ni d’une
quelconque « déficience psychique », qui
sont autant de termes employés ailleurs
dans le code pénal.
Ajouter à la confusion
On peut donc aisément concevoir qu’une
personne sous emprise se trouve de facto
dans l’« incapacité psychique » de se proté
ger. Par conséquent, les professionnels de
santé sont déjà autorisés à signaler les vio
lences subies si les autres conditions sont,
par ailleurs, réunies. Surtout, l’article 8 ne
vise que les cas d’urgence vitale alors que
l’actuel article 22614 2° concerne, plus
généralement, les hypothèses de « sévices
et de privations » laissant supposer l’exis
tence de violences de toute nature.
Contrairement à ce que promet le rapport
de Bérengère Couillard, les victimes de
« vexations » peuvent dormir tranquilles :
leur secret ne risque pas d’être révélé sur le
fondement de cette proposition.
Cette proposition est également super
fétatoire au regard du délit de nonassis
tance à personne en danger. Aucun tribu
nal n’a, à notre connaissance, poursuivi
et encore moins condamné un profes
sionnel de santé pour avoir dénoncé au
procureur de la République une situa
tion d’urgence vitale. Cela nous paraît
d’autant plus improbable que le délit de
nonassistance à personne en danger
n’exclut pas les professionnels de santé de
son champ d’application.
Par ailleurs, l’article 4341 du code pénal
punit le fait de ne pas dénoncer un crime
dont il est possible de prévenir les ef
fets ou la réitération. Certes, la loi prévoit
que cette infraction ne s’applique pas
aux personnes dépositaires du secret pro
fessionnel. Les professionnels de santé
n’ont donc pas l’obligation de parler. En
ontils pour autant l’interdiction? Sur ce
point, il appartient au médecin de décider
ce qui convient le mieux de faire en son
âme et conscience.
A nouveau, on voit mal comment la
jurisprudence au regard du droit actuel
pourrait condamner un professionnel
de santé pour avoir informé une auto
rité judiciaire de viols ou d’actes de tor
ture et de barbarie – qui sont des infrac
tions criminelles et susceptibles d’attein
dre à la vie de la victime – pour éviter leur
renouvellement. En tout état de cause, à
notre connaissance, une telle jurispru
dence n’existe pas.
Au total, ce texte ne fait qu’ajouter de la
confusion à un sujet déjà suffisamment
complexe. La lutte contre les violences
conjugales, présentée comme une priorité
du gouvernement, mérite un peu plus de
courage et moins de poudre aux yeux.
Charlotte Bossuet est avocate
au barreau de Paris
Séverine Lemière et Rachel Silvera
L’égalité salariale entre les femmes
et les hommes attendra
L’index créé par le gouvernement pour mesurer
les inégalités salariales est une fausse bonne idée,
car il occulte d’autres types d’injustices qui subsistent
C’ sur le marché du travail, estiment les universitaires
est en 1972 que le principe d’éga
lité salariale entre femmes et
hommes a été inscrit dans le code
du travail. Depuis, l’égalité profes
sionnelle et salariale a été renforcée d’une
dizaine de lois, imposant notamment
l’obligation de négociation collective, de
fournir des données chiffrées et la possibi
lité de sanctionner les entreprises en cas
de nonengagement. En 2019, voulant pas
ser d’une obligation de moyens à une obli
gation de résultat, demandée par les syndi
cats, le gouvernement met en place l’index
d’égalité salariale. Déjà obligatoire pour les
très grandes entreprises depuis un an, il
est obligatoire depuis le 1er mars pour cel
les de plus de 50 salariés.
Cet index repose sur cinq indicateurs :
l’écart de rémunération par âge et catégo
ries professionnelles ; l’écart entre la part
des femmes et des hommes augmentés ;
l’écart entre la part des femmes et des
hommes promus ; la part des femmes
ayant bénéficié des augmentations à leur
retour de congé maternité ; et la présence
d’au moins 4 femmes dans les 10 plus hau
tes rémunérations. Ces indicateurs per
mettent d’accumuler jusqu’à 100 points, et
les entreprises obtenant moins de
75 points ont trois ans pour s’améliorer,
sous peine de sanctions.
Emplois sous-valorisés
Si, après cinquante ans de législation en
matière d’égalité salariale, l’objectif de
résultat est urgent, nous savons que le dia
ble se cache dans les détails. En effet, les
indicateurs de l’index comportent de
nombreux biais. Sans entrer dans les
détails, soulignonsen quelquesuns.
Premièrement, du fait des précautions
statistiques, une entreprise avec un écart
moyen de rémunération de 10 % obtiendra
tout de même plus des trois quarts des
points de l’indicateur. Deuxièmement,
concernant les augmentations et promo
tions, seul le nombre de femmes comparé
au nombre d’hommes ayant reçu une aug
mentation individuelle ou une promotion
est pris en compte, et non le montant de
ces augmentations. Enfin, les indicateurs
de l’index omettent des facteurs impor
tants d’inégalités. Les emplois très fémini
sés sont souvent sousvalorisés en matière
de salaire et de carrière, les compétences
mobilisées étant minimisées et associées à
une pseudonature des femmes. Pensons
aux aides à domicile, agentes de nettoyage,
aux assistantes en tout genre ou encore
aux cadres administratives. Et pourtant la
loi exige un salaire égal pour un travail
égal, mais aussi pour un travail de valeur
égale, permettant de comparer des
emplois différents de même valeur.
Ici, l’index ne répond ni à la comparaison
entre mêmes emplois (seulement entre
mêmes grandes catégories d’emplois) ni à
la comparaison d’emplois différents mais
de même valeur, appartenant à des catégo
ries d’emplois différentes : par exemple,
une assistante administrative (catégorie
employée) et un technicien de mainte
nance (catégorie technicien et agent de
maîtrise). De même, l’effet de la carrière
n’est pas forcément visible. Par exemple, un
technicien de 40 ans, promu cadre après
trois années d’ancienneté et titulaire d’un
BTS, peut percevoir le même salaire qu’une
cadre administrative de 40 ans étant à ce
poste depuis plus de dix ans et titulaire
d’un master. Estce vraiment égalitaire?
« Plafond de verre »
A la publication des résultats des grandes
entreprises et de ceux obtenus par les en
treprises de 250 à 999 salariés, ces biais
semblent bien se confirmer. Selon le
ministère du travail, la note moyenne des
entreprises de plus de 1 000 salariés est de
83 points sur 100 et de 82 points sur 100
pour celles de plus de 250 salariés. Seule
ment 18 % des grandes entreprises et 16 %
des entreprises de taille moyenne n’ont
pas obtenu les 75 points sur 100, mais ces
entreprises ont toutes obtenu la quasi
totalité des points sur les trois premiers
indicateurs... Le ministère précise ainsi que
les efforts à attendre portent sur les deux
derniers indicateurs : une grande entre
prise sur trois et une entreprise de taille
moyenne sur cinq ne respectent pas l’obli
gation d’augmenter toutes les femmes de
retour de congé maternité. Et la moitié des
grandes entreprises (40 % des moyennes)
n’ont pas suffisamment de femmes dans
le « top 10 » des rémunérations.
Le ministère concluait ainsi, dans son
dossier de presse du 17 septembre 2019 :
« L’égalité salariale est plutôt respectée dans
notre pays. » Pourtant, certaines entrepri
ses, comme la Caisse d’épargne Ilede
France ou IBM, ont un index à plus de 90
points et sont poursuivies pour discrimi
nation salariale. Le ministère précisait éga
lement : « Il existe un plafond de verre qui
empêche les femmes d’accéder aux plus
hautes fonctions. » Tel serait donc le vrai
problème : assurer qu’à la tête de nos
entreprises il y ait (presque) autant de fem
mes que d’hommes... Mais en quoi cet
objectif réglera le problème des milliers de
femmes précaires, à bas salaires et à temps
partiel imposé? Car n’oublions pas que
près de 30 % des femmes en emploi tra
vaillent à temps partiel et que presque
deux tiers des smicards sont des smicar
des. Et en quoi la présence de 4 femmes
dans les 10 plus hautes rémunérations
éclaterait les véritables plafonds de verre
que subissent les femmes tout au long de
leur carrière, notamment les femmes
cadres intermédiaires?
Mesurer les écarts salariaux est un exer
cice très complexe et vouloir un outil uni
que est sûrement une fausse bonne idée,
peutêtre même un piège car comment,
lors de la négociation collective obliga
toire, progresser sur le temps partiel, sur la
revalorisation des emplois féminisés ou
des carrières quand l’entreprise aura eu
par exemple plus de 90 points sur 100? A
l’heure où tout le monde s’accorde sur
l’égalité salariale comme étant l’une des
solutions pour réduire les écarts de pen
sion de retraite, l’index ne sera malheureu
sement pas opérant.
Séverine Lemière est maîtresse de
conférences à l’université de Paris, Ré-
seau Mage (marché du travail et genre)
Rachel Silvera est maîtresse de confé-
rences à Paris-Nanterre, Réseau Mage
(marché du travail et genre)
LA MOITIÉ
DES GRANDES
ENTREPRISES N’ONT
PAS SUFFISAMMENT
DE FEMMES
DANS LE « TOP 10 »
DES RÉMUNÉRATIONS
CETTE
PROPOSITION EST
SUPERFÉTATOIRE
AU REGARD
DU DÉLIT DE
NON-ASSISTANCE
À PERSONNE
EN DANGER