Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1

18 |économie & entreprise JEUDI 5 MARS 2020


0123


Coup de froid sur le marché automobile européen


Depuis le 1
er
janvier, l’industrie fait face à des contraintes accrues liées à la réduction des émissions de CO 2

A


nnulé pour cause de
Covid­19, le Salon
automobile de Genève


  • rendez­vous majeur
    de l’industrie de la voiture sur le
    Vieux Continent, qui devait
    ouvrir au public du 5 au 15 mars –
    s’est tout de même partiellement
    déroulé en mode... virtuel. Mardi
    3 mars, date qui aurait dû être
    celle de la première journée
    presse, une sélection de présenta­
    tions révélant les nouveaux mo­
    dèles et les véhicules concepts
    était visible sur le site Web de
    l’événement. Un salon numéri­
    que, en quelque sorte, allégorie de
    la désagrégation et du flou aux­
    quels est confronté le marché
    automobile européen en 2020.
    Car ce début d’année a plutôt
    mal démarré pour les ventes en
    Europe. Après une première
    chute de 7,5 % en janvier (par rap­


port à la même période de 2019),
les immatriculations devraient
encore lourdement baisser de
6 %, selon une estimation qu’a
fait connaître au Monde Maxime
Picat, directeur de la région Eu­
rope du groupe PSA.
Cette tendance devra être con­
firmée par les chiffres officiels de
l’Association des constructeurs
européens d’automobiles (ACEA)
qui seront publiés à la mi­mars,
mais les premières données is­
sues des différents pays semblent
l’accréditer. L’Italie a enregistré
une baisse de 8,8 %, l’Espagne de
6 %, la Belgique de 6,3 %...
Finalement, le recul français de
2,7 % le mois dernier ressemble­
rait presque à un bon résultat, s’il
ne venait pas après une dégrin­
golade de plus de 13 % en janvier,
faisant ressortir ce début d’an­
née à – 7,8 %.

Comment expliquer un tel ma­
rasme? Il y a d’abord les condi­
tions économiques globales. La
croissance de la zone euro était
proche de zéro fin 2019 et les ef­
fets du coronavirus risquent de
plomber le produit intérieur brut
européen au premier semestre


  1. Par ailleurs, le niveau des
    immatriculations est historique­
    ment haut (15,3 millions de véhi­
    cules particuliers en 2019, contre
    13 millions en 2015), et une correc­
    tion, après des années de progres­
    sion, n’a rien de catastrophique.


Objectifs commerciaux
Cependant, ce n’est probable­
ment pas là que se situe la cause
principale du coup de froid actuel
qui sévit sur le marché. Le suspect
numéro un est en fait déjà connu
et il se nomme... dioxyde de car­
bone (CO 2 ). En effet, depuis le
1 er janvier 2020, l’industrie auto­
mobile européenne est entrée
dans une nouvelle ère, celle des
objectifs de réduction d’émission
imposés par l’Union européenne.
Au début de 2021, une moyenne
sera faite des grammes de CO 2 li­
bérés sur un kilomètre par cha­
que voiture immatriculée
en 2020. L’industrie dans son en­
semble devra avoir atteint
95 grammes, sachant que chaque
constructeur a son objectif pro­
pre et que tout dépassement sera
puni d’amendes pouvant se chif­
frer en millions, voire en centai­
nes de millions d’euros.
Le chemin à parcourir en un an
est considérable. Une étude du ca­
binet de conseil spécialisé Jato

Dynamics, dévoilée mardi, fait
ressortir la moyenne des émis­
sions en 2019 à 121,8 grammes de
CO 2. Pour atteindre les 95 gram­
mes, il va falloir réduire les émis­
sions de presque un quart.
Conséquence : les constructeurs
ont tous décidé de « piloter » leurs
ventes. Les concessions euro­
péennes ont désormais des objec­
tifs commerciaux intégrant la
question du CO 2. Fini de pousser
les voitures à essence, dont la
croissance, depuis le « diesel­
gate » (le scandale des moteurs
diesel truqués) de fin 2015, a fait
remonter de 4 grammes les émis­
sions en Europe. En revanche,
tout ce qui est électrifié est mis en
avant, d’autant plus que les voitu­
res électriques ou hybrides re­
chargeables vont compter double
dans le décompte final européen.
Les constructeurs qui ont de­
puis longtemps une offre électri­
que sont évidemment les mieux
placés. Pionnier de l’hybride,
Toyota, le « meilleur élève » en
matière de CO 2 en 2019 (hors
Tesla), avec 97,5 grammes, a
connu, en janvier 2020, une

hausse de 12 % de ses ventes en
Europe, montrant ainsi que la
marque n’a pas besoin d’artifices
commerciaux pour atteindre ses
objectifs. « Nous avons fait nos de­
voirs, explique de son côté Pieter
Nota, patron des ventes de BMW,
et nous sommes en mesure, depuis
déjà quelques années, de proposer
une gamme complète d’hybrides
rechargeables qui nous permet­
tront de baisser de 20 % nos émis­
sions en 2020. »
Toutefois, tout le monde n’a pas
cette avance. Daimler a indiqué
aussi avoir pour but de faire recu­
ler de 20 % ses émissions, mais ne
garantit pas être en mesure de
remplir ses objectifs de CO 2 dès
cette année. Renault, en avance
avec la Zoe, n’aura pas d’hybrides
disponibles avant cet été. Il en va
de même pour l’ID3, la Volkswa­
gen électrique très attendue.
Dans ce contexte, le consomma­
teur est perdu. Et ce, d’autant plus
que l’environnement fiscal n’est
pas rassurant. En France, une dou­
ble grille de malus (en janvier, puis
en mars) a fortement perturbé le
marché, surtout celui des particu­
liers, qui ne représentent désor­
mais plus que 38 % des acheteurs.
En Allemagne, le bonus gouverne­
mental pour électriques et hybri­
des n’a été défini qu’à la mi­février,
après des mois d’atermoiements.
« Et c’est sans compter les prises
d’initiatives locales interdisant
dans telle ou telle ville tel ou tel vé­
hicule, qui ajoutent un bruit média­
tique fatalement perturbant pour
le client », conclut Maxime Picat.
éric béziat

Fini de pousser
les voitures
à essence.
En revanche,
tout ce qui
est électrifié
est mis en avant

En Allemagne, le salon IAA
va quitter Francfort pour Munich
La prochaine édition du salon allemand de l’automobile IAA aura
lieu, en 2021, à Munich, alors que le rendez-vous bisannuel tente
de se réinventer après près de soixante-dix ans passés à Franc-
fort, ont annoncé les organisateurs, mardi 3 mars. « Munich doit
devenir le lieu d’une IAA avec un concept fondamentalement nou-
veau », a expliqué la fédération allemande des constructeurs
automobiles VDA, dans un communiqué. Un contrat doit être si-
gné, « dans les prochaines semaines », avec la ville où BMW a son
siège, ajoute le lobby de l’automobile. Outre la capitale bava-
roise, Berlin et Hambourg étaient dans la course pour organiser
ce rendez-vous du secteur roi de l’industrie allemande, mais qui
a perdu en attrait. L’IAA va évoluer d’une plate-forme pour
l’automobile à une plate-forme pour la mobilité « et soutenir la
mue de la ville hôte en smart city, dotée de systèmes de transport
intelligents », a assuré le VDA.

LES  CHIFFRES


–  6  %
C’est la baisse estimée du
marché automobile européen
(voitures particulières)
au mois de février. Elle intervient
après un mois de janvier en fort
recul de 7,5 %.

121,
C’est, en moyenne, le nombre de
grammes de dioxyde de carbone
(CO 2 ) émis, par kilomètre, par les
voitures immatriculées, en 2019,
en Europe, selon les calculs de la
société spécialisée Jato. Cela
représente une hausse de
1,3 gramme (+ 10,7 %) par rap-
port à 2018 et de 4 grammes
comparé au point bas de 2016.

–  22  %
C’est la baisse des émissions
de CO 2 par véhicule vendu en
Europe que doit réaliser l’indus-
trie automobile en 2020 pour
atteindre l’objectif de
95 grammes, fixé par les autori-
tés européennes.

Au Royaume­Uni, le chinois Jingye


sauve le sidérurgiste British Steel


La France bloque le rachat du site mosellan d’Hayange, un actif jugé
stratégique, une partie des rails produits étant destinée à la SNCF

londres ­ correspondance

A


la fin, Jingye ne butait
plus que sur la question
de la reprise de l’usine
lorraine d’Hayange. Depuis no­
vembre 2019, le groupe sidérurgi­
que chinois peaufinait son acqui­
sition de British Steel, une entre­
prise britannique qui comprend
des sites au Royaume­Uni, aux
Pays­Bas ainsi que celui de Mo­
selle. Mais, face au blocage de
Bercy, il a fini par passer outre.
Mardi 3 mars, le 37e producteur
mondial d’acier, selon la World
Steel Association, a annoncé l’ac­
quisition de British Steel, laissant,
pour l’instant, de côté l’établisse­
ment d’Hayange.
L’achat, qui doit en principe être
conclu le 9 mars, sauve ainsi les
hauts­fourneaux de Scunthorpe
(nord­est de l’Angleterre), une
usine de production d’acier pour
le secteur de la construction à
Teesside (cent kilomètres plus au
nord) ainsi qu’une usine de fils
d’acier aux Pays­Bas. Au total,
3 200 emplois sur 3 600 doivent
être sauvés. Surtout, Jingye an­
nonce un investissement de
1,2 milliard de livres (1,4 milliard
d’euros) pour profondément mo­
derniser ces sites.

Premiers pas en Europe
« Ce sera le plus important inves­
tissement pour nos usines depuis
les années 1970 », explique Paul
McBean, représentant du syndi­
cat Community, qui a rencontré
les dirigeants chinois à de nom­
breuses reprises lors des négocia­
tions. Jingye a notamment pro­
mis de passer de deux à trois
hauts­fourneaux à Scunthorpe,
d’investir dans une nouvelle cen­

trale d’électricité plus propre et
dans un arc électrique permet­
tant de produire de l’acier moins
polluant à Teesside. « Les diri­
geants de Jingye nous ont vrai­
ment consultés, ont écouté notre
avis et ils ont une vraie vision in­
dustrielle », estime M. McBean,
qui a connu les hauts et les bas de
British Steel depuis des années.
L’histoire de cette entreprise est
celle de la lente agonie de l’indus­
trie sidérurgique au Royaume­
Uni. Dans les années 1960, l’en­
semble de la production d’acier a
été nationalisé sous le nom de
British Steel. Deux décennies plus
tard, Margaret Thatcher (1925­
2013) l’a privatisée.
Depuis, les différents actifs ont
été éparpillés et ont progressive­
ment décliné. En 2007, l’indien
Tata en a repris un large mor­
ceau. En 2015, il en a revendu une
partie au fonds d’investissement
Greybull Capital, qui avait repris
le nom de British Steel. En
mai 2019, le sidérurgiste a finale­
ment déposé le bilan, incapa­
ble de trouver l’équilibre finan­
cier. Depuis, il était sous admi­
nistration temporaire, cherchant
un repreneur.
Avec ce rachat, l’entreprise chi­
noise réalise ses premiers pas en
Europe. Créée en 1988 par Li
Ganpo, le groupe est de taille
moyenne par rapport à ses con­
currents, avec 18 hauts­four­
neaux, 23 500 employés et un
chiffre d’affaires d’environ 12 mil­
liards d’euros. Le conglomérat,
encore possédé majoritairement
par M. Li, s’étend aussi dans les
hôtels, les produits chimiques, le
tourisme et l’immobilier.
Pour compléter ses hauts­four­
neaux, le groupe chinois souhaite

également reprendre l’usine
d’Hayange, où il a rencontré, mi­
février, les syndicats. Ses repré­
sentants ont promis d’y investir
60 millions d’euros sur cinq ans.
« Nous espérons une décision posi­
tive des autorités françaises dans
un avenir proche », explique, dans
un communiqué, Li Huiming, le
directeur général de Jingye. Reste
que l’Etat n’entend pas donner
suite à cette proposition.

« L’acheteur, pas le bienvenu »
Le ministère de l’économie a dé­
cidé d’utiliser le décret sur les in­
vestissements étrangers en
France, qui lui permet de refuser
un rachat d’entreprise si elle re­
lève d’un secteur stratégique. « Le
simple fait d’utiliser ce décret
devrait faire comprendre à l’ache­
teur qu’il n’est pas le bienvenu »,
explique un bon connaisseur
du dossier, qui souhaite garder
l’anonymat.
Le site, qui emploie 420 salariés,
est jugé stratégique, car une
grande partie de sa production de
rails est destinée à la SNCF. De
plus, l’Etat souhaite que cette
usine se fournisse à l’avenir
auprès du sidérurgiste Ascoval,
afin d’assurer l’avenir de son
usine du Valenciennois, reprise,
en mai 2019, par les anciens pro­
priétaires... de British Steel, le
fonds Greybull Capital. « Pour
Hayange, plusieurs offres de re­
prise, mais encore aucune de défi­
nitive, ont d’ores et déjà été dépo­
sées auprès du mandataire judi­
ciaire », assure une source au fait
du dossier. Une décision pourrait
être prise sur l’identité du repre­
neur courant mars.
éric albert
et philippe jacqué (à paris)

PARIS
Musée du quai Branly-Jacque sChirac

Une journée de débats


suivie d’unconcertgnaoua


avec notamment
RokiaTraoré
FatouBensouda
Inna Modja
Adama Paris
Kalista Sy
Azat aSoro
AntoinetteUwimana
Sanou Gning
ZakiaTahiri
Maria Daïf...
Programme&réservation sur
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FEMMESAFRICAINES


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31


MARS


2020

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