Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1
DOMINIQUE ET ARTHUR DE VILLEPIN pourraient poser
pour les publicités de montres de luxe, jouant sur l’image de
la transmission et de la continuité. Même assurance sportive,
même taille haute et svelte. Et, surtout, même goût pour l’art,
qui conduit père et fils à ouvrir une galerie à Hongkong,
le 13 mars. Un vendredi, parce qu’ils ne sont pas superstitieux.
Après sept mois de manifestations contre le gouvernement
local et la tutelle de Pékin, car ils sont optimistes. Et en pleine
épidémie du Covid-19, vu qu’ils n’ont pas froid aux yeux.
L’annulation de la foire Art Basel Hongkong sur laquelle
ils avaient pourtant calé leur ouverture ne les a pas plus désar-
més. « L’esprit occidental, c’est : “C’est dangereux, on n’y va
pas.” Le nôtre, c’est : on y va! On est plus motivé que jamais »,
plastronne Dominique de Villepin, qui dit croire en « une révo-
lution asiatique du regard », rien de moins. Arthur de Villepin
n’a pas l’art – ou le goût — des envolées paternelles.
« J’ai connu les manifestations de 2014 à Hongkong,
indique sobrement le jeune entrepreneur, et j’ai appris
à repenser mon business model. »
Arthur de Villepin avait 26 ans — il en a 31 aujourd’hui –
lorsque, après des études de relations internationales, il choi-
sit de s’établir à Hongkong. « J’y ai senti une énergie, une fibre
qui me disait de rester là quand d’autres n’y passaient que
deux ans », confie le jeune homme, séduit par le potentiel
d’une ville au carrefour d’un continent en pleine expansion.
« Ce n’est pas un fils à papa, il a fait son trou tout seul, sans la
ramener », vante François Curiel, président de Christie’s
Europe. Pendant que son père vaquait aux affaires de la
France avant de s’occuper des siennes en courant le monde,
du Qatar à la Chine, en qualité de conférencier et consultant
chèrement tarifé, lui montait une franchise de la start-up

VILLEPIN PÈRE ET FILS OU L’ART DE SURPRENDRE.


Texte Roxana AZIMI

YellowKorner, spécialisée dans l’édition et la distribution de
photographies d’art bon marché, et, sur un créneau similaire,
une bouture de Carré d’artistes, galerie d’art grand public et
abordable implantée dans le monde entier. En 2012, avec son
partenaire Thibault Pontallier, il créait aussi Pont des Arts,
une société associant le monde de l’art et celui des liquoreux,
avec une particularité : les étiquettes des bouteilles mises en
vente sont réalisées par des artistes.
Car l’art, comme les livres, ont toujours fait partie de sa famille.
Sa mère, Marie-Laure Le Guay, est sculptrice. Sa sœur, Marie,
est devenue peintre après une carrière de mannequin. Quant
à Dominique de Villepin, dès l’âge de 25 ans il se met à collec-
tionner des peintres de Barbizon, puis des artistes sud-
américains cinétiques tels que Carlos Cruz-Diez et Jesus
Rafael Soto, avant de rencontrer le peintre abstrait franco-
chinois Zao Wou-ki par le biais de Jacques Chirac, puis
le Français Pierre Soulages, l’Allemand Anselm Kiefer,
l’ Espagnol Miquel Barcelo et le Chinois de Dijon Yan Pei-
Ming... Des stars de la peinture dont, pour certains, il avait
accroché les œuvres au Quai d’Orsay comme à Matignon. De
là à ouvrir une galerie avec son fils? Une « vieille idée qu’on se
murmure depuis longtemps », assure l’ancien premier ministre.
Un choix nourri de leur complémentarité. « Je suis dans l’opé-
rationnel, mon père dans la recherche », résume Villepin fils,
qui assure ne pas être écrasé par l’aura paternelle.
Une aventure dont les contours sont encore un brin flous.
L’écurie n’est pas encore établie. Dominique de Villepin se dit
intéressé par « les artistes passeurs, ceux qui parlent à plusieurs
mondes, qui inventent un art global ». Zao Wou-ki, bien sûr, qui
ouvre le bal. Et pourquoi pas, un jour, feu le Cubain Wifredo Lam,
chantre d’une peinture métissée traversée de symboles africains
et caribéens? Mais, en septembre, c’est l’école de Paris que
les duettistes mettront en valeur, notamment les peintres
abstraits Hans Hartung, actuellement à l’honneur au Musée
d’art moderne de la Ville de Paris, Soulages mais aussi Ladislas
Kijno, représentant moins connu de la peinture informelle.
Bien sûr, Villepin père et fils n’ignorent pas que le marché
chinois est en net recul à cause du ralentissement, voilà deux
ans, de l’économie chinoise et de la lutte anticorruption, qui a
réduit l’appétit spéculatif des acheteurs locaux. La Chine a
même vu fermer quelques galeries majeures, comme Long
Gallery et la bouture pékinoise de la puissante enseigne amé-
ricaine Pace. Mais les Villepin disent réfléchir à long terme.
Leur objectif? Former de futurs collectionneurs, en les initiant
à l’art notamment par des rencontres avec des créateurs, la
publication de beaux livres et l’organisation de deux longues
expositions annuelles. Ils ont ainsi conçu leur espace sur trois
étages sur Hollywood Road comme une « maison », avec du
design, un peu d’art africain et, forcément, une bibliothèque,
écho à l’intérieur parisien de la famille Villepin. À l’inverse de
leurs collègues, ils disent ne pas vouloir se mettre de pression,
notamment commerciale, l’un et l’autre gagnant de l’argent
avec d’autres activités qu’ils ont naturellement conservées.
« On a tout notre temps, assure Dominique de Villepin.
On ne cherche pas le client, on est sereins. »

Arthur et
Dominique
de Villepin (ici
à Paris) prévoient
d’ouvir une
galerie d’art
à Hongkong.


Dominique de Villepin ouvre, avec son fils, le 13 mars, une galerie


d’art à Hongkong. Sans s’inquiéter ni de la situation politique dans


l’ex-colonie britannique ni de la crise du marché de l’art en Chine.


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LA SEMAINE

Sophie Palmier
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