Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1

chaque année le rappel des locataires pour
organiser dans la cour de l’immeuble la Fête des
voisins. « Il faut que tout le monde ait quelque
chose à partager », dit-elle.
« Mes enfants avaient des copains blacks ou beurs
et cela les a enrichis, mais la diversité, c’est ter-
miné. L’immeuble d’en face, c’est celui des
Comoriens. Derrière, c’est le Maghreb. Pour l’ins-
tant, c’est encore gérable. Dans dix ou quinze ans,
ce sera une poudrière », prévient Yves Charpentier,
65 ans, ingénieur retraité dont l’appartement se
situe à un jet de pierre du bois de Vincennes. Ce
mal-être sur l’air du « c’était mieux avant »
épargne peu de vétérans des HBM. « J’ai élevé mes
six enfants sans jamais les laisser seuls dans la rue
et ils ont tous fait de bonnes études, mais les choses
se sont dégradées. Il y a du manque de respect »,
s’inquiète Zined, 74 ans, discrète petite mamie
tunisienne qui vit depuis quarante-huit ans porte
de Bagnolet. « Désolée de dire ça, mais il y a trop
d’étrangers », tranche sa fille Salwa, 35 ans, en
fronçant les sourcils. « Les gens en ont ras le bol.
La France est un pays difficile. Lorsque l’on vient
d’ailleurs, il faut s’accrocher, ne pas se laisser aller
à la facilité », s’indigne cette fonctionnaire qui a
quitté sans regret les HBM de son enfance pour
s’installer en banlieue.
« On a créé des ghettos à Paris », se désole
Christian Ballerini. Ce militant de la Confédération
nationale du logement (CNL) représente les loca-
taires au sein de la commission d’attribution des
appartements de Paris Habitat. Pour lui, il est
devenu indispensable « d’en finir avec le déni ».
« Il faudrait réaliser des statistiques ethniques, ce
qui au passage contribuerait à calmer les fan-
tasmes, et avoir le courage de cesser de reloger
systématiquement les familles monoparentales
dans les quartiers dits “prioritaires de la politique
de la ville’’ ». Une étude de l’Atelier parisien d’ur-
banisme (APUR), publiée fin janvier, pointe
l’échec de la Ville à faire respecter l’obligation
légale de loger 25 % de ménages à bas revenus
(800 euros par mois et par personne) dans les
logements sociaux des quartiers « classiques »,
c’est-à-dire hors des zones prioritaires fixées par
la politique de la ville.
« Le vote RN dans les HBM signifie : “on en a
marre du bordel, occupez-vous de nous” », mau-
grée Frédérique Calandra, présidente de la RIVP
et maire du 20e arrondissement, qui s’inquiète
« du niveau perceptible de crispation ». En rup-
ture de ban avec le Parti socialiste depuis qu’elle
a décidé de soutenir la candidature de Benjamin
Griveaux puis celle d’Agnès Buzyn (LRM) à la
Mairie de Paris, l’édile dénonce les effets pervers
du système dit de cotation introduit par la Ville
depuis 2015 qui attribue, notamment, des points
supplémentaires aux familles dont le taux d’ef-
fort (la part du revenu consacrée au loyer)
dépasse un certain seuil. « Mécaniquement, on
entasse dans ces immeubles de brique rouge les
populations les plus pauvres d’Île-de-France,
donc des familles d’origine étrangère. C’est la
non-mixité organisée », assure Frédérique
Calandra qui réclame « de véritables commis-
sions de peuplement ». Autrement dit un moyen


d’installer dans les logements sociaux davantage
de membres des classes moyennes aux revenus
trop élevés pour être prioritaires.
« Indiscutablement, il existe un sentiment de relé-
gation dans les HBM », constate Ian Brossat.
L’adjoint (PCF) d’Anne Hidalgo chargé du loge-
ment impute les difficultés de cohabitation à un
« problème générationnel » et rappelle que la
part des logements sociaux à Paris est passée en
dix-neuf ans de 13 % à 23 %. « Nous évitons bien
évidemment de concentrer en un même lieu les
populations les plus en difficulté, mais notre
marge est très restreinte car le foncier est rare et
l’on peut difficilement jouer sur les flux. » Le
faible taux de rotation des appartements (autour
de 4 %) ne libère que peu de logements dispo-
nibles pour élargir l’éventail des locataires. Et,
lorsque les bailleurs sociaux proposent à une
famille dont les revenus s’inscrivent dans le
haut de la fourchette de s’installer dans un loge-
ment HBM – souvent refait à neuf et pour un

loyer défiant toute concurrence –, le taux de
refus atteint 38 %. La perception de l’environne-
ment immédiat, en particulier la réputation
défaillante des établissements scolaires, agit
comme un repoussoir, admet la Ville de Paris.
L’opposition, pour sa part, dénonce une « poli-
tique du chiffre » et critique le cruel manque de
logements intermédiaires accessibles aux
classes moyennes qui ne peuvent compter que
sur le secteur privé, en surchauffe permanente
dans la capitale.
Lancée pour de bon depuis fin janvier, la cam-
pagne électorale fait la part belle au logement
social et au devenir du périphérique, mais l’on ne
voit guère le malaise sourd de la ceinture de
brique rouge émerger dans les débats. « Cette
bande côtière autour de la capitale souffre d’un
handicap : elle ne recouvre pas un enjeu électoral
stratégique pour les partis de gouvernement »,
considère Jérôme Fourquet, qui y voit « un angle
mort de la politique municipale ».

Ariles Yalali,
7 ans, chez lui
dans une HBM
du quartier
des Fougères,
Paris 20e.

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Ilyes Griyeb pour M Le magazine du Monde
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