Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1

12 |


FRANCE


JEUDI 5 MARS 2020

0123


Les motions 


de censure 


rejetées, le projet 


de loi adopté


Malgré les tentatives de la gauche et de la droite


de s’opposer à l’utilisation du 49.3, l’examen


du texte instituant un système universel


de retraites s’est achevé à l’Assemblée nationale


sans vote, dans la nuit de mardi à mercredi


RÉCIT


L


e premier acte de la bataille des
retraites à l’Assemblée nationale
s’est achevé dans la nuit. Peu
avant 1 heure du matin, mer­
credi 4 mars, les deux motions
de censure, déposées l’une par la
droite, l’autre par la gauche, pour s’opposer
à la décision du gouvernement d’avoir re­
cours au 49.3 sur cette réforme, ont été reje­
tées. Sans surprise. « En conséquence est
considéré comme adopté le projet de loi ins­
tituant un système universel de retraites », a
indiqué Richard Ferrand, le président de
l’Assemblée nationale, devant la trentaine
de parlementaires et les quelques membres
du gouvernement encore présents à cette
heure tardive.
Mardi, l’examen erratique de ce texte s’est
donc achevé, avec la discussion des motions
de censure, par le procès de la méthode. Celle
du gouvernement d’une part, accusé d’avoir
mal préparé sa réforme puis d’avoir précipité
la fin du débat parlementaire en déclen­
chant le 49.3, samedi 29 février en fin
d’après­midi, qui permet l’adoption d’un
projet de loi sans vote. Celle des oppositions
ensuite, en particulier de La France insou­
mise (LFI) et des communistes, accusés
d’avoir eux­mêmes « saboté » l’examen de la
réforme en orchestrant l’obstruction volon­
taire du débat avec le dépôt de plus de

30 000 amendements en séance publique.
Premier à monter à la tribune, Damien
Abad, député de l’Ain et président du groupe
Les Républicains (LR), a fustigé le « cynisme »
du premier ministre qui, en déclenchant le
49.3, « a ouvert un front politique au moment
où la gestion de la crise sanitaire [du corona­
virus] imposait une unité nationale ». Pire,
pour LR, l’exécutif est coupable d’avoir pro­
duit un texte original « mal ficelé, bancal, la­
cunaire, qui met toutes les professions, ou
presque, dans la rue ». « Une concertation ra­
tée, un calendrier précipité, un ministre re­
mercié, un financement oublié, une loi bâ­
clée », a tonné M. Abad. C’est, pour la droite,
en somme, « un fiasco parlementaire ».

« UN JOUR DE HONTE »
Un texte « mal écrit, inachevé », ce sont égale­
ment les accusations portées par le prési­
dent du groupe communiste, André Chassai­
gne, qui a, en outre, fustigé « un désastre dé­
mocratique » et « la dérive autoritaire du ré­
gime ». « Monsieur le premier ministre, il y a
un an vous vantiez le grand débat,
aujourd’hui vous pratiquez le sans débat », a
renchéri Valérie Rabault, présidente du
groupe socialiste, dénonçant un « passage en
force ». Devant plusieurs centaines de mili­
tants « insoumis », communistes ou encore
de syndicalistes de la CGT et du Syndicat des
avocats de France, Jean­Luc Mélenchon, n’a
pas dit autre chose mardi en fin d’après­
midi. « C’est un jour important que nous en

sommes en train de vivre. Un jour de honte
pour la démocratie parlementaire », a lancé le
chef de file de LFI à ceux qui étaient réunis à
l’appel de son mouvement à quelques pas du
Palais­Bourbon en marge des discussions
dans l’Hémicycle.
Aux discours reprochant au gouverne­
ment d’avoir lui­même organisé l’échec de la
discussion parlementaire, la majorité a ré­
pondu en faisant le procès de l’attitude de
l’opposition dans ce débat. « Le 49.3, ce n’est
pas le fait du premier ministre! (...) Le 49.3,
c’est vous! Seulement vous! Entièrement
vous », s’est emporté Gilles Le Gendre, prési­
dent du groupe La République en marche
(LRM). « C’est vous qui avez pris le risque de
vous affranchir de la pratique démocratique
normale. (...) C’est nous qui, au contraire, au
moyen du 49.3, permettons aux institutions

de fonctionner normalement », a­t­il pour­
suivi dans un long réquisitoire contre l’op­
position. Au même moment, cette dernière
tournait ostensiblement en dérision le pa­
tron des députés de La République en mar­
che, l’applaudissant à tout rompre et cou­
vrant ses mots de leurs exclamations.
Pendant toute la durée du débat à l’Assem­
blée, jusqu’à l’examen de ces motions de
censure, la gauche de la gauche aura moqué
la majorité. Tel André Chassaigne s’adres­
sant aux « mercenaires d’En marche! et leurs
supplétifs du MoDem ». « Vos gargouillis et
vos cris me provoquent un certain plaisir.
[Vous êtes] les digéreurs de la parole ély­
séenne », a lancé le communiste. « L’obstruc­
tion parlementaire, c’est vous, les “mar­
cheurs” : vos odieuses méthodes, vos provoca­
tions, vos grossièretés, votre acharnement

Lors de l’examen
des motions
de censure,
à l’Assemblée
nationale,
mardi 3 mars.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
POUR « LE MONDE »

Le recours au 49.3 accroît le risque d’une scission de la majorité


Trois nouveaux députés ont quitté le groupe LRM à l’Assemblée nationale, qui a perdu quinze membres depuis 2017


E


ux aussi ont décidé de
quitter le navire. Trois dé­
parts de plus, qui viennent
s’ajouter à une longue série, ces
derniers mois. Et qui illustrent de
manière concrète le malaise sus­
cité par l’usage du 49.3 au sein de
la majorité. Les députés Hubert
Julien­Laferrière (Rhône) et Del­
phine Bagarry (Alpes­de­Haute­
Provence) ont annoncé, lundi
2 mars, qu’ils quittaient le
groupe La République en marche
(LRM) à l’Assemblée nationale,
après la décision du gouverne­
ment de faire adopter sans vote
la réforme des retraites. « Je ne
me résigne pas à laisser jeter de
nouveau le discrédit sur le Parle­
ment », s’est justifié le premier. La
veille, le sénateur des Bouches­
du­Rhône, Michel Amiel, avait
déjà annoncé son départ du parti
présidentiel, dénonçant une dé­
cision qui relève « du cynisme et
de l’incompétence politique ».
De quoi porter les effectifs de la
majorité à 298 députés au sein du
groupe macroniste à l’Assem­
blée, qui a perdu quinze mem­

bres depuis 2017. Un effritement
progressif, qui laisse planer le ris­
que d’une perte de la majorité
absolue, fixée à 289 sièges, avant
la fin du quinquennat. « Encore
dix départs et on est mal! », gri­
mace un cadre du groupe. Une
perspective que certains jugent
« inéluctable » au sein du gouver­
nement. « C’est déjà une prouesse
d’avoir réussi à maintenir l’unité
de ce groupe jusque­là, compte
tenu de la diversité des profils qui
le composent », juge un ministre.
Un proche d’Emmanuel Macron
tente de positiver, en soulignant
que LRM peut s’appuyer sur l’al­
lié du MoDem et ses 46 députés.
Il n’empêche, le 49.3 vient fragi­
liser un peu plus la cohésion du
groupe majoritaire, déjà déstabi­
lisé par des rivalités dans le cadre
de la préparation des municipales
ou des désaccords de fond sur la
ligne de l’exécutif. Plusieurs dé­
putés de l’aile gauche ont ainsi
exprimé leur hostilité envers son
utilisation, mardi 3 mars. Lors de
la réunion de groupe à l’Assem­
blée, Sacha Houlié (Vienne) a re­

gretté que le 49.3 renvoie « un sen­
timent de brutalité » dans l’opi­
nion, et provoque « l’isolement »
de LRM face aux oppositions.
Dans un communiqué, sa collè­
gue Stella Dupont, a souligné « un
échec collectif ».

« Extrême faiblesse politique »
Lundi soir, lors du bureau exécu­
tif du mouvement LRM, le re­
cours à cet outil avait déjà suscité
un clivage entre l’aile gauche de
la Macronie – incarnée par les dé­
putés Pierre Person, Guillaume
Chiche, Sacha Houlié, ainsi que
par Jean­Marc Borello, proche du
chef de l’Etat – et le reste des
membres de l’instance, dont le
délégué général du parti, Stanis­
las Guerini, et plusieurs minis­
tres, tel celui de l’éducation na­
tional, Jean­Michel Blanquer. Les
premiers y voyant « le signe d’une
extrême faiblesse politique » ; les
seconds applaudissant un dispo­
sitif susceptible d’incarner « l’or­
dre » et « une volonté de réfor­
mer » face à « l’obstruction » de la
gauche de la gauche.

Au­delà du débat d’idées, ce
nouveau motif de désaccord in­
terne menace l’unité de l’édifice
macroniste à l’Assemblée. Car il
fait rejaillir le risque de création
d’un neuvième groupe au Palais­
Bourbon. Depuis plusieurs mois,
des députés de l’aile gauche de la
majorité s’activent en coulisses
pour constituer un groupe auto­
nome de celui de LRM, axé sur
une ligne sociale et écologique,
qui pourrait agglomérer des élus
comme Matthieu Orphelin, pro­
che de Nicolas Hulot, ou d’an­
ciens macronistes déçus.
« Le 49.3 accélère la réflexion sur
des issues comme celle­là », indi­
que le député Jean­François Cesa­
rini (Vaucluse), animateur d’un
collectif social­démocrate au sein
de la majorité. Mais pour l’ins­
tant, ses potentiels membres ne
sont pas encore d’accord sur la
forme que ce nouveau collectif
pourrait prendre, ni sur la date à
laquelle cette scission pourrait in­
tervenir. Certains plaident pour la
provoquer avant les municipales,
d’autres après.

Seule certitude : ce risque est
pris très au sérieux au sommet de
l’Etat et de la majorité. Lors de la
réunion du groupe LRM, le pre­
mier ministre, Edouard Philippe,
a ainsi appelé les députés à « rester
soudés », évoquant « une période
de combat politique très intense,
parfois très dure, y compris physi­
quement ». Dans une « ambiance
très froide », selon un participant,
il a défendu « l’opportunité du
49.3 » devant une salle Colbert
pour une fois comble, disant avoir
« mis un terme à ce qui n’était pas
véritablement un débat ».

Limiter le nombre de départs
Signe d’une certaine fébrilité, la
direction du groupe LRM à l’As­
semblée a établi la semaine der­
nière une liste d’une cinquan­
taine de députés, qui pourraient
avoir envie de changer d’air mais
qu’elle pense pouvoir retenir.
« On a fait une cartographie des
députés qui éprouvent potentielle­
ment un malaise. On va les contac­
ter cette semaine pour voir ce
qu’on peut faire pour eux, leur pro­

poser une mission parlementaire,
des responsabilités, ou même sim­
plement changer de place dans
l’Hémicycle », explique une cadre
du groupe. Objectif : limiter le
nombre de départs attendus. « Si
on est en dessous de quinze, ça va.
A trente, ça va être compliqué », re­
doute cette élue.
Au sein de La République en
marche, certains s’inquiètent no­
tamment du retour de Cédric Vil­
lani à l’Assemblée nationale, après
sa campagne municipale à Paris,
et du rôle de catalyseur que le dé­
puté de l’Essonne – exclu du parti
présidentiel fin janvier – pourrait
avoir pour tous ces parlementai­
res en déshérence. « Pour l’ins­
tant, ils n’ont pas de figure de
proue. Mais Villani peut être leur
tête d’affiche et attirer à lui », met
en garde un élu macroniste. A for­
tiori si ce groupe met en avant
une forte coloration écologiste,
comme le souhaite Matthieu Or­
phelin, l’un des artisans de ce
schisme en préparation.
alexandre lemarié
et cédric pietralunga

R É F O R M E D E S R E T R A I T E S


« C’EST NOUS QUI, 


AU CONTRAIRE, 


AU MOYEN DU 49.3, 


PERMETTONS 


AUX INSTITUTIONS 


DE FONCTIONNER 


NORMALEMENT »
GILLES LE GENDRE
président du groupe
LRM à l’Assemblée
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